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Qui voudrait m'engendrer d'un grand complimenteur
Qui ne dit pas un mot sans dire une fadeur.
Mais aussi si tu veux que je sois ton beau-père,
Il faut baisser d'un cran et changer de manière;
Ou sinon, marché nul.

LE COMTE (à Pasquin, se levant brusquement.)
Je vais le prendre au mot.
PASQUIN.

Vous en mordrez vos doigts, ou je ne suis qu'un sot.
Pour un faux point d'honneur perdre votre fortune!
LE COMTE.

Mais si...

LISIMON.

Toute contrainte, en un mot, m'importune.
L'heure du dîner presse; allons, veux-tu venir ?
Nous aurons le loisir de nous entretenir

Sur nos arrangemens; mais commençons par boire;
Grand'soif, bon appétit, et surtout point de gloire,
C'est ma devise. On est à son aise chez moi,
Et vivre comme on veut, c'est notre unique loi.
Viens, et sans te gourmer avec moi de la sorte,
Laisse en entrant chez nous ta grandeur à la porte.

SCÈNE DE CRISPIN RIVAL DE SON MAITRE,

COMÉDIE DE le sage.'

CRISPIN, LA BRANCHE.

LA BRAN. N'est-ce pas là Crispin ?

CRISP. Est-ce La Branche que je vois ?
LA BRAN. C'est Crispin, c'est lui-même.

CRISP. C'est La Branche. L'heureuse rencontre!

Que je t'embrasse, mon cher.

Franchement, ne te

voyant plus paraître à Paris, je craignais que quelque arrêt de la cour ne t'en eût éloigné.

LA BRAN. Ma foi, mon ami, je l'ai échappé belle depuis que je ne t'ai vu. On a voulu me donner de

l'occupation sur mer.

CRISP. Qu'avais-tu donc fait ?

LA BRAN. Une nuit, je m'avisai d'arrêter, dans une rue détournée, un marchand étranger pour lui demander, par curiosité, des nouvelles de son pays. Comme il n'entendait pas le français, il crut que je lui demandais la bourse. Il crie au voleur. Le guet vient. On me prend pour un fripon; on me mène en prison. J'y ai demeuré sept semaines.

CRISP. Sept semaines !

LA BRAN. J'y aurais demeuré bien davantage sans la nièce d'une revendeuse à la toilette.2

CRISP. Est-il vrai ?

LA BRAN. On était furieusement prévenu contre moi ; mais cette bonne amie se donna tant de mouvement, qu'elle fit connaître mon innocence.

CRISP. Il est bon d'avoir de puissans amis.

LA BRAN. Cette aventure m'a fait faire des réflexions.

CRISP. Je le crois. Tu n'es plus curieux de savoir des nouvelles des pays étrangers?

LA BRAN. Non, non. Je me suis remis dans le service. Et toi, Crispin, travailles-tu toujours ?

CRISP. Non. Je suis comme toi un fripon honoraire. Je suis rentré dans le service aussi; mais je sers un maître sans bien, ce qui suppose un valet sans gages. Je ne suis pas trop content de ma condition.

LA BRAN. Je le suis assez de la mienne, moi. Je me suis retiré à Chartres; j'y sers un jeune homme appelé Damis. C'est un aimable garçon! un homme universel.

CRISP. Mais dis-moi, La Branche, qu'es-tu venu faire à Paris? où vas-tu ?

LA BRAN. Je vais dans cette maison.

CRISP. Chez monsieur Oronte?

LA BRAN. Sa fille est promise à Damis.
CRISP. Angélique promise à ton maître !

LA BRAN. Monsieur Orgon, père de Damis, était à Paris il y a quinze jours; j'y étais avec lui. Nous allâmes voir M. Oronte, qui est de ses anciens amis, et ils arrêtèrent entre eux ce mariage.

CRISP. C'est donc une affaire résolue?

LA BRAN. Oui: le contrat est déjà signé des deux pères et de madame Oronte. La dot, qui est de vingt mille écus en argent comptant, est toute prête. În n'attend que l'arrivée de Damis pour terminer la chose. CRISP. Ah! parbleu, cela étant, Valère, mon maître, n'a donc qu'à chercher fortune ailleurs.

LA BRAN. Quoi! ton maître ?...

CRISP. Il est amoureux de cette même Angélique ; mais puisque Damis...

LA BRAN. Oh! Damis n'épousera point Angélique ; il y a une petite difficulté.

CRISP. Eh! quelle ?

LA BRAN. Pendant que son père le mariait ici, il s'est marié à Chartres, lui.

CRISP. Oh! cela change la thèse.

LA BRAN. J'ai trouvé les habits de noce de mon maître tout faits. J'ai ordre de les emporter à Chartres aussitôt que j'aurai vu monsieur et madame Oronte et retiré la parole de monsieur Orgon!

CRISP. Retiré la parole de monsieur Orgon!

LA BRAN. C'est ce qui m'amène à Paris. Sans adieu, Crispin, nous nous reverrons.

CRISP. Attends, La Branche, attends, mon enfant ; il me vient une idée. Dis-moi un peu: ton maître est-il connu de M. Oronte ?

LA BRAN. Ils ne se sont jamais vus.

CRISP. Si tu voulais, mon ami, il y aurait un beau coup à faire; mais, après ton aventure du marchand étranger, je crains que tu ne manques de courage.

LA BRAN. Non, non, tu n'as qu'à dire. Une tem.

pête essuyée n'empêche point un bon matelot de se remettre en mer. Parle de quoi s'agit-il? Est-ce que tu voudrais faire passer ton maître pour Damis, et lui faire épouser?...

CRISP. Mon maître! Fi donc: voilà un plaisant gueux pour une fille comme Angélique ; je lui destine un meilleur parti.

LA BRAN. Qui donc ?

CRISP. Moi.

LA BRAN. Malepeste! tu as raison; cela n'est pas mal imaginé, au moins.

CRISP. Je suis aussi amoureux d'elle.
LA BRAN. J'approuve ton amour.
CRISP. Je prendrai le nom de Damis.
LA BRAN. C'est bien dit.

CRISP. J'épouserai Angélique.

LA BRAN. J'y consens.

CRISP. Je toucherai la dot...
LA BRAN. Fort bien !

CRISP. Et je disparaîtrai avant qu'on en vienne aux éclaircissemens.

LA BRAN. Expliquons-nous mieux sur cet article. CRISP. Pourquoi ?

LA BRAN. Tu parles de disparaître avec la dot sans faire mention de moi. Il y a quelque chose à corriger dans ce plan-là.

CRISP. Oh! nous disparaîtrons ensemble.

LA BRAN. A cette condition-là, je te sers de croupier. Le coup, je l'avoue, est un peu hardi; mais mon audace se réveille, et je sens que je suis né pour les grandes choses. Où irons-nous cacher la dot ?

CRISP. Dans le fond de quelque province éloignée. LA BRAN. Je crois qu'elle sera mieux hors du royaume; qu'en dis-tu ?

CRISP. C'est ce que nous verrons. Apprends-moi de quel caractère est M. Oronte.

LA BRAN. C'est un bourgeois fort simple, un petit génie.

CRISP. Et madame Oronte ?

LA BRAN. Une femme de vingt-cinq à soixante ans ; une femme qui s'aime; et qui est d'un esprit tellement incertain, qu'elle croit, dans le même moment, le pour et le contre.

CRISP. Cela suffit. Il faut à présent emprunter des habits pour...

LA BRAN. Tu peux te servir de ceux de mon maître; oui, justement, tu es à peu près de sa taille. CRISP. Peste! il n'est pas mal fait.

LA BRAN. Je vois sortir quelqu'un de chez M. Oronte; allons dans mon auberge concerter l'exécution de notre entreprise.

CRISP. Il faut auparavant que je coure au logis parler à Valère, et que je l'engage par une fausse confidence à ne point venir de quelques jours chez M. Oronte. Je t'aurai bientôt rejoint.

AUTRE SCÈNE DE CRISPIN RIVAL DE SON MAITRE.

EXPOSITION.

Tout jusqu'ici est allé au gré de nos deux fourbes, Crispin, secondé de La Branche, a parfaitement réussi à se faire passer pour Damis auprès de M. et Mad. Oronte, mais lorsqu'il se croit sur le point de toucher la dot, M. Orgon, père de Damis, arrive à Paris et tout l'artifice est découvert. La pièce finit de la manière suivante.

CRISPIN, LA BRANCHE, VALÈRE, M. ORGON,

M. ORONTE, MAD. ORONTE.

CRISP. Hé bien, monsieur Oronte, tout est-il prêt pour notre mariage ?...Ouf, qu'est-ce que je vois !

LA BRAN. Ahi! nous sommes découverts; sauvons

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(Ils veulent se sauver, mais VALÈRE court à eux, prend CRISPIN au collet; et M. ORGON se saisit de LA BRANCHE.)

VAL. Oh! vous ne nous échapperez pas, messieurs

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