Images de page
PDF
ePub

minait en proclamant que la majorité était attachée à des principes, mais qu'elle ne suivait pas les personnes.

M. Thiers essaya de réduire la question à des termes simples et clairs. Et d'abord, disait-il, est ce que, dans un gouvernement constitutionnel, une défaite est pour un Cabinet uneorigine parlementaire? Est-ce que, si l'on passe en revue les succès du Cabinet, on ne trouve pas partout des marques de sa faiblesse ? C'est ainsi que son système avait été approuvé à la majorité de 4 voix.

Le Cabinet semblait donc dire à la Chambre, continuait l'orateur, vous ne voulez pas me louer, je me résigne; mais ne me blâmez pas, je reste. »

Et il ajoutait ces remarquables paroles sur la situation da ministère :

. Je crois que si nous nous sommes trompés au commencement, et je suis convaincu que non, si nous avons été téméraires à votre égard, si nous avons prononcé trop tôt que vous n'étiez pas parlementaires, ce qui se passe sous nos yeux nous excuserait complètement. Et ici, sans renouveler ce qui a été dit sur l'influence relative des membres d'un Cabinet, sur la proportion des influences qui doit exister entre les deux Chambres dans le choix des ministres, sans rappeler tout ce qui a été dit à ce sujet, je crois, avec beaucoup de justesse, je pense que le Cabinet actuel n'a pas la force, et il ne s'agit pas ici de talent, n'a pas, dis-je, la force politique, la force parlementaire, la force d'influence, de volonté, de caractère, qu'un Cabinet doit avoir la force d'influence, de caractère, de volonté, je le répète, qu'il faut avoir lorsqu'on est à la tête d'un gouvernement. Je dirai que dans l'administration en général, toujours la première condition d'un ministère, c'est la volonté, c'est, à la suite de cette volonté, des volontés qui s'associent à elle; sans cela il n'y a pas d'administration possible, il n'y a pas d'harmonie entre les pouvoirs, il n'y a pas de sécurité pour nos libertés, il n'y a pas de súreté pour la couronne. Je dis qu'entre l'administration et les Chambres, par exemple, il faut une volonté qui s'interpose, il faut que tous les agents de l'administration soient couverts, il faut que tous sachent que s'ils ont excité des plaintes de leurs députés dans leurs départements, ils sont couverts par le ministre de l'intérieur; il faut que l'armée sache qu'il y a à sa tête une volonté forte, une volonté juste qui la dirige; il faut que, lorsqu'une question est agitée dans une Chambre, et que dans l'autre l'opinion contraire prévaut, un ponvoir puissant intervienne entre les deux Chambres.

Il ne faut pas qu'un pouvoir mette les deux Chambres face à face, il faut au contraire que le pouvoir s'interpose entre les deux; sans quoi il arrive ce que vous avez vu dans la question des rentes. Quand le ministère s'efface, quand il met deux Chambre face à face, il compromet l'harmonie des pouvoirs.

Et dans cette question, M. Thiers revendiquait, pour lui et pour tous, la liberté de dire que tel acte politique était bon ou mauvais, et que d'ailleurs les pouvoirs entre eux se devaient un langage ferme, sincère et respectueux. Qui donc, en effet, avait perdu la restauration ? n'était-ce pas ceux qui s'étaient tus pendant qu'elle s'acheminait vers l'abîme.

M. le président du Conseil, dont le courage et l'éloquence ne faillirent pas un instant dans toute cette longue discussion, repoussa encore le reproche fait au pouvoir d'être anti-parlementaire, et fit ingénieusement observer que l'Adresse de la commission rédigée par les prétendus chefs de la majorité parlementaire, avait été détruite pièce à pièce par un ministère insuffisant. M. Thiers, ajoutait le ministre, avait avancé qu'un pouvoir était sorti ou tendait à sortir de ses limites, et que le concours n'était offert à la couronne que conditionnellement; il y avait là pour l'avenir au moins un avis, une leçon, si ce n'est un blâme explicite. Venaient ensuite quelques mots sur la responsabilité morale. M. Molé maintenait qu'elle s'accomplit, et se reconnaît lorsque la majorité se retire d'un ministère. Dureste, il ne pensait pas que la Chambre, après avoir acquitté sur tous les points la politique du 15 avril, laisserait subsister le blâme dans le dernier paragraphe de l'Adresse.

M. Odillon-Barrot déplorait la pénible agonie dans laquelle le ministère épuisait ses forces et y cherchait en vain la dignité et la vérité d'un gouvernement représentatif. Le Cabinet ne devait-il pas accepter franchement la question comme elle était posée dans tout le parlement, sans se ré

fugier derrière des questions de personnes et de passions? finir ainsi, c'était mal couronner une administration.

La discussion épuisée, on procéda auscrutin, qui donna en faveur de l'amendement de MM. Debelleyme, de Jussieu et de la Pinsonnière 222 boules blanches contre 215 boules noires (différence pour l'adoption, sept suffrages). On passa ensuite à l'ensemble de l'Adresse, telle que l'avaient faite les amendements substitués au projet de la commission; 221 voix contre 208, constatèrent le succès du Cabinet; mais les 13 voix qui l'avaient proclamé, présentaient une majorité si faible, les effors de la coalition avaient été si opiniâtres et si habilement dirigés, que le ministère ne pouvait plus désormais se faire illusion: son existence était plus que menacée.

[ocr errors]

21 Janvier. La séance suivante fut consacrée à des travaux dont le calme dût contraster avec les orages des jours précédents. M. Piscatory réclama contre la rédaction actuelle des procès-verbaux de la Chambre, se plaignant de ce que les discours des ministres, modifiés dans le moniteur, étaient ainsi insérés textuellement dans le procèsverbal. Le procès-verbal était un document sérieux, et les discours des Cabinets devaient y être résumés par les secrétaires-rédacteurs, comme tous ceux des membres de la

Chambre.

M. Salvandy insista pour que l'usage ancien prévalût en attendant la révision du règlement dont, sur la proposition de M. Larabit, on devait précisément s'occuper.

Or, dans l'opinion de M. Desmousseaux de Givré, ce règlement avait besoin d'être entièrement refondu. En effet, il était atteint de trois vices principaux : le premier, c'était d'exiger un temps trop long pour la vérification des pouvoirs, ce qui n'avait pas lieu en Angleterre dans la Chambre des communes; le second, c'était de n'être pas conçu dans la vue de tempérer les débats législa

tifs et d'être rempli de dispositions qui tendent au contraire à les irriter; enfin le troisième, c'était d'avoir méconnu la fonction politique de la Chambre, en nuisant à la formation d'une majorité et d'une opposition bien distinctes.

[ocr errors]

22 Janvier. Les premiers articles du réglement qui ne portaient que sur des détails purement intérieurs, furent ensuite adoptés.

Puis M. Desmousseaux de Givré présenta quelques observations relatives à la nécessité d'un costume pour le président, corroborant son opinion par cette considération, qu'il faut donner un signe réel et un caractère à l'autorité publique. M. Cunin-Gridaine venait de remplacer au fauteuil, M. Dupin, fatigué par les débats de l'Adresse. L'orateur se prévalut de cet incident pour déclarer que toute autre fonction lui paraissait incompatible avec celle du président de la Chambre. Ni la cour de cassation, ni la Chambre ne pouvaient se contenter d'une moitié de président, quels que fussent son talent et sa puissance de travail. La conclusion de ce discours était le renvoi à la commission,

Le général Demarçay n'admettait pas, comme l'avait prétendu le préopinant, que l'usage anglais, de parler au président plutôt qu'à la Chambre, fùt préférable au

nôtre.

A l'occasion de l'art. 12, M. Jollivet se plaignait du temps que perdait la Chambre à préparer l'Adresse. La longueur des sessions devait compromettre l'existence du gouvernement représentatif. Ne pouvait-on pas, dans l'intervalle qui s'écoule entre le jour où le roi prononce le discours du trône et le jour où la discussion commence, préparer la réponse. Le temps que la Chambre a employé à la préparation de l'Adresse par une commission, ajoutait l'orateur, serait pu être employé plus utilement.

On aurait pu discuter et voter des lois urgentes, par exemple, la loi sur les sucres; tandis qu'ayant passé vingtun jours à préparer l'Adresse, et quinze à la débattre, on voterait, sans discussion suffisante, les lois les plus importantes. Vous aurez, continuait l'honorable député, vous aurez consacré trente-six jours à l'Adresse, et vous n'en donnerez que six au budget.

Chaque pays, répliqua M. Fulchiron, a ses avantages et ses inconvénients. En France, la vanité multiplie les projets d'Adresse, et il faut les examiner lentement dans tous les bureaux, au lieu que la Chambre des communes, scindée en deux parties bien distinctes, n'essaie que deux projets et se décide, sans retard, pour l'un d'eux. De plus, l'Adresse, en Angleterre, n'est, depuis des siècles, qu'une vaine formalité; mais, en France, les Adresses ont une haute portée politique et gouvernementale. Or, une Adresse adoptée dans cinq bureaux, pouvait être rejetée par la Chambre; en sorte que cette méthode allongeait le travail loin de l'abréger. Par ces raisons l'orateur rejetait l'article et les amendements.

Ici M. Vivien, rapporteur, proposa de nouvelles modifications à faire subir au réglement. Comme les bureaux étaient formés par le sort, et que la commission d'Adresse émanait de ces bureaux, il arrivait assez souvent que la majorité des bureaux ne représentait pas la majorité de la Chambre, et alors il en résultait les inconvénients signalés par les précédents orateurs; on y porterait remède si l'on donnait à tout député le droit de soumettre aux bureaux un projet d'Adresse; car alors une journée suffirait pour examiner les Adresses, et on ne recourrait à une commission que si, par hasard, aucun des projets n'était adopté, ce qui serait un cas fort rare.

M. Odillon-Barrot voyait du danger dans la suppression Ann. hist. pour 1839.

7

« PrécédentContinuer »