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Vous du si petit nombre à qui sied l'archet d'or,

Souvenirs que par vous il vaut mieux qu'on entende, Du premier jour au cœur m'ont fait Rome plus grande!

ÉLÉGIE.

Pour de lointains pays (quand je devrais m'asseoir)
Je vais, je pars encor : que veux-je donc y voir?
Est-ce des nations la pompe ou les ruines?
Est-ce la majesté des antiques collines

Qui me tente à la fin et me dit de monter?

Est-ce l'Art, l'Art divin, qui, pour mieux m'enchanter,
Pour remplir à lui seul mon âme tout entière,
Veut que je l'aille aimer sous sa belle lumière?
Est-ce aussi la nature et ses calmes attraits
Qu'il m'est doux une fois de posséder plus près,
Aux lieux mêmes chantés sur les lyres humaines,
Dans le temple des bois, des monts et des fontaines?
Oui, certes, tout cela, nature, art et passé:
J'aime ces grands objets; mon cœur souvent lassé
Se sent repris vers eux de tristesse secrète.
Mais est-ce bien là tout? est-ce ton vou, poëte?
Autrefois, sur la terre, à chaque lieu nouveau,
Comme un trésor promis, comme un fruit au rameau,
Je cherchais le bonheur. A toute ombre fleurie,
Au moindre seuil riant de blanche métairie,
Je disais: Il est là! Les châteaux, les palais,

Me paraissaient l'offrir autant que les chalets;

Les parcs me le montraient au travers de leurs grilles;
Je perçais, pour le voir, l'épaisseur des charmilles,
Et, dans l'illusion de mon rêve obstiné,

Je me disais le seul, le seul infortuné.

Aujourd'hui, qu'est-ce encor? quand ce bonheur suprême, L'Amour (car c'était lui), m'ayant atteint moi-même,

S'est enfui, quand déjà le souvenir glacé
Parcourt d'un long regard le rapide passé,

Quand l'avenir n'est plus, plus même le prestige,
Le doux semblant au cœur d'un piége qui l'oblige,
Je vais comme autrefois, et dans des lieux plus grands,
Et plus hauts en beautés, perdant mes pas errants,
Je cherche.... quoi? ces lieux? leur calme qui pénètre?
L'art qui console ?... oh! non... moins que jamais peut-être ;
Mais au fond, mais encor ce bonheur défendu,

Et le rêve toujours quand l'espoir est perdu!

A GEORGE SAND.

J'avais au plus petit, au plus gai mendiant,
Au plus gentil de tous, chantant et sautillant,
Vrai lutin gracieux qui s'attache et se moque,
J'avais lâché, le soir en rentrant, un baïoque :
Et voilà qu'au matin, dès le premier soleil,
Quand Pestum espéré hâte notre réveil,
Voilà que dans la cour de l'auberge rustique,
Pareils à ces clients de l'opulence antique,
De petits mendiants, en foule, assis, couchés,
Veillaient, épiant l'heure et d'espoir alléchés.
Et quand le fouet claqua, lorsque trembla la roue,
Du seuil au marchepied quand notre adieu se joue,
Que de cris! tous debout, grimpés, faisant tableau,
Demi-nus, fourmillant, gloire de Murillo!
Et nous courions déjà qu'il en venait encore,
Les cheveux blondissant dans un rayon d'aurore;
Ils sortaient de partout, des plaines, des coteaux,.
Allègres, voltigeant, et de plus loin plus beaux,
Rattachés d'un haillon à la Grèce leur mère,

Purs chevriers d'lda, vrais petits-fils d'Homère,
Tous au son du baïoque accourus en essaim,
Comme l'abeille en grappe à la voix de l'airain.

Salerne.

SONNET.

J'ai vu le Pausilype et sa pente divine;
Sorrente m'a rendu mon doux rêve infini;
Salerne, sur son golfe et de son flot uni,
M'a promené dès l'aube à sa belle marine.

J'ai rasé ces rochers que la grâce domine,
Et la rame est tombée aux blancheurs d'Atrani :
C'est assez pour sentir ce rivage béni;

Ce que je n'en ai vu, par là je le devine.

Mais, ô Léman, vers toi j'en reviens plus heureux;

Ta clarté me suffit; apaisé, je sens mieux

Que tu tiens en douceurs tout ce qu'un cœur demande;

Et Blanduse et ses flots en mes songes bruiraient,
Si j'avais un plantage où, le soir, s'entendraient
Les rainettes en chœur de l'étang de Champblande !

SONNET.

Pardon, cher Olivier, si votre alpestre audace
Jusqu'aux hardis sommets ne me décide pas;
Si quelque chose en moi résiste et pèse en bas;
Si, pour un seul ravin, tantôt j'ai crié grâce!

Tous oiseaux à l'envi ne fendent tout l'espace,
Toutes fleurs n'ont séjour, passé de certains pas;
Si quelqu'une, plus fière, a doublé ses appas,
Il en est du vallon qui n'ont que là leur grâce.

N'en ayez trop dédain, quand vous les respirez.
Tout mon être est ainsi pas d'haleine trop haute;
Promenade aux coteaux, poésie à mi-côte,

C'est le plus, et de là j'ouïs les bruits sacrés.
Pourtant, pourtant j'ai vu, traîné par vous, cher hôte,
Sur Aï les cieux bleus que vous m'avez montrés '!

Lioson.

Lasciva capella.
VIRGILE.

C'est où ces dames vont promener leur caprice.
LA FONTAINE.

La chèvre m'avait vu, couché sous le sapin,

Faire honneur à ma gourde et trancher à mon pain;
Je repars, elle suit, folle et capricieuse,
Friande, je le crois, mais surtout curieuse :
A la montagne on est curieux aisément,
Et l'étranger qui passe y fait événement.
J'allais à travers clos, entre monts et vallées,
Me frayant le sentier aux herbes non foulées,
Broyant et gentiane et menthe et serpolet,
Enjambant les treillis de chalet en chalet :
Elle suivait toujours. Que faire? A chaque claie,
A chaque croisement et clôture de haie

Je passais, et du cri, du geste la chassant,
Je refermais l'endroit d'un triple osier puissant ;

1 Les Tours d'Aï, hautes cimes des Alpes Vaudoises.

Mais, à moitié du pré, regardais-je en arrière :
A huit pas lestement suivait l'aventurière,
D'un air de brouter l'herbe et les rhododendrons :
Mes pierres n'y faisaient et ne semblaient affronts.
J'enrageais. Autrefois, la bête opiniâtre

N'eût semblé que déesse et que nymphe folâtre;
J'y voyais, vers Paris malgré moi reporté,
Le malheur d'être aimé de certaine beauté.
Elle ne quittait pas ! Après mainte montagne,
Pour couper court enfin à ma vive compagne,
Et par l'idée aussi du pâtre au désespoir,
Quand il la chercherait vainement sur le soir,
J'avisai dans un pré la rencontre prochaine
D'une vieille faneuse à qui je dis ma peine,
Et qui, prenant en main la corne rudement,
Cria: Bête mauvaise! et finit mon tourment.

A la montagne ainsi, quand vous gagnez le faîte, Tout vous suit, tout du moins vous regarde et s'arrête. L'esprit lutin des monts s'en mêle, je le veux,

Mais aussi l'esprit bon, naïf et curieux.

Le montagnard d'abord vous questionne et cause;
Le papillon sur vous, comme à la fleur, se pose,
Loin du doigt meurtrier et de l'enfant malin;
L'abeille, à votre front, cherche un calice plein;
L'insecte vous obsède, et la vache étonnée
Interrompt sa pâture à demi ruminée,

Lève un naseau béant, et, tant qu'on soit monté,
Suit longtemps et de l'œil dans l'immobilité.

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