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malade, c'est le meilleur signe du monde. (à Lucinde.) Hé bien! de quoi est-il question? Qu'avez-vous? Quel est le mal que vous sentez?

LUCINDE, portant sa main à sa bouche, à sa tête, et

Han, hi, hon.

sous son menton.

SGAN. Je ne vous entends point. Quel langage estce là?

GER. Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusqu'ici on en ait pu savoir la cause; et c'est un accident qui a fait reculer son mariage. SGAN. Et pourquoi ?

GER. Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses.

SGAN. Et qui est ce sot là, qui ne veut pas que sa femme soit muette? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie! je me garderais bien de la vouloir guérir. GER. Enfin, monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal.

SGAN. Ah! ne vous mettez pas en peine. Ditesmoi un peu: ce mal l'oppresse-t-il beaucoup?

GER. Oui, monsieur.

SGAN. Tant mieux. (à Lucinde.) Donnez-moi votre bras. (à Géronte.) Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.

GER. Hé! oui, monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier coup.

SGAN. Nous autres grands médecins, nous connaissons d'abord les choses. Un ignorant aurait été embarrassé, et vous eût été dire, C'est ceci, c'est cela: mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette.

:

GER. Oui mais je voudrais bien que vous me pussiez dire d'où cela vient.

SGAN. Il n'est rien de plus aisé; cela vient de ce qu'elle a perdu la parole.

GER. Fort bien. Mais la cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle a perdu la parole?

SGAN. Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa langue.

GER. Mais encore, vos sentimens sur cet empêchement de l'action de sa langue?

SGAN. Aristote, là-dessus, dit...de fort belles choses.
GER. Je le crois.

SGAN. Ah! c'était un grand homme !
GER. Sans doute.

SGAN. Grand homme tout-à-fait; un homme qui était (levant le bras depuis le coude) plus grand que moi de tout cela. Entendez-vous le latin?

GER. En aucune façon.

SGAN. (se levant brusquement.) Vous n'entendez point le latin?

GER. Non.

SGAN. Il n'y a pas de mal; vous n'êtes pas obligé d'être aussi savant que nous.

GER. Assurément. Mais, monsieur, que croyezvous qu'il faille faire à cette maladie ?

SGAN. Mon avis est qu'on la remette dans son lit, et qu'on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin.

GER. Pourquoi cela, monsieur.

SGAN. Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux perroquets, et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela?

GER. Cela est vrai. Ah! le grand homme! Vite, quantité de pain et de vin.

SGAN. Je reviendrai voir sur le soir en quel état elle

sera.

PRÉCIS DU RESTE DE LA PIÈCE.

Léandre, à qui Lucinde est attachée, venant à faire un grand héritage, Géronte consent à lui donner sa fille en mariage, et celle-ci recouvre la faculté de parler. Sganarelle, bien payé de ses ordonnances, prend goût au métier. Il raisonne ainsi sur sa nouvelle profession:

"Ma foi, cela ne va pas mal. On vient me chercher de tous côtés; et, si les choses vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir toute ma vie à la médecine. Je trouve que c'est le meilleur métier de tous; car, soit qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos ; et nous taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous travaillons. Un cordonnier en faisant des souliers ne saurait gâter un morceau de cuir qu'il n'en paie les pots cassés; mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous, et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il y a, parmi les morts, une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde, et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui les a tués."

NOTES SUR LE MÉDECIN MALGRÉ LUI. 1 Vivre de ménage, to live with economy.

2 Abandonnée, given over.

a Jouer à la fossette, to play at chuck-farthing. Double, ancienne monnaie qui valait deux deniers. Nous autres, we, the like of us.

Payer les pots cassés, to pay the piper.-Mr CLAPPERTON'S Select Proverbs.

SCENE DU GLORIEUX,

COMÉDIE DE DESTOUCHES.

LE COMTE DE TUFFIÈRE, LISIMON, PASQUIN. LE COMTE DE TUFFIÈRE, jeune homme ruiné, fier d'une naissance chimérique, vient pour épouser la fille de Lisimon, homme riche, franc et simple dans ses manières. LISIMON (à Pasquin.)

Le comte de Tuffière est-il ici, mon coeur ?

Oui, monsieur, le voici.

PASQUIN.

(Le comte se lève nonchalamment, et fait un pas au-devant de Lisimon qui l'embrasse.) LISIMON.

Cher comte, serviteur.

LE COMTE (à Pasquin.)

Cher comte! nous voilà grands amis, ce me semble.
LISIMON.

Ma foi, je suis ravi que nous logions ensemble.
LE COMTE (froidement.)

J'en suis fort aise, aussi.

LISIMON.

Parbleu, nous boirons bien:

Vous buvez sec, dit-on; moi je n'y laisse rien.
Je suis impatient de vous verser rasade,
Et ce sera bientôt ; mais êtes-vous malade?
A votre froide mine, à votre sombre accueil...

LE COMTE (à Pasquin qui présente un siége.)
Faites asseoir monsieur...Non, offrez le fauteuil.
Il ne le prendra, mais...

LISIMON.

Je vous fais excuse, Puisque vous me l'offrez, trouvez bon que j'en use; Que je m'étale aussi; car je suis sans façon, Mon cher, et cela doit vous servir de leçon, Et je veux qu'entre nous toute cérémonie, Dès ce même moment, pour jamais soit bannie. Oh çà, mon cher garçon, veux-tu venir chez moi? Nous serons tous ravis de dîner avec toi.

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LISIMON.

Tout de bon? Je parie

Qu'un peu de vanité t'a fait croire cela?

LE COMTE.

Non, mais je suis peu fait à ces manières-là.
LISIMON.

Oh bien, tu t'y feras, mon enfant: sur les tiennes,
A mon âge, crois-tu que je forme les miennes ?
LE COMTE.

Vous aurez la bonté d'y faire vos efforts.

LISIMON.

Tiens, chez moi le dedans gouverne le dehors;
Je suis franc.

LE COMTE.

Quant à moi, j'aime la politesse.
LISIMON.

Moi, je ne l'aime point, car c'est une traîtresse
Qui fait dire souvent ce qu'on ne pense pas.
Je hais, je fuis ces gens qui font les délicats,
Dont la fière grandeur d'un rien se formalise;
Et qui craint qu'avec elle on se familiarise;
Et ma maxime à moi, c'est qu'entre bons amis
Certains petits écarts doivent être permis.

LE COMTE.

D'amis avec amis on fait la différence.

LISIMON.

Pour moi, je n'en fais point.

LE COMTE.

Les gens de ma naissance

Sont un peu délicats sur les distinctions,

Et je ne suis ami qu'à ces conditions.

LISIMON.

Ouais! vous le prenez haut. Écoute, mon cher comte,
Si tu fais tant le fier, ce n'est pas là mon compte.
Ma fille te plaît fort, à ce que l'on m'a dit.

Elle est riche, elle est belle, elle a beaucoup d'esprit :
Tu lui plais; j'y souscris du meilleur de mon âme,
D'autant plus que par-là je contredis ma femme,

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