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Bat des rochers à tête grise,
Et de la vague qui se brise
Gémit l'éternelle clameur.

Sur une grève désolée,
Pour tromper mes ennuis amers,
Tout le jour, ma lyre exilée
Répétait sa plainte mêlée
Au bruit monotone des mers.

Si parfois, après la tempête,
Un rayon perçant le brouillard
Donnait au jour un air de fête,
Et, tombé d'en haut sur ma tête,
Me réchauffait comme un vieillard,

Ma bouche alors aimait redire
Un reste de songe amoureux;
Sur ma lèvre errait un sourire;
Un chant s'échappait de ma lyre,
Comme un écho des temps heureux.

Lieux de repos et de tristesse
Où j'espérais bientôt mourir,
De vous laisser qui donc me presse?
Quelle voix me parle sans cesse
Et de lutter et de souffrir?

C'est qu'on n'a pas pour tout partage

De soupirer et de rêver;

Que sur l'Océan sans rivage
Il faut poursuivre son voyage,
Dût-on ne jamais arriver.

Qu'importe que pour ma nacelle
Ne batte aucun cœur virginal?
Qu'aucune main chère et fidèle

Au haut du phare qui m'appelle
N'atlache en tremblant le fanal?

Qu'un soir, où ma voile attendue
N'aura point blanchi sur les flots,
Jamais une amante éperdue,
Près de mon cadavre étendue,
Ne le soulève avec sanglots;

Et puis de sa tête baissée
Tirant son long voile de deuil
N'en couvre ma tête glacée,
Et longtemps baisée et pressée
Ne la pose dans le cercueil?

Qu'importe? il faut rompre le cable;
Il faut voguer, voguer toujours,
Ramer d'un bras infatigable,
Comme vers un port secourable,
Vers le gouffre où tombent nos jours;

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Souvent, quand la brume abaissée
Obscurcira le ciel couvert,
Tu brilleras à ma pensée,
Étoile dans ma nuit placée,
O souvenir du mal souffert;

Et durant sa course nouvelle,
Mon âme prête à s'épuiser,
Vers le passé tournant son aile,
Comme une colombe fidèle,

Sur toi viendra se reposer.

A MON AMI V. H. (VICTOR HUGO.)

Entends-tu ce long bruit doux comme une harmonie, Ce cri qu'à l'univers arrache le génie

Trop longtemps combattu,

Cri tout d'un coup sorti de la foule muette,
Et qui porte à la gloire un nom de grand poëte,
Noble ami, l'entends-tu?

A l'étroit en ce monde où rampent les fils d'Ève,
Tandis que, l'œil au ciel, tu montes où t'enlève
Ton essor souverain,

Que ton aile se joue aux flancs des noirs nuages,
Lutte avec les éclairs, ou qu'à plaisir tu nages
Dans un éther serein;

Poussant ton vol sublime et planant, solitaire,
Entre les voix d'en haut et l'écho de la terre,
Dis-moi, jeune vainqueur,

Dis-moi, nous entends-tu? la clameur solennelle
Va-t-elle dans la nue enfler d'orgueil ton aile
Et remuer ton cœur?

Ou bien, sans rien sentir de ce vain bruit qui passe,
Plein des accords divins, le regard dans l'espace
Fixé sur un soleil,

Plonges-tu, pour l'atteindre, en des flots de lumière,
Et bientôt, t'y posant, laisses-tu ta paupière
S'y fermer au sommeil?

Oh ! moi, je l'entends bien ce monde qui t'admire.
Cri puissant! qu'il m'enivre, ami; qu'il me déchire!
Qu'il m'est cher et cruel!

Pour moi, pauvre déchu, réveillé d'un doux songe,
L'aigle saint n'est pour moi qu'un vautour qui me ronge
Sans m'emporter au ciel!

Comme, un matin d'automne, on voit les hirondelles
Accourir en volant au rendez-vous fidèles,

Et sonner le départ;

Aux champs, sur un vieux mur, près de quelque chapelle, On s'assemble, et la voix des premières appelle

Celles qui viennent tard.

Mais si, non loin de là, quelque jeune imprudente,
Qui va rasant le sol de son aile pendante,
S'est prise dans la glu,

Captive, elle entend tout: en bruyante assemblée
On parle du voyage, et la marche est réglée
Et le départ conclu;

On s'envole; ô douleur ! adieu plage fleurie,
Adieu printemps naissant de cette autre patrie
Si belle en notre hiver!

Il faut rester, subir la saison de détresse,
Et l'enfant sans pitié qui frappe et qui caresse,
Et la cage de fer.

C'est mon emblême, ami;.... mais si, comme un bon frère Du sein de ta splendeur à mon destin contraire

Tu veux bien compatir;

Si tu lis en mon cœur ce que je n'y puis lire,
Et si ton amitié devine sur ma lyre

Ce qui n'en peut sortir;

C'est assez, c'est assez : jusqu'à l'heure où mon ame, Secouant son limon et rallumant sa flamme

A la nuit des tombeaux,

Je viendrai, le dernier et l'un des plus indignes,
Te rejoindre, au milieu des aigles et des cygnes,
O toi, l'un des plus beaux!

SONNET.

Enfant, je m'étais dit et souvent répété :

<< Jamais, jamais d'amour; c'est assez de la gloire; «En des siècles sans nombre étendons ma mémoire, « Et semons ici-bas pour l'immortalité. »

Plus tard, je me disais : « Amour et volupté,

« Allez, et gloire aussi ! que m'importe l'histoire? « Fantôme au laurier d'or, vierges au cou d'ivoire, « Je vous fuis pour l'étude et pour l'obscurité. »

Ainsi, jeune orgueilleux, ainsi longtemps disais-je ; Mais comme après l'hiver, en nos plaines, la neige Sous le soleil de mars fond au premier beau jour,

Je te vis, blonde Hélène, et dans ce cœur farouche, Aux rayons de tes yeux, au souffle de ta bouche, Aux soupirs de ta voix, tout fondit en amour.

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