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que c'est la mode. Et ne vous éloignez jamais des principes de vertu et de bon ton que vous avez reçus de votre mère. Votre piano, est-il accordé ?

FLO. Non, ma mère.

Mad. G. Comment, depuis huit jours que nous attendons!

FLO. Monsieur Splitmann m'a bien promis qu'il viendrait demain matin.

Mad. G. Bon, qu'il n'y manque pas. J'arrangerai un petit concert de société, où j'inviterai tous nos amis. Ces deux jeunes gens feront leur partie avec Splitmann et vous; et François, qui commence à déchiffrer sur la clarinette, fera la sienne.

FLO. Ah! ce sera délicieux, ma mère.

Mad. G. Taisez-vous.

J'entends nos deux aimables Parisiens; allons, mademoiselle, une contenance agréable et modeste, ne soyez pas honteuse et timide, et sachez parler à propos.

FLO. Oui, ma mère.

SCENE SUIVANTE.

Mad. GUIBERT, FLORE, DELILLE; DESROCHES, le ...jeune héritier aux trente mille livres de rente. DESR. Vous voyez, madame, que nous ne nous sommes pas fait attendre.

Mad. G. Vous n'avez encore tardé que trop longtemps, messieurs.

FLO. Oui, trop long-temps.

DEL. Notre domestique va dans l'instant apporter tous nos effets. En vérité, madame, je rougis de l'embarras que nous allons vous causer.

Mad. G. Ne parlez donc pas de cela, je vous en prie, messieurs. Voulez-vous bien permettre que je vous présente ma fille. (à Flore.) Saluez.

DESR. Ah! mademoiselle.

DEL. Enchanté...

FLO. Messieurs...(à sa mère.) Lequel des deux, ma mère ?

Mad. G. (à sa fille.) Le plus jeune, celui qui est à côté de moi. (Aux deux jeunes gens.) C'est mon enfant unique; l'espérance de la voir établie a pu seule me consoler de la perte d'un époux que je pleure tous les jours. Je n'ai rien négligé pour perfectionner son éducation; mais vous sentez que dans une petite ville de province, on n'a pas les moyens... Elle est un peu timide, mais un cœur excellent, un esprit cultivé. (à sa fille.) Parlez donc.

FLO. Oui, ma mère.

Mad. G. Taisez-vous donc. Est-ce ainsi qu'on doit répondre ?

FLO. Mais, ma mère, que voulez-vous que je dise ? Mad. G. Paix. Mon frère me marque que vous aimez beaucoup la musique; ma fille a une voix céleste, une méthode exquise; si vous m'aviez fait l'amitié de venir avant diner, au dessert je l'aurais fait chanter.

DEL. Eh! qu'importe, quoique nous ne soyons plus au dessert...

DESR. Nous serions enchantés d'entendre mademoiselle.

Mad. G. La voilà toute confuse, c'est que vous l'intimidez; des messieurs de Paris...Et puis elle a la malheureuse habitude de se faire beaucoup prier.

DEL. Oh! s'il ne s'agit que de prier; mademoi selle, nous vous conjurons, nous vous supplions... DESR. Vous n'avez pas besoin d'indulgence, j'en suis sûr, et je me joins à mon ami.

FLO. C'est qu'en vérité...je n'ose.
Mad. G. Osez, mademoiselle.

FLO. Eh! je suis enrhumée, je crois.

Mad. G. Qu'est-ce que vous dites donc? Vous avez toujours des rhumes qui vous prennent mal à propos. FLO. Mais, ma mère, que chanterai-je ?

Mad. G. Ce qui vous plaira. Allons, tenez-vous droite, et chantez.

FLO. (toussant.) Hem...hem...je suis vraiment fort

embarrassée. (En partant tout d'un coup d'un grand éclat

de voix.)

Non, non, non, j'ai trop de fierté,

Pour me soumettre à l'esclavage.

M ad. G.Quelle chanson choisissez-vous donc là ! FLO. (continuant.)

:

Dans les liens du mariage

Mon cœur ne peut être arrêté.

Mad. G. Ah! ciel! quelle horreur! Mais taisezvous donc paix donc, paix donc, je vous en prie. (4 demi-voix à sa fille.) Comment! vous avez trop de fierté pour vous marier; est-ce qu'une demoiselle doit chanter de ces choses-là? Qu'est-ce que c'est donc que cette chanson-là?

FLO. Mais, ma mère, c'est de la belle Arsène.

Mad. G. Votre belle Arsène était une bégueule, et j'espère bien que vous ne suivrez pas son exemple. Et puis, c'est antique.

FLO. Mais, ma mère, que voulez-vous donc que je chante ?

Mad. G. Mais, mademoiselle, on chante du nouveau; par exemple,

Oui, c'en est fait, je me marie;

ou bien,

Il faut des époux assortis;

ou bien,

Ah! que les nœuds du mariage

A mes yeux offrent de douceur !

DEL. Ah! oui, mademoiselle, celle-là; elle est charmante, et beaucoup plus analogue à la situation. FLO. (tousse et chante.)

Ah! que les nœuds du mariage

A mes yeux offrent de douceur ! &c.

DESR. Comme un ange, mademoiselle! comme un ange !

G

Mad. G. Oui, comme un ange; comme une sotte. Elle chante ordinairement mille fois mieux. Et puis, elle ne sait pas donner d'expression aux paroles: elles sont si tendres !

FLO. Mais, ma mère, ce n'est pas ma faute; il m'a pris une extinction de voix.

DESR. Ne la grondez pas; on ne chante pas plus agréablement.

DEL. Oh! sans doute. (à part.) Attends, je vais t'en dégoûter tout-à-fait. (haut.) Mon ami, la voix de mademoiselle doit te plaire, car elle te rappelle sans doute comme à moi, la voix d'une personne qui t'est bien chère; ne trouves-tu pas ?

DESR. Et de qui donc?

DEL. Eh, mais vraiment, de ta femme.
DESR. De ma femme!

Mad. G. De sa femme ?

DESR. (à Delille.) Qu'est-ce que tu dis done?
DEL. (bas à Desroches.) Laisse-moi faire. (haut.)
C'est le même éclat, la même étendue.

Mad. G. Comment, monsieur, vous êtes marié ?
DESR. Qui? moi, madame?

DEL. Oui, madame, il est marié. Il y a six mois qu'il a épousé une jeune veuve.

moins.

J'ai été un de ses té

Mad. G. En vérité, monsieur...je vous en fais mon sincère compliment, et je suis charmée que vous ayez fait un choix... Laissez-nous, mademoiselle.

DEL. (bas à Desroches.) Sens-tu le motif des politesses? (haut.) Eh quoi, nous priver sitôt de la vue de votre aimable fille.

Mad. G. Je vous demande pardon, messieurs; mais elle a ses occupations, ses leçons.

FLO. (à sa mère.) Mais, ma mère, l'autre n'est peutêtre pas marié ?

Mad. G. Qu'est-ce que vous dites,. impertinente? Sortez, vous dis-je.

FLO. Ma mère, faudra-t-il prévenir M. Splitmann pour le concert de demain ?

Mad. G. Un concert, y pensez-vous? Est-ce la saison des concerts, quand tout le monde est en vendange?

FLO. (faisant la révérence.) Messieurs, j'ai bien l'honneur...

Mad. G. C'est bon, c'est bon, laissez-nous.

(Flore sort.)

PRÉCIS DU RESTE DE LA SCÈNE.

Madame Guibert avait offert un appartement chez elle à Delille et à Desroches, mais comme elle apprend que le jeune héritier est marié, elle prétend qu'elle n'a pas réfléchi qu'elle l'a prêté à un de ses voisins pour y déposer des marchandises et qu'il lui faudra au moins quatre jours pour déménager; les deux Parisiens font donc remporter leurs effets et vont chercher un logement

ailleurs.

SCÈNES DES FEMMES SAVANTES,
COMÉDIE DE MOLIÈRE.

CHRYSALE, bourgeois; PHILAMINTE, femme de Chrysale; BÉLISE, sœur de Chrysale; MARTINE, 'servante.

PHILAMINTE (apercevant Martine.)

Quoi! je vous vois, maraude? Vite, sortez, friponne; allons, quittez ces lieux; Et ne vous présentez jamais devant mes yeux.

CHRYSALE.

Tout doux.

PHILAMINTE.

Non, c'en est fait.

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