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je me couche quelque part?

PETRO. Eh bien! choisissez, dans la salle à manger, sur un fauteuil; ou bien dans la cuisine, sous le manteau de la cheminée.

DAN. Sous le manteau de la cheminée, voilà de beaux draps; c'est le chat qui couche là.

PETRO. Il faut pourtant prendre un parti; à quoi vous décidez-vous?

DAN. Sûrement, il faut que je prenne mon parti. Allons, Pétronille, je me décide pour la salle à manger, là, sur le grand fauteuil. (A Pétronille qui veut lever le couvert.) Pétronille, n'ôtez donc rien; si je me réveille, je serai bien aise de manger un morceau; et puis j'ai payé, n'est-ce pas vrai ?

PÉTRO. Qui, monsieur, vous avez bien payé.
(Elle sort.)
DANIÈRES, seul, assis dans le fauteuil.

Il faut convenir que je me suis mis dans une fière colère avec ce maudit sourd. Ce n'est pas du sang qui coule dans mes veines, c'est du salpêtre. Aussi mon père me l'a bien dit: Mon fils Danières, tu ne mourras jamais que d'une colère. Il m'aimait bien, mon père. Ah je l'aimais bien aussi. D'après ce qui vient de se passer avec ce chien de sourd, je commence à croire que mademoiselle Doliban ne m'aime pas: elle n'a pas pour moi la tendresse qu'on doit avoir pour un futur époux, et cela fait que je suis fâché de n'avoir pas suivi le conseil qu'on me donnait dans mon pays. Ils voulaient tous me faire épouser une grand'tante que j'avais, qui était plus riche... Elle avait des écus plus gros que moi; mais ce qui m'a empêché de l'épouser, c'est une réflexion que j'ai faite, parce qu'enfin si j'épouse ma tante, je serai donc mon oncle? C'était une bien brave femme, ma tante; elle me faisait de jolis cadeaux, entr'autres un de toute beauté, une robe à grand ramage qu'elle avait depuis trente ans. Quand j'ai vu cela, je m'en suis fait faire trois parapluies. Qu'est-ce que je dis donc, trois? quatre, parce que j'ai dit, avec

cela je serai à couvert pour long-temps. C'était une bien belle femme que ma tante, elle n'avait qu'une dent, mais elle était belle, longue comme cela. (montrant son bras.) C'est ma sœur qui a eu bien du bonheur; elle est passée en Amérique, elle a épousé un riche colon de l'endroit; ça fait à présent qu'elle est une des premières colonnes du pays: et tout cela a fait que...voilà le sommeil qui me gagne, mon valet-dechambre peut tirer les rideaux de mon lit. Je vous souhaite bien le bonsoir.

(LA PIÈCE finit par le mariage de Dorbe avec Joséphine; Danières s'en console en disant, que puisque ses mariages réussissent si mal, il restera garçon.)

NOTES SUR LE SOURD.

1 Bête à faire plaisir, as great a dunce as one could well wish to see.

Calembourg, calambourg ou calembour, a pun.
Il s'agissait, it was on account.

4 Ménager, to reserve for.

5 Allons au-devant de, let us go and meet.

SCENES DE LA FAUSSE AGNES,'

COMÉDIE DE DESTOUCHES.2

(La scène est dans un château, en Poitou.)

ANGÉLIQUE, seule.

Monsieur Des Mazures arrive aujourd'hui pour m'épouser ; et moi, j'ai un moyen pour éviter ce malheur. Je connais à fond le personnage qu'on me destine. C'est un provincial très-fat, qui a la folie de se croire le plus grand génie de l'univers. Il compte

trouver en moi un prodige d'esprit et de science, selon l'idée que mon père et ma mère lui ont donnée de ma personne, et c'est sur ce pied-là qu'il me recherche. Mon dessein est d'avoir au plutôt une conversation particulière avec lui, d'y affecter tant de naïveté et d'ignorance qu'il ne puisse pas me souffrir. En un mot, je vais faire l'Agnès, et je ne doute point qu'il ne me trouve la plus maussade créature du monde.

SCENE SUIVANTE.

ANGÉLIQUE; M. DES MAZURES qui fait de profondes révérences à Angélique qu'elle lui rend par des révérences ridicules.

M. DES MA. (à part.) Pour une fille qui vient de Paris, voilà des révérences bien gauches. Je crois qu'il faut nous asseoir, mademoiselle, car nous avons bien des jolies choses à nous dire.

ANGE. (d'un ton niais.) Tout ce qu'il vous plaira, monsieur.

M. DES MA. (à part.) C'est la pudeur apparemment qui lui donne un air si déconcerté. Allons, mademoiselle, je vais vous étaler les richesses de mon esprit, prodiguez-moi les trésors du vôtre. Je sais que c'est le Pactole qui roule de l'or avec ses flots.

ANGE. Tout de bon? Mais vous me surprenez. (lui faisant la révérence.) Qu'est-ce que c'est qu'un Pactole, monsieur?

M. DES MA. (à part.) Pour une fille d'esprit, voilà une question bien sotte? Quoi, vous ne connaissez pas le Pactole?

ANGÉ. Je n'ai pas cet honneur-là.

M. DES MA. (à part.) Elle n'a pas cet honneur-là ! Par ma foi, la réponse est pitoyable! Ignorez-vous, mademoiselle, que le Pactole est un fleuve?

ANGÉ. C'est un fleuve ?

M. DES MA. Oui vraiment.

ANGÉ. (en riant.) Ah, j'en suis bien aise.

M. DES MA. (à part.) Oh, parbleu, je m'y perds!

Si on appelle cela de l'esprit, ce n'est pas du plus fin assurément. Mademoiselle, vous me surprenez à mon tour. Je vous croyais une savante.

ANGÉ. Oh! pour savante, cela est vrai, cela est vrai.

M. DES MA. (après l'avoir examinée.) Hum! c'est de quoi je commence à douter. Voyons cependant. Vous savez sans doute la Géographie ?

ANGÉ. Oh, vraiment oui.

M. DES MA. L'Histoire?
ANGÉ. Encore mieux.

M. DES MA. La Mythologie?
ANGÉ. Sur le bout de mon doigt.
M. DES MA. L'Astronomie ?

ANGÉ. C'est mon fort.

M. DES MA. Vous faites les plus jolis vers du monde ?

ANGÉ. Ah, ah!

M. DES MA. Et vous écrivez des lettres ravissantes ? ANGÉ. En doutez-vous?

M. DES MA. Oh ça, pour commencer par l'Histoire, lequel aimez-vous mieux d'Alexandre ou de César ? De Scipion ou d'Annibal ?

ANGÉ. Je ne connais point ces messieurs-là. Apparemment qu'ils ne sont pas venus ici, depuis que je suis de retour de Paris.

M. DE MA. Ah! nous voilà bien retombés. Je vois que vous n'êtes pas forte sur l'histoire romaine. Peutêtre savez-vous mieux celle de France. Combien comptez-vous de rois de France, depuis l'établissement de la monarchie?

ANGÉ. Combien ?

M. DES MA. Oui.

ANGÉ. Mille sept cent trente six.

M. DES MA. Ah, miséricorde ! mille sept cent trente six rois.

ANGÉ. Assurément.

M. DES MA. Et qui vous a appris cela ?

ANGÉ. C'est ma nourrice.

M. DES MA. Sa nourrice lui a appris l'histoire de France !

ANGÉ. Pourquoi non? Elle m'a appris aussi l'histoire de Richard sans peur, et de la belle Madelon. M. DES MA. Voilà une très-belle érudition. Et de la Mythologie qu'en savez-vous?

ANGE. Je sais le conte du petit Poucet.

M. DES MA. (la contrefaisant.) Du petit Poucet ! Je ne sais plus que penser de cette fille-là...Mademoiselle, cessez de plaisanter, je vous prie; car ou votre père et votre mère m'ont trompé, ou certainement vous vous moquez de moi.

ANGÉ. Moi me moquer de M. des Mazures! Ah, j'ai trop de respect pour lui.

M. DES MA. Mais vous saviez, disiez-vous, l'His toire, la Géographie, la Mythologie, l'Astronomie. Vous faisiez des vers charmans, vous écriviez des lettres ravissantes...

ANGÉ. Hélas! je le disais pour vous faire plaisir. M. DES MA. Vous ne savez donc rien?

ANGÉ. Je sais lire passablement, et j'apprends à écrire depuis deux mois.

M. DES MA. La peste, vous êtes avancée! Mais comme je vous trouve jolie, je vous passe votre ignorance. Ce que vous perdez du côté de l'érudition, vous le regagnez sans doute du côté de l'esprit; car on dit que vous en avez infiniment.

ANGE. Infiniment, cela est vrai. Je vous avoue tout bonnement, que j'ai de l'esprit comme un ange. M. DES MA. Et vous le dites vous même ?

ANGÉ. Pourquoi non? Est-ce un péché que d'avoir de l'esprit ?

M. DES MA. Ma foi si c'en est un, je ne crois pas que vous deviez vous en accuser.

ANGÉ. Vous me prenez donc pour une bête ?

M. DES MA. Cela me paraît ainsi, mais après ce

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