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CHAPITRE VI I.

Du magistrat unique.

UN tel magistrat ne peut avoir lieu

que

dans

le gouvernement despotique. On voit, dans l'histoire romaine, à quel point un juge unique peut abuser de son pouvoir. Comment Appius, sur son tribunal, n'auroit-il pas méprisé les loix, puisqu'il viola même celle qu'il avoit faite (1) Tite-Live nous apprend l'inique distinction du décemvir. Il avoit aposté un homme qui réclamoit devant lui Virginie comme son esclave; les parens de Virginie lui demandèrent qu'en vertu de sa loi, on la leur remît jusqu'au jugement définitif. Il déclara que sa loi n'avoit été faite qu'en faveur du père, et que, Virginius étant absent, elle ne pouvoit avoir d'application (2).

(1) Voyez la loi II, §. 24, ff. de orig. jur.

(2) Quòd pater puellæ abesset, locum injuriæ esse ratus, Tite-Live, décade I, liv. III.

CHAPITRE VIII.

Des accusations dans les divers gouvernemens.

A Rome (1), il étoit permis à un citoyen

d'en accuser un autre cela étoit établi selon l'esprit de la république, où chaque citoyen doit avoir, pour le bien public, un zèle sans bornes; où chaque citoyen est censé tenir tous les droits de la patrie dans ses mains. On suivit, sous les empereurs, les maximes de la république ; et d'abord on vit paroître un genre d'hommes funestes, une troupe de délateurs. Quiconque avoit bien des vices et bien des talens, une ame bien basse, et un esprit ambitieux, cherchoit un criminel dont la condamnation pût plaire au prince; c'étoit la voie pour aller aux honneurs et à la fortune (2), chose que nous ne voyons point parmi nous.

Nous avons aujourd'hui un loi admirable; c'est celle qui veut que le prince, établi pour faire exécuter les loix, prépose un officier dans chaque tribunal, pour poursuivre, en son nom, tous les crimes: de sorte que la fonction des délateurs est inconnue parmi nous; et, si ce vengeur public étoit soupçonné d'abuser de

(1) Et dans bien d'autres cités.

(2) Voyez, dans Tacite, les récompenses accordées à ces délateurs.

son ministère, on l'obligeroit de nommer son dénonciateur.

Dans les loix de Platon (*), ceux qui négligent d'avertir les magistrats, ou de leur donner du secours, doivent être punis. Cela ne conviendroit point aujourd'hui. La partie publique veille pour les citoyens; elle agit, et ils sont tranquilles.

CHAPITRE IX.

De la sévérité des peines dans les divers
gouvernemens.

LA sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu'à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l'honneur et la

vertu.

Dans les états modérés, l'amour de la patrie, la honte et la crainte du blâme, sont des motifs réprimans, qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d'une mauvaise action. sera d'en être convaincu. Les loix civiles y corrigeront donc plus aisément, et n'auront pas besoin de tant de force.

Dans ces états, un bon législateur s'attachera moins à punir les crimes, qu'à les prévenir; il s'appliquera plus à donner des mœurs, qu'à infliger des supplices.

(*) Liv. IX.

C'est une remarque perpétuelle des auteurs chinois (*), que plus, dans leur empire, on voyoit augmenter les supplices, plus la révolution étoit prochaine. C'est qu'on augmentoit les supplices à mesure qu'on manquoit de

mœurs.

Il seroit aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les états d'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'est plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays despotiques, on est si malheureux, que l'on y craint plus la mort qu'on ne regrette la vie; les supplices y doivent donc être plus rigoureux. Dans les états modérés, on craint plus de perdre la vie qu'on ne redoute la mort en elle-même; les supplices qui ôtent simplement la vie, y sont donc suffisans.

Les hommes extrêmement heureux, et les hommes extrêmement malheureux, sont également portés à la dureté; témoins les moines et les conquérans. Il n'y a que la médiocrité et le mêlange de la bonne et de la mauvaise fortune, qui donnent de la douceur et de la pitié.

Ce que l'on voit dans les hommes en par ticulier, se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages qui mènent une vie très-dure, et chez les peuples des gouvernemens

(*) Je ferai voir dans la suite que la Chine, à cet égard, est dans le cas d'une république, ou d'une monarchie.

despotiques où il n'y a qu'un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel. La douceur règne dans les gouvernemens modérés.

Lorsque nous lisons, dans les histoires, les exemples de la justice atroce des sultans, nous sentons, avec une espèce de douleur, les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernemens modérés, tout, pour un bon législateur, peut servir à former des peines. N'est-il pas bien extraordinaire qu'à Sparte, une des principales fût de ne pouvoir prêter sa femme à un autre, ni recevoir celle d'un autre, de n'être jamais dans sa maison qu'avec des vierges? En un mot, tout ce que la loi appelle une peine, est effectivement une peine.

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