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tier. Le style de cette piece, sans être précisément celui que les maîtres de la scene ont assigné au genre de la comédie, étincelle de traits spirituels & piquans. L'exposition du sujet y est faite avec beaucoup d'art & de clarté, dans un premier acte, universellement loué; le dénouement est fort heureusement amené, & le personnage du Conciliateur, qu'il était assez difficile de ne pas faire rentrer dans celui du flatteur ou même de l'homme dissimulé, se trouve cependant à l'abri de ces reproches, par un caractere de franchise & d'honneur qui ne se dément point, genre de convenances que Demoustier devait saisir plus aisément que qui que ce soit, parce qu'il en avait le sentiment dans l'âme.

De tous les ouvrages qu'il a publiés, ces deux-ci me semblent avoir le plus contribué à sa réputation littéraire, & sous ce rapport, ils méritaient que je m'y arrêtasse un moment. Pour peu qu'on ait quelque connaissance des lettres ou du théâtre, on se rappellera facilement beaucoup d'autres productions de sa plume. Le reproche le plus général qu'on leur ait fait, est de dénoter beaucoup trop d'esprit; genre de réproche qu'au surplus il n'a pas été donné à tout le monde de mériter.

Tant d'occupations littéraires ne permettaient que rarement à Demoustier de se produire dans le monde. Ceux qui ont pu le voit dans la société, savent cependant quel charme il y apportait, moins encore par les agrémens & l'urbanité de son esprit, que par une attention constante à fair valoir celui des autres, par cette politesse du cœur qui ne pourrait pas louer dans autrui ce qui serait blâmable, mais qui chercherait à excuser tout ce qui pourrait ne pas être louable, politesse non factice qui donnait à sa conversation, à son maintien, à ses traits, à son silence même une disposition de bonté & de bienveillance universelle.

I)

Il apportait encore des qualités plus précieuses dans des liaisons plus intimes. Ceux qui l'ont connu dans cette intimité, savent qu'il avait ensemble les procédés & les grâces de Í'amitié. Au milieu de toutes les variations qu'amene la vie frivole & agitée de Paris, il avait conservé l'amitié de plusieurs de ses camarades de collége, parmi lesquels je puis nommer les CC. Legouvé, Collin-d'Harleville, membres de l'Institut, & Deshayes, chef de bureau, à l'intérieur. La constance de ses goûts ne permet pas de douter qu'il n'eût prolongé jusqu'à une longue vieillesse ces liaisons de l'enfance, & que l'amitié n'eût fait la consolation de ses derniers jours, comme elle avait fait le charme des premiers.

Cette ressource nous a été enlevée. Demoustier souffrait des long-tems d'une affection de poitrine qui dataît de l'enfance & dont on attribue la cause à une chûte violente faite au collége, dans laquelle il se brisa une côte. Le peu de soins qu'il prenait de lui-même, & l'assiduité de ses travaux, ne firent probablement qu'étendre les progrès du mal; on s'apercevait même que depuis quelque tems il se livrait à cette mélancolie vague qui parait être un des symptômes les plus inquiétans des maladies chroniques; enfin au milieu de l'été dernier, dans un de ces momens' d'angoisse où le malade frappé par de secrets pressentimens, croit sentir la vie prête à lui échapper; dans ces momens où, par un dernier besoin, le cœur se tourne vers les êtres qui nous ont fait le plus de bien, ou du moins que nous avons le mieux aimés, Demoustier se détermina à quitter Paris, où le soin de sa santé, les instances de ses amis, le souvenir de ses succès, auraient pu le retenir; le chantre de l'Amour-Filial voulut en être aussi le héros; il alla, tout souffrant qu'il était, se réunir à sa mere, qui vivait à Villers-Coterets.

Le bonheur qu'il se promettait de cette réunion ne put lui rendre la santé; ses forces s'affaiblirent de jour en jour, & après avoir parcouru, avec beaucoup de douleurs, toutes les

périodes

périodes de la pulmonie, il mourut entre les bras de sa mere, à Villers-Coterets, le 3 Mars, emportant les regrets & l'estime de tous ceux qui l'avaient connu.

Pour offrir quelques consolations à ceux qui ne regrettent en lui que l'écrivain, je dois prévenir qu'il laisse plusieurs ouvrages manuscrits. En voici les titres: Un ouvrage en vers intitulé: Galerie du XVIIIe. siecle, dont plusieurs morceaux ont été lus aux séances publiques de l'Institut; un Cours de Morale en vers & en prose, dans le genre des Lettres à Emilie; un ouvrage également en vers & en prose, ayant pour titre la premiere Année du Mariage; des Lettres à Emilie şur l'Histoire; un ouvrage intitulé: des Consolations; une comédie en cinq actes & en vers, qui allait être lue aux Français, &c. &c.

Je n'ai pu refuser à un profond sentiment de mon ame l'éloge que j'ai fait ici des qualités morales & des vertus modestes d'un homme que j'aimais avec tendresse; mais en relisant cette Notice il m'a semblé que je ne rendais point assez justice à ses talens littéraires, & je crains, je l'avoue, d'avoir ressemblé à ce juge qui iedoutait tellement d'être partial, qu'il faisait toujours perdre leur cause à ses meilleurs amis.)

VINCENT CAMPENON.

(On vient de publier à Paris une nouvelle édition des Lettres à Emilie sur la Mythologie, corrigée & augmentée par l'auteur, imprimée avec beaucoup de soin par Didot, avec 37 gravures, en 6 volumes in-8vo. On en a aussi fait une jolie petite édition portative en 6 volumes in-18.

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Du Génie de la Langue Française, par Clément.

§. I.—Idées Générales sur le Génie des Langues. Tant que le langage humain n'est autre chose que l'expression des premiers besoins, il ne differe pas beaucoup de celui des autres animaux. Parmi les Sauvages absolument isolés, il se borne à des cris, ou sons inarticulés : mais cet état de l'homme entierement solitaire & sauvage est rare, & dure peu. L'auteur de tous les êtres, en douant l'être humain de la pensée & de l'organe de la parole, a voulu qu'il fut bientôt social; il a fait, de ces qualités & des affections conjugales & paternelles, les élémens de la société. La famille est la souche de l'arbre social.

On a remarqué que les mots qui expriment les premiers sentimens, de la nature, les relations du pere, de la mere & de l'enfant, sont à peu près les mêmes chez tous les peuples. Il en résulte que les premiers élémens sociaux sont aussi les premiers élémens du langage, & que l'homme, en sortant des mains de la nature, suit par-tout la même impulsion qu'elle lui donne pour les premiers développemens de ses affections & de ses pensées.

Cette impulsion naturelle, par-tout la même, forme la naïveté des sentimens & du langage. Ainsi toutes les langues primitives sont naïves, principalement dans l'expression des affections naturelles. Les peuples, que l'amour de la famille a gouvernés le plus long-tems sous l'empire des mœurs patriarchales, ont eu les couleurs du langage les plus naïves pour peindre les sentimens que ces mœurs avaient fait naître. Les livres Hébreux sont très-naïfs dans la peinture de tous les objets relatifs à la vie des patriarches. C'est parmi eux que le langage s'est formé avec plus de douceur & d'abondance: le loisi

VOL. XXXI.

B

loisir & le repos de la vie pastorale, le rapprochement continuel des familles ont développé tous les sentimens & toutes les formes les plus naturelles pour les exprimer. Les sociétés les plus policées n'ont rien ajouté au langage, dans cette partie; au contraire, elles ont dû l'affaiblir à mesure que la dissipation des mœurs éloignait de la vie de famille. Plus elles ont perdu les mœurs naïves, plus elles ont vu s'effacer de leur langage le caractere primitif de la naïveté.

Les peuples qui ont moins cultivé l'esprit de famille, comme les peuples nomades, ou chasseurs, n'ont jamais eu un langage aussi doux, aussi naïf, aussi abondant, que les peuples dont les mœurs furent pastorales. Les nations qui doivent leur origine aux peuplades vagabondes, en ont hérité les élémens d'une langue âpre, rude & barbare; elles ont eu beau se civiliser, & s'exercer dans les arts; elles ont pu adoucir, elles n'ont pu changer le vice originel de leur langage; les vestiges de l'ancienne barbarie percent de tous côtés, même à travers l'élégance la plus soignée; on trouve toujours dans ces langues, nées pour ainsi dire féroces, une grande infériorité en douceur, en naïveté, à des langues moins cultivées d'ailleurs, mais dont l'origine a été plus pure & plus conforme à la nature humaine. Toute l'élégance moderne n'a rien de comparable aux livres Hébreux de Ruth, de Tobie, de Joseph, pour l'expression des sentimens naturels qu'inspiraient les mœurs patriarchales.

Le génie des langues tient donc immédiatement aux caracteres des peuples, & le caractere de chaque nation dépend du climat qu'elle habite, de sa religion, de son gouvernement, de ses mœurs. Plus les organes d'un peuple auront été assouplis par la douceur du climat, plus sa langue sera flexible, sonore, délicate & mélodieuse. Si les mœurs sont pastorales & champêtres, la langue est abondante en expressions heureuses à peindre les différens objets de la nature, Les mots qui sont rustiques chez un peuple où les travaux de la campagne sont

abandonnés

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