Images de page
PDF
ePub

bonne tranche. Un peu de jus. Je vous en redonnerai d'autre, quand vous aurez mangé cela. LE CHEV. (dévorant.) J'aurai bientôt fait. LE COMTE, (mangeant.) Vous vous étouffez. LE CHEV. Oh, que non.

LE COMTE. Allons, buvez un coup. (Ils boivent.) LE CHEV. Mon général, voulez-vous bien me donner une autre tranche?

LE COMTE. Vous mangez trop vite.

LE CHEV. Quand j'ai grand'faim, je ne perds pas de temps, comme vous voyez.

LE COMTE. Oui, oui. (Ils mangent vite tous les deux.) LE CHEV. Mon général, je suis fâché de la peine; mais si vous vouliez me laisser prendre.

LE COMTE, (coupant.) Hé, non, non, un moment, s'il vous plaît. Tenez, voilà un bon morceau.

LE CHEV. Oh, il sera bientôt expédié. (Il mange d'une vitesse incroyable.)

LE COMTE, (à part, en mangeant.) Il faut prendre un parti ici.

LE CHEV. Mon général, voulez-vous bien ?

LE COMTE. Buvez en attendant. (Le chevalier boit.) Tenez, cela sera peut-être un peu dur. (Il lui donne un morceau en faisant une grimace.) Hé bien, comment le trouvez-vous? (Il fait encore, une grimace, et le chevalier le regarde avec étonnement.)

LE CHEV. Fort bon. (Il le regarde, et le comte redouble ses grimaces.)

LE COMTE. Il y a à tirer. (Il fait une grimace.)

LE CHEV. Un peu; mais cela ne fait rien. (Le comte fait encore une grimace qui étonne de plus en plus le chevalier.)

LE COMTE. Qu'est-ce que vous avez donc? (Il fait une grimace.)

LE CHEV. C'est que...vous...

LE COMTE, (faisant la grimace.) Quoi ?
LE CHEV. Je ne sais ce que cela veut dire.

LE COMTE, (faisant la grimace.) Ce mouvement-là que je fais ?

LE CHEV. Oui, mon général.

LE COMTE, (faisant la grimace.) Je vous le dirai, si vous voulez: ce n'est rien.

LE CHEV. Vous ne faisiez pas de même avant le souper.

LE COMTE, (faisant la grimace.) Non, cela vient de me prendre tout à l'heure. Depuis quinze jourš je suis comme cela souvent. Tenez, mangez ce petit morceau-là. (Il fait la grimace.)

LE CHEV. Et peut-on savoir d'où cela vient?

LE COMTE, (faisant la grimace.) Je vous le dirai si vous voulez. Il y a environ un mois que je fus mordu par un petit chien. (Il fait la grimace.)

LE CHEV. (avec inquiétude.) Par un chien ?

LE COMTE. Oui, par un petit chien noir. (Il fait la grimace.) Mangez donc.

LE CHEV. Je n'ai plus faim.

LE COMTE, (faisant la grimace.) Quand je fais ce mouvement-là, je crois toujours le voir, ce chien, comme s'il allait se jeter sur moi. (Il fait la grimace.) Mais ce n'est rien.

(Le chevalier se lève; prend son assiette, en regardant attentivement le comte.)

LE COMTE, (faisant la grimace.) Où allez-vous ?
LE CHEV. (s'en allant.) Je m'en vais revenir.
LE COMTE. Mais restez donc.

SCENE VIII.

LE COMTE, mangeant.

Si je n'avais pas pris ce parti-là, je me serais couché sans souper. (Il mange le reste du gigot.) Ils se disputent là-bas. Dépêchons-nous. (Il boit.) Il n'est pas mauvais ce petit gigot-là. Quel train! Madame Thomas? Madame Thomas?

SCENE IX.

LE COMTE, MAD. THOMAS.

MAD. THOM. (sans paraître.) Monsieur, laissez-moi faire, je m'en vais lui parler.

LE COMTE. Hé bien, venez donc.

MAD. THOM. (à la porte, tenant la clef.) Comment,

monsieur...

LE COMTE. Qu'est-ce que vous avez donc? Entrez,

entrez.

MAD. THOм. (à la porte.) C'est monsieur le chevalier, qui dit que c'est fort mal fait à moi de le faire souper avec un enragé.

LE COMTE. Il le croit réellement ?

MAD. THOM. (à la porte.) Comment s'il le croit! Qui, monsieur, il le croit; et c'est fort mal fait à vous de venir, comme cela, décrier mon auberge.

LE COMTE. Mais je ne suis pas enragé.

MAD. THOм. (à la porte.) Pourquoi donc est-ce qu'il le dit?

LE COMTE. Approchez, approchez. Est-ce que les enragés boivent et mangent?

MAD. THOм. (approchant.) Ah, c'est vrai; il est donc fou.

LE COMTE. Apparemment.

MAD. THOM. Je ne comprends pas cela.

LE COMTE. Faites-le venir.

MAD. THOM. (criant.) Monsieur le chevalier, venez,

venez.

LE COMTE, (criant.) Allons, chevalier, arrivez.

SCÈNE X.

LE COMTE, LE CHEVALIER, MAD. THOMAS.

MAD. THOM. Entrez donc, monsieur le comte n'est pas enragé.

LE CHEV. Vous n'êtes pas enragé ?
LE COMTE. Je vous dis que non.

LE CHEV. (avançant.) J'ai cru que vous alliez le devenir.

LE COMTE. C'est un conte que je vous ai fait.

MAD. THOM. Quand je vous l'ai dit, vous n'avez pas voulu m'en croire.

LE COMTE. Je m'en vais boire à votre santé. (Il boit.)

MAD. THOM. Vous savez bien que les enragés ne boivent ni ne mangent.

LE CHEV. Mais, mon général, pourquoi faisiez-vous donc toutes ces grimaces?

LE COMTE. Pour vous empêcher de manger autant, et pour que je pusse avoir ma part au gigot. Mais nous faisons la même route, et demain je vous promets de vous bien donner à dîner.

LE CHEV. Ma foi, j'en ai été la dupe tout-à-fait.

LE COMTE, (se levant.) Voulez-vous que nous allions voir nos chevaux ?

LE CHEV. Je ne demande pas mieux.

MAD. THOM. Pendant ce temps-là, je m'en vais desservir tout cela, et faire préparer vos lits. (Elle emporte le plat et les assiettes.)

LE COMTE. Vous ferez bien, madame Thomas. Allons, venez, chevalier. (Ils sortent.)

1

FIN DE L'ENRAGÉ.

NOTES.

"The French," says the author of Sayings and Doings, "have, time out of mind, written short dramatic pieces, in which they have illustrated or exemplified the truth of old sayings; and, as every body knows, the dramatic pieces so written have themselves been called "Proverbs."

2

Ecuyer de cuisine, head-cook.

3 Noix de veau. Petite glande qui se trouve dans une épaule de veau, proche la jointure des deux os. Messieurs de l'Académie disent que ce morceau de viande est assez délicat pour étre recherché.

4 Outarde, a bustard, a wild turkey.

5

Compote de pigeons, stewed pigeons.

L'ABBÉ DE COURE-DINER,

OU

QUI S'ATTEND A L'ECUELLE D'AUTRUI DINE SOUVENT PAR CŒUR.

PROVERBE, PAR CARMONTELLE.

PERSONNAGES.

L'ABBÉ DE COURE-DINER.

DAME ANNE, gouvernante de l'Abbé.
M. DE MONTFORT, homme de finance.
CHAMPAGNE, laquais de M, de Montfort.

LE PRÉSIDENT DES BOUQUINS, amateur de livres.
LA FRANCE, laquais du Président.

LA MARQUISE D'AIMETOUT.

JULIE, femme de chambre de la Marquise.

BEAULIEU, valet-de-chambre du Vicomte de Guermont. FLAMAND, laquais du Vicomte.

M. BOURNIN, médecin.

Madame BERTRAND, et BABET, sa fille, voisines de l'Abbé.

La scène est chez l'Abbé; chez M. de Montfort; chez le président des Bouquins; chez la marquise d'Aimetout ; dans l'antichambre du vicomte de Guermont, et à la porte de l'Abbé, sur le palier de l'escalier.

SCENE I.

(La scène est chez l'Abbé.)
L'ABBÉ, DAME ANNE.

L'ABBÉ, (sortant.) Vous entendez bien ce que je vous dis, dame Anne?

DAME ANNE. Oui, monsieur l'abbé; mais je suis fâchée que vous ne vouliez pas dîner ici; vous auriez un gigot bien mortifié, bien bon.

« PrécédentContinuer »