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ALAIN.

Monsieur, nous nous...

(Arnolphe ôte le chapeau de dessus la tête d'Alain.)

Nous nous...

Monsieur, nous nous por... } (Arnolphe l'ôte encore.)

Dieu merci,

ARNOLPHE (ôtant le chapeau d'Alain pour la troisième fois, et le jetant à terre.)

Qui vous apprend, impertinente bête, A parler devant moi le chapeau sur la tête?

ALAIN.

Vous faites bien, j'ai tort.

SCÈNES DU TRACASSIER,

COMÉDIE DE DESTOUCHES.

LE CHEVALIER, Javotte.

JAV. La libéralité est expressive, et n'offense jamais. Ah! l'aimable vertu que la libéralité! Qu'elle met un beau vernis sur la reconnaissance!

LE CHEV. Tu as raison, ma chère Javotte; et c'est un vernis dont je fais grand usage.

JAV. Je ne m'en suis pas encore aperçue.

LE CHEV. Tu t'en apercevras avant qu'il soit peu. Je t'en donne ma parole.

JAV. Votre parole?

LE CHEV. Oui, mon enfant; c'est de l'argent comptant. Ainsi, je compte que tu me rendras service, en m'appuyant de tout ton crédit auprès d'Angélique. Me le promets-tu?

JAV. Oh! monsieur, je n'y manquerai pas.....Je vous en donne ma parole.

LE CHEV. Ta parole?

JAV. Oui, monsieur; c'est de l'or en barre.

LE CHEV. Je le crois, mais quand me la tiendras-tu ? JAV. (lui faisant la révérence.) Quand vous m'aurez tenu la vôtre.

LE CHEV. (à part.) Voici une poulette qui n'est pas dupe.

JAV. (à part.) Voilà un chevalier qui en sait long... (haut.) Jusqu'au revoir, monsieur.

LE CHEV. Comment donc ! tu t'en vas déjà ?

JAV. J'ai cent mille affaires. Tout roule ici sur moi. D'ailleurs, je crois que nous n'avons plus rien à nous dire; et, comme je n'ai point de temps à perdre, vous trouverez bon que je vous quitte.

LE CHEV. Encore un mot, je te prie.

JAV. Dépêchez-vous donc.

LE CHEV. Va-t-en dire à monsieur le Baron que je voudrais bien lui parler un moment.

JAV. Ah, monsieur ! il a si mal passé la nuit, qu'il ne se lèvera qu'à deux heures.

LE CHEV. Fais-moi donc voir madame la Baronne. JAV. Elle est dans ses vapeurs noires, et ne veut voir personne aujourd'hui.

LE CHEV. Allez donc chez mademoiselle Angélique. JAV. Elle a la migraine. Ce sont des douleurs affreuses.

LE CHEV. Et tu me disais tout-à-l'heure, que toute la famille se portait bien.

JAV. Ah! oui, je m'en souviens; mais je vous l'ai dit par distraction. A présent que j'y songe, je vous assure que toute la famille est indisposée ; et je m'avise aussi moi, que je ne me porte pas trop bien. C'est pourquoi je me retire, après vous avoir donné le bonjour.

SCENE SUIVANTE.

LE CHEVALIER, seul.

Que veut dire ceci? J'étais le favori de la famille, que j'avais brouillée avec tous mes rivaux, et je crois que je suis en disgrâce. Les froids complimens de Javotte, ses malignes plaisanteries, les prétendues indis

positions qu'elle m'oppose, tout cela, bien mûrement examiné, me fait croire qu'on me donne poliment mon congé. Il faut que, pendant mon absence, quelque riche parti soit venu se remettre sur les rangs. S'il est homme de condition, je suis perdu sans ressource, moi qui n'ai que ma naissance pour patrimoine. Si c'est quelqu'homme de fortune, je pourrai chicaner le terrain: mais ma situation n'en sera pas meilleure, car aujourd'hui les richesses tiennent le haut du pavé; on ne balance plus entre une riche alliance et une alliance honorable. Mais voici la petite Louison; voyons si par mes questions je n'en pourrai point tirer quelqu'éclaircissement.

SCÈNE SUIVANTE.

LE CHEVALIER, LOUISON.

LOUIS. (accourant.) Ah! monsieur le chevalier, que je suis aise de vous revoir !

LE CHEV. Que je suis ravi de revoir mademoiselle Louison! il faut que je la baise de tout mon cœur.

Louis. Non pas, s'il vous plaît: je ne baise plus les messieurs, depuis que ma belle-maman me l'a défendu. LE CHEV. Elle a tort, et je gage que vous en êtes fâchée.

Louis. Vraiment oui, j'en suis bien fâchée: mais il faut obéir, sinon...

LE CHEV. Ah! la cruelle mère que vous avez là! Je crois que vous la haïssez bien!

LOUIS. Je ne l'aime pas trop.

LE CHEV. C'est bien fait. Il ne faut aimer que ceux qui vous caressent.

Louis. Vraiment ! je n'aime que ceux-là non plus. LE CHEV. Vous voulez donc bien, du moins, que je vous baise la main.

LOUIS. Ma main!...Attendez, s'il vous plaît, je reviens tout-à-l'heure.

LE CHEV. Eh! où allez-vous donc ?

LOUIS. Demander la permission de vous donner ma main à baiser.

LE CHEV. Non, non; j'aime mieux m'en passer. Jasons tous deux, cela me suffira.

Louis. Oh! pour jaser, tant que vous voudrez. Maman ne me l'a pas défendu, et quand elle me le défendrait, oh! je vous assure que je ne pourrais pas m'en empêcher. Quelquefois elle me dit: Taisez-vous, petite fille. Savez-vous ce que je fais? Je boude maman, et je me parle toute seule.

LE CHEV. (à part.) Elle tient de son père.
LOUIS. Ou bien je parle à ma poupée.

LE CHEV. Bonne ressource! Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que votre poupée ne vous répond point. LOUIS. Oh! je me réponds pour elle.

LE CHEV. (à part.) Parbleu! voilà le vrai portrait du Baron. (Haut.) Vous avez donc bien de l'esprit, Louison, puisque vous en avez pour deux ?

LOUIS. En doutez-vous, monsieur le chevalier? Nous nous disons je ne sais combien de jolies choses. LE CHEV. Oh! j'en suis persuadé.

LOUIS. On s'imagine que je ne sais rien, parce que je suis petite; mais je sais bien des petites affaires qu'on croit que je ne sais pas.

LE CHEV. Eh! comme quoi, par exemple?

LOUIS. Par exemple...Je sais que mon papa parle tout seul quand il est dans son cabinet.

LE CHEV. Il parle tout seul?

LOUIS. Oui vraiment; et je l'ai écouté ce matin plus d'un quart d'heure.

LE CHEV. Cela est plaisant! Et vous souvient-il de ce qu'il disait ?

Louis. Si je m'en souviens? vous allez voir. Il s'agissait de vous, monsieur le chevalier : cela me faisait mourir de rire; car il vous parlait, quoique vous n'y fussiez pas.

LE CHEV. Et que me disait-il ?

LOUIS. Attendez... Il vous disait...Trève de discours, monsieur le chevalier; je vous entends à demi-mot. Tenez, mon garçon, je vous aime, je vous estime: mais vous n'aurez pas ma fille.

LE CHEV. Voilà un fort mauvais compliment que me faisait monsieur votre père. Mais ne lui ai-je pas répondu quelque chose?

:

Louis. Oh qu'oui! Vous lui répondiez mais vous me l'aviez promise; cela est fort vilain à vous. Et il vous répondait: vilain vous-même; allez vous promener; j'aime mieux M. de Maison-neuve, il est riche à millions, et vous n'avez pas le sou. Et vous répondiez c'est M. de Maison-neuve qui est un vilain, un pied-plat. Et il vous répondait : corbleu! quand un homme est riche, il est assez noble. Et vous répondiez mais c'est un sot, monsieur le Baron. Cela n'est pas vrai; puisqu'il est plus riche que vous, il a plus d'esprit que vous. Adieu, Chevalier; embrassez-moi, et n'y revenez plus. Bon jour et bon soir. Après cela, mon cher papa a ouvert la porte de son cabinet, en vous disant: sortez, sortez. Et il l'a refermée si rudement, qu'il m'a fait peur, et que j'ai pris la fuite.

LE CHEV. Y a-t-il long-temps que cela s'est passé ? LOUIS. Tout-à-l'heure. Je cherchais Javotte, pour lui conter tout cela; et c'est vous que j'ai trouvé le plus à propos du monde. Ne trouvez-vous pas cette his toire-là bien plaisante?

LE CHEV. Oh! très-plaisante assurément.

LOUIS. Mais vous n'en riez point. Je m'en vais la dire à ma sœur ; elle en rira plus que vous.

LE CHEV. Comment! est-ce que votre sœur sera bien aise qu'on lui donne un autre mari que moi ?

Louis. Je crois qu'oui; car elle dit qu'elle ne vous aime plus, et qu'elle n'obéira jamais à ma belle-maman, qui veut absolument qu'elle vous épouse. Adieu, voici mon papa qui parle tout seul. Ne lui dites pas ce que je vous ai dit, au moins; car, si vous le dites, je dirai que vous ne dites pas vrai.

LE CHEV. Allez, ma belle enfant, je vous garderai le secret, mais à condition que vous me direz tout ce que vous saurez.

LOUIS. Oui, oui; revenez tantôt, nous jaserons enSans adieu, monsieur le Chevalier.

core.

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