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second, dans les descendans des habitans de la Gaule. Mais ce changement du Gaulois, sous la domination Romaine, n'a rien d'étonnant, si l'on se rappelle ces autres mots: La nation Gauloise sait à merveille imiter tout ce qu'elle voit faire.

Cette natton flexible & imitatrice s'était pliée aux mœurs graves & sérieuses des Romaines; elle s'était composée sur leur caractere, & sans doute se serait formée une langue plus douce & plus analogue à la Latine; mais lorsque les Francs subjuguerent les Gaules, ils détruisirent ce commencement de civilisation qu'y avaient apporté les Romains; ils éteignirent ces lueurs de goût & d'éloquence qui avaient percé parmi les Gaulois, & dont on a fait des éloges sans doute exagérés quand on a grossierement figuré l'éloquence Gauloise sous la forme d'un Hercule qui, par une chaîne suspendue à sa langue, & dont les deux bouts étaient attachés aux oreilles des peuples, les tirait après lui; car, si l'on s'en rapporte à l'orateur Romain, les Gaulois étaient naturellement très-vains & très-fanfarons.

Le Gaulois perdit bientôt le goût des mœurs du Romain vaincu, pour adopter celles du vainqueur, plus conformes à son ancien caractere; il adopta aussi le mépris brutal que les Francs avaient pour le Romain, & dont on voit des preuves évidentes dans leurs lois pénales *. La langue Latine cessa donc bientôt d'être usuelle dans les Gaules, & fut reléguée parmi les Clercs où elle se corrompit. Il serait curieux de

retombent bientôt dans les mêmes fautes. . . . Le grand Dieu des Gaulois est Mercure, le patron des marchands & des voleurs. (On sait que les Gaulois, adorateurs de Mercure, pillerent à Delphes le temple d'Apollon).

* Le Franc, qui avait tué un citoyen Romain, ne payait que mille cinquante deniers; & le Romain payait, pour le sang d'un Franc, deux mille cinq cents deniers.

démêler

démêler lequel eut le plus d'influence du Gaulois ou du Franc, dans la composition de la nouvelle langue Romane, si les moyens d'instruction ne nous manquaient à cet égard. Il est à présumer que le Gaulois, déjà un peu cultivé, fournit les mots les plus doux & les plus sonores, & que les plus dars & les plus barbares nous viennent des Francs. Mais ils s'accorderent à former ce nouveau langage sur un systême tout différent de celui des langues anciennes. Nous verrons ailleurs comment l'influence méridionale distingua particulierement la romane Provençale de la romane Française.

Les Francs ne connaissant que la guerre & la faisant tou→ jours, laissant les travaux champêtres à des serfs, n'ayant aucune idée des mœurs pastorales, ni des beaux-arts, ni des autres douceurs de la société ; leur caractere étant une impétuosité brusque, vaine & fiere; leurs oreilles étant insensibles à ces terminaisons douces & sonores des mots Latins, & leur voix, à la fois rude & prompte, ne s'accommodant point de cette lenteur harmonieuse de prononciation qui distingue les belles langues, il leur fallait un langage conforme à la volubilité de leur organe, volubilité dont les Français ne se sont jamais bien corrigés. Leur génie était donc d'abréger tous les mots qu'ils empruntaient; de là vient cette quantité prodigieuse de monosyllabes Français. Peut-être étaient-ils à moitié sourds aux terminaisons des mots, à ces finales si heureuses pour lier les consonnes par des voyelles, & pour éviter le choc des syllabes rudes. Peut-être leur oreille n'entendait-elle que la syllabe sur laquelle la voix appuyait davantage. Quoiqu'il en soit, il est certain que tout leur art de la parole se borna d'abord à l'abbréviation & à la contraction. En voici des exemples qu'on pourrait multiplier à l'infini, & dont nous rejetterons la plupart dans une note*. Dans le mot Latin dam

Aurum, or; collum, col; sinus, sein; finis, fin; mollis, mol; fortis, fort; malum, mal; unquam, onc; versus, vers;

VOL. XXXT.

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num

num,

ils n'ont pris que la premiere syllabe dont ils ont fait dam; de brachium, bras; de troncus, tronc; de donum. don; de nomen, nom; de filum, fil; de lacus, lac; de laqueus ils avaient fait encore laq; & pour le distinguer du premier, on fit ensuite le mot las. Quelle rudesse de prononciation ne fallut-il pas employer pour faire sentir la différence de porc venu de porcus, avec port abrégé de portus! de nudus, la même abbréviation fit nud; de crudus, crud; de solum, sol; de solidum, sol encore, & ensuite sou; de græcus, grec; de sanguis, sang; unus, un; grandis, grand; longus, long; tempus, temps; tantum, tant; centum, cent; sonus, son; bonus, bon; quando, quand; ventus, vent; annus, an; &c.

Qu'est-il résulté de ces abbréviations? une prononciation seche, brusque, sourde & nazale, inconnue aux anciens, & même à la plupart des peuples méridionaux de nos tems modernes; car si les Italiens & les Espagnols, en formant leurs mots du Latin, n'en ont pas pris toutes les finales, ils en ont conservé quelques-unes, & leur en ont donné d'autres tout à fait opposées à la nazalité gauloise. En cela ils étaient avertis & guidés par une oreille plus musicale. Qu'y a-t-il en effet de plus contraire à l'harmonie que cette foule de terminaisons sourdes & nazillardes qui s'opposeront toujours à la naissance d'une bonne musique vocale, & qui donnent la torture aux bons faiseurs de vers?

ferrum, fer; fundus, fonds; promptus, prompt; corpus, corps; purus, pur; durus, dur; fatuus fat; cautus caut, dont on a fait depuis cauteleux,; caput, cap (armé de pied en cap); homo, hom, qu'on écrivait d'abord sans e muet, d'où est venu la particule on, &c. On verra, lorsque nous parlerons des mots composés, que le même génie, dévorateur des voyelles, y a présidé. Quant aux mots, formés du Grec par des hommes plus instruits & mieux organisés, on y remarquera un autre systême.

Dans

Dans cette contraction des syllabes, il y a toute apparence que les Francs ou Gaulois se conformerent quelquefois à la prononciation Latine. Par exemple, de multum, ils firent moult, qui est la premiere syllabe du mot prononcée à l'ancienne maniere; c'est encore celle des Italiens, des Espagnols & des Allemands, De surdus, fut fait de même sourd; moust de mustum, vin doux; de curtus, court; de cursus, cours; & de curia, cour encore; de lupus, loup; ursus, ours; dulcis, doux; gustus, goût, &c. &c. Les Latins donnaient sans doute au v le son de l'f, puisque brevis a fait naître bref; cervus, cerf; servus, serf; ovum, œuf; & autres semblables.

Quant aux monosyllabes Latins qui n'étaient pas en grand nombre, nous les avons pris souvent tels qu'ils étaient comme absolument conformes à notre génie monosyllabique, & je ne sache pas que nous en ayons allongé beaucoup *. Notre vieux mot los était pris de laus; non, de non, en lui donnant le son nazal. Et Latin a fourni et Français; qui, qui; sub, sous, qu'on écrivait autrefois soubs ;'si, si; plus, plus; pars, part; ars, art; jam, jà, en le raccourcissant encore; mons, mont; frons, front; pons, pont, en ôtant ce qu'il y avait de doux dans I's qui termine ces derniers mots. De mors, on a fait mort, & par pauvreté, de mortuus, le même mot, mort.

Nous donnerons par la suite de plus amples détails sur la formation des mots, & nous verrons comment les fabricateurs de notre langue ont été plus heureux en d'autres occasions. Continuons à la considérer dans son caractere primitif. Ce caractere, comme on Fa vu, était la rudesse & l'âpreté; ce fut le seul, durant plusieurs siecles; il s'est conservé dans la plupart des mots dont nous nous servons encore, & que l'art des plus habiles écrivains n'a pu adoucir; en un mot, si nous ne

Nous avons formé heureusement soleil de sol; airain, de as, aris; mais il paraît qu'on les a tirés du génitif.

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sommes pas restés barbares, c'est à une douzaine d'hommes de génie & de goût que nous devons en rendre grâces.

Le grand nombre de monosyllabes, les consonnes rudes étouffant les voyelles dans le même mot, les diphtongues multipliées, les syllabes sourdes & nazales, les terminaisons seches ou dures & mal sonnantes, tout annonce un langage formé par un peuple mal organisé, & d'un naturel brutal. Les belles langues ne peuvent être créées que par des hommes sensibles aux charmes de la musique, & dont l'oreille juste & délicate sert à regler les sons d'une voix flexible & harmonieuse. Or, jamais les Francs n'eurent l'oreille musicale, ni le véritable goût de la musique. On sait que Charlemagne voulut envain le leur inspirer. Le vice de la nature était trop puissant. Ce ne fut, par la suite, qu'à force de culture & d'éducation, qu'on parvint à former l'oreille des Français; encore n'ont-ils jamais eu de musique nationale; ce sont des Italiens & des Allemands qui leur ont fait goûter une musique étrangere; & peut-être le sentiment & le génie de cet art sont-ils encore étrangers au peuple Français.

On a observé que, par la maniere dont ils contractaient les mots du Latin, ils n'étaient nullement sensibles à la douceur des voyelles; il semble que leur bouche se plaisait, pour ainsi dire, à broyer des consonnes, comme dans ces mots perdre, dextre, ardre (brûler) de ardere, & autres semblables, où l'on voit trois consonnes de suite, insupportable vice de prononciation qu'on ne trouve point dans les langues harmonieuses*. Ils ne faisaient des mots que pour le besoin, jamais

* Cette prononciation était un défaut d'organe particulier. aux peuples du Nord; pour Hanover, ils disent Hanovre; statoudre pour statouder. Les Francs ont suivi cette habitude dans tous les mots semblables: d'asper, acer, alter, vester, noster, &c. ils ont fait apre, dcre, autre, vôtre, nótre, & un grand nombre de même espece. Nous verrons en quelles circonstances cette contraction a été plus heureuse.

pour

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