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ADRAS. J'y cherche le seigneur don Pèdre.
D. PEDRE. Vous l'avez devant vous.

ADRAS. Il prendra, s'il lui plaît, la peine de lire cette lettre.

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D. PEDRE lit. "Je vous envoie au lieu de moi, pour "le portrait que vous savez, ce gentilhomme français, "qui, comme curieux d'obliger les honnêtes gens, a "bien voulu prendre ce soin, sur la proposition que je "lui en ai faite. Il est, sans contredit, le premier "homme du monde pour ces sortes d'ouvrages, et j'ai cru que je ne pouvais vous rendre un service plus agréable que de vous l'envoyer, dans le dessein que Vous avez d'avoir un portrait achevé de la personne que 66 vous aimez. Gardez-vous bien surtout de lui parler "d'aucune récompense; car c'est un homme qui s'en "offenserait, et qui ne fait les choses que pour la gloire "et la réputation.-DAMON."

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Seigneur Français, c'est une grande grâce que vous me voulez faire, et je vous suis fort obligé.

ADRAS. Toute mon ambition est de rendre service aux gens de nom et de mérite.

D. PÈDRE. Je vais faire venir la personne dont il s'agit.

SCÈNE SUIVANTE.

ISIDORE, DON PEDRE, ADRASTE, DEUX LAQUAIS.

D. PEDRE, (à Isidore.) Voici un gentilhomme que Damon nous envoie, qui veut bien se donner la peine de vous peindre.

(à Adraste, qui embrasse Isidore en la saluant.) Holà! seigneur Français, cette façon de saluer n'est point d'usage en ce pays.

ADRAS. C'est la manière de France.

D. PÈDRE. La manière de France est bonne pour vos femmes; mais pour les nôtres elle est un peu trop familière.

IsI. L'aventure me surprend fort; et, pour dire le

vrai, je ne m'attendais pas à avoir un peintre si illustre.

ADRAS. Il n'y a personne, sans doute, qui ne tînt à beaucoup de gloire de toucher à un tel ouvrage. Je n'ai pas grande habileté; mais le sujet ici ne fournit que trop de lui-même, et il y a moyen de faire quelque chose de beau sur un original fait comme celui-là.

IsI. L'original est peu de chose, mais l'adresse du peintre en saura couvrir les défauts.

ADRAS. Le peintre n'y en voit aucun; et tout ce qu'il souhaite est d'en pouvoir représenter les grâces aux yeux de tout le monde, aussi grandes qu'il les peut voir.

ISI. Si votre pinceau flatte autant que votre langue, vous allez me faire un portrait qui ne me ressemblera pas.

ADRAS. Le ciel, qui fit l'original, nous ôte le moyen d'en faire un portrait qui puisse flatter.

ISI. Le ciel, quoi que vous en disiez, ne...

D. PEDRE. Finissons cela, de grâce. Laissons les complimens, et songeons au portrait.

ADRAS. (aux laquais.) Allons, apportez tout. (On apporte tout ce qu'il faut pour peindre Isidore.) IsI. (à Adraste.) Où voulez-vous que je me place ADRAS. Ici. Voici le lieu le plus avantageux, et qui reçoit le mieux les vues favorables de la lumière que nous cherchons.

IsI. (après s'être assise.) Suis-je bien ainsi ?

ADRAS. Oui. Levez-vous un peu, s'il vous plaît. Un peu plus de ce côté-là. Le corps tourné ainsi. La tête un peu levée, afin que la beauté du cou paraisse. Bon là. Un peu davantage : encore tant soit peu.

D. PEDRE. (à Isidore.) Il y a bien de la peine à vous mettre ne sauriez-vous vous tenir comme il faut ?

Isı. Ce sont ici des choses toutes neuves pour moi ; et c'est à monsieur à me mettre de la façon qu'il veut. ADRAS. (assis.) Voilà qui va le mieux du monde, et vous vous tenez à merveille. (La faisant tourner un

peu devers lui.) Comme cela, s'il vous plaît. Le tout dépend des attitudes qu'on donne aux personnes qu'on peint.

D. PEDRE. Fort bien.

ADRAS. Un peu plus de ce côté. Vos yeux toujours tournés vers moi, je vous en prie; vos regards attachés aux miens.

Isı. Je ne suis pas comme ces femmes qui veulent, en se faisant peindre, des portraits qui ne sont point elles, et ne sont point satisfaites du peintre, s'il ne les fait toujours plus belles qu'elles ne sont. Il faudrait, pour les contenter, ne faire qu'un portrait pour toutes; car toutes demandent les mêmes choses; un teint tout de lis et de roses, un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus, et surtout le visage pas plus gros que le poing, l'eussent-elles d'un pied de large. Pour moi, je vous demande un portrait qui soit moi, et qui n'oblige point à demander qui

c'est.

ADRAS. Il serait malaisé qu'on demandât cela du vôtre; et vous avez des traits à qui fort peu d'autres ressemblent. Qu'ils ont de douceur et de charmes ! et qu'on court risque à les peindre !

D. PEDRE. Le nez me semble un peu trop gros.

ADRAS. J'ai lu, je ne sais où, qu'Apelle peignit autrefois une maîtresse d'Alexandre, d'une merveilleuse beauté, et qu'il en devint si éperdument amoureux, en la peignant, qu'il fut près d'en perdre la vie; de sorte qu'Alexandre par générosité lui céda l'objet de ses vœux. (à don Pèdre.) Je pourrais faire ici ce qu'Apelle fit autrefois; mais vous ne feriez pas peut-être ce que fit Alexandre.

(Don Pedre fait la grimace.)

Isı. (à don Pèdre.) Tout cela sent la nation.

ADRAS. On ne se trompe guère à ces sortes de choses, et vous avez l'esprit trop éclairé pour ne pas voir de quelle source partent les choses qu'on vous dit. Oui, quand Alexandre serait ici, et que ce serait votre amant,

je ne pourrais m'empêcher de vous dire que je n'ai rien vu de si beau que ce que je vois maintenant, et que...

D. PEDRE. Seigneur Français, vous ne devriez pas, ce me semble, tant parler; cela vous détourne de votre ouvrage.

ADRAS. Ah! point du tout. J'ai toujours coutume de parler quand je peins; et il est besoin dans ces choses d'un peu de conversation pour réveiller l'esprit et tenir le visage dans la gaîté nécessaire aux personnes que l'on veut peindre.

OBSERVATIONS SUR LE SICILIEN.

"C'est," dit M. Bret, dans ses excellens commentaires sur Molière, " à l'imitation de cette scène charmante, dont on ne trouverait aucun modèle chez les anciens, que nous devons nos petites comédies dans le genre agréable et galant; mais celle-ci a sur les autres l'avantage d'être en même temps une situation très-comique, puisque c'est le jaloux lui-même qui a présenté à sa chère esclave le faux Peintre qui le trompe."

-

SCÈNES DE L'ÉCOSSAISE.

COMÉDIE DE VOLTAIRE.

(La scène est à Londres.)

FABRICE, tenant un café avec des appartemens; FRÉLON, écrivain de feuilles.*

FRÉ. Bonjour, monsieur Fabrice, bonjour. Toutes les affaires vont bien, hors les miennes ; j'enrage. FAB. M. Frélon, M. Frélon, vous vous faites bien des ennemis.

* Ecrivain de feuilles, a newspaper writer.

FRÉ. Oui, je crois que j'excite un peu d'envie.

FAB. Non, sur mon âme, ce n'est point du tout ce sentiment-là que vous faites naître écoutez; j'ai quelque amitié pour vous; je suis fâché d'entendre parler de vous comme on en parle. Comment faitesvous donc pour avoir tant d'ennemis, M. Frélon?

FRE. C'est que j'ai du mérite, M. Fabrice.

FAB. Cela peut-être, mais il n'y a encore que vous qui me l'ayez dit; on prétend que vous êtes un ignorant; cela ne me fait rien; mais on ajoute que vous êtes malicieux, et cela me fâche, car je suis bon homme.

FRÉ. J'ai le cœur bon, j'ai le cœur tendre; je dis un peu de mal des hommes; mais j'aime toutes les femmes, M. Fabrice, pourvu qu'elles soient jolies; et pour vous le prouver, je veux absolument que vous m'introduisiez chez cette aimable personne qui loge chez vous, et que je n'ai pu encore voir dans son appartement.

FAB. Oh pardi, M. Frélon, cette jeune personne-là n'est guère faite pour vous; car elle ne se vante jamais, et ne dit de mal de personne.

FRÉ. Elle ne dit de mal de personne, parce qu'elle ne connaît personne. N'en seriez-vous point amoureux, mon cher M. Fabrice?

FAB. Oh non: elle a quelque chose de si noble dans son air que je n'oserais jamais être amoureux d'elle: d'ailleurs son rang...

FRÉ. Ha ha ha, son rang!...

FAB. Oui, qu'avez-vous à rire ?...Voilà un équipage de campagne qui s'arrête à ma porte: un domestique en livrée qui porte une malle: c'est quelque seigneur qui vient loger chez moi.

FRÉ. Recommandez-moi vite à lui, mon cher ami.

SCÈNE SUIVANTE.

Le lord MONROSE, Ecossais; FABRICE, FRÉLON. MON. Vous êtes monsieur Fabrice, à ce que je crois ? FAB. A vous servir, monsieur.

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