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MES ADIEUX A LA VIE. (1)

UN
N mal brûlant, un long délire
Consument mes jours et mes nuits;
Et toi, ma compagne, ô ma lyre!
Tu n'adoucis plus mes ennuis.
Loin des tourmens de Prométhée,
Mes faibles mains t'ont rejetée;
Un murmure fut ton adieu.
O Parnasse! je pleure encore
Les concerts de ce luth sonore
Qui m'élevait jusqu'à ton dieu.

Ma jeunesse fut mensongère;
On crut la voir naître et fleurir;
Mais comme la plante étrangère
On la voit naître et se flétrir.

(1) Dorange (Jacques-Nicolas-Pierre), né à Marseille le 9 juin 1786, mort à Paris le 9 février 1811, promettait à la France un poëte de plus, lorsque la mort vint détruire ses espérances. Il avait déjà traduit les Bucoliques de Virgile, et beaucoup de fragmens des Géorgiques et de l'Enéïde. Onze jours avant sa mort, voyant approcher sa dernière heure, il composa ces stances, où l'on trouve de beaux mouvemens lyriques et une profonde sensibilité.

Sur ma paupière défaillante,
De l'aspiration brillante
Ne descendent plus les rayons.
On juge mes faibles prémices;
Ne jugez pas.... D'autres esquisses
Attendaient encor mes crayons.

Et toi, mon sublime modèle,
Inspirateur de mes essais
Que promit ma Muse infidèle
Aux rythmes du Pinde français;
Torquato, cygne d'Ausonie,
Jamais de ta noble harmonie
Je ne reproduirai les sons:
La Mort, au crime toujours prête,
T'arrache l'avide interprète
Qu'auraient illustré tes leçons.

Que l'espoir de l'homme est frivole!
Long-temps jouet d'un sort fatal,
L'encens, la palme, au capitole
Appelaient ton char triomphal.
Près d'y monter, la Mort te frappe!
Moi, sur ta lyre qui m'échappe,
Je fondais ma postérité.

Illusion deux fois ravie!

Mais tu n'as perdu que la vie,
Et je perds l'immortalité.

Stances philosoph.

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Dieu, dont le sceptre d'or gouverne
Et le monde et les élémens,
Des vils coupables de l'Averne,
Pourquoi me garder les tourmens?
Tu mis pour moi la poésie
Dans une coupe d'ambroisie,
Source des sublimes transports;
Et, grâce au malheur qui me presse,
De cette coupe enchanteresse
Ma soif n'a touché que les bords!

Consolateurs de ma retraite,
Nobles écrits, livres charmans,
Ah! pour vous aussi je regrette
Une jeunesse de tourmens;
Mais voudrais-je qu'un art habile
Rendit à mon ombre débile

Ces ans qu'on traîne sans jouir?
Non, plutôt la mort dévorante,
Que ces longs jours, flamme expirante
Toujours prête à s'évanouir.

Reine de cette poésie,

Au chant fier ou plein de douceur,

Toi que mes vœux avaient choisie

Dans le cœur brillant des neuf Sœurs, Déesse de l'hymne lyrique,

Si pour moi ton vol pindarique

N'a plus d'ailes ni de flambeaux,

Laisse à ma cendre inanimée

Cette tardive renommée

Qui vole du pied des tombeaux.

Gilbert, que je plains ton délire!
Fuyant le monde qui te fuit,
Ton regard languissant expire
Tourné vers l'éternelle nuit ;
Moins grand, mais plus digne d'envie,
Je meurs en regardant la vie :
Chers amis, j'y vois vos transports:
Mon art vous prête sa magie,

Et vous soupirez l'élégie

Dont les échos sont chez les morts.

Venez, la tête couronnée,

Ainsi qu'aux pompes d'un festin,

Saisir ma lyre abandonnée

Pour l'heure où m'attend le destin.

Bercez-moi de rians mensonges;

Prenez les traits aériens,

Et pendant mes rêves de gloire
S'ouvrira la porte d'ivoire

Qui rend des sons élyséens.

J'entends votre voix empressée ; tu fais nos adieux.

Art des vers,

Quoi ! de ma lyre délaissée

Partent ces chants mélodieux !
O prestige! ô douce merveille!
Poursuivez; mon âme s'éveille :
Sous des fleurs vous cachez mon sort;
Et votre bienfaisant hommage

Répand un céleste nuage

Sur le front glacé de la Mort.

DORANGE.

SUR LA MORT.

CETTE Mort, dont la main sûre

Met un terme à nos travaux,
Est l'abri que la nature
Nous donna contre les maux.
Quoi! son aspect t'épouvante?
Ah! mortel, songes-y bien;
Future, elle te tourmente;
Présente, elle n'est plus rien.
Les frayeurs qu'elle a données
En font l'unique tourment;
Crainte depuis tant d'années,
Elle passe en un moment.

Tout meurt, tout fuit, tout s'écroule ;
Tout a souffert, expiré;

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