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Un jour plus pur va luire, et déjà c'est l'aurore;
Poëtes, à vos luths !... pourquoi tarder encore,
O vous, le plus charmani?

Sous quels doigts merveilleux la mélodie a-t-elle
Ou tissus plus soyeux, ou plus riche dentelle,
Ou plus fin diamant?

Fuyez des longs loisirs la molle enchanteresse;
La gloire est là (partez!) qui du regard vous presse
Et vous convie au jour :

Hâtez-vous; quelle voix plus tendrement soupire,
Et mêle dans nos yeux plus de pleurs au sourire
Quand vous chantez l'amour?

Mais un jeune homme écoute, à la tête pensive,
Au regard triste et doux, silencieux convive,
Debout en ces festins :
Il est poëte aussi; de sa palette ardente
Vont renaître en nos temps Michel-Ange avec Dante
Et les vieux Florentins.

Fraternité des arts! union fortunée!

Soirs, dont le souvenir, même après mainte année,
Charmera le vieillard!

Lorsqu'enfin tariront ces délices ravies,
Que le sort, s'attaquant à de si chères vies
(Oh! que ce soit bien tard!),

Aura mis à son rang le grand homme qui tombe
Et fait, comme toujours, un autel de sa tombe,
Alors, si l'un de nous,

Le dernier, le plus humble en ces banquets sublimes (Car le sort trop souvent aux plus nobles victimes Garde les premiers coups),

S'il survit, seul assis parmi ces places vides,
Lisant des jeunes gens les questions avides
Dans leurs yeux ingénus,

Et des siens essuyant une larme qui nage, Il dira tout ému des pensers du jeune âge : « Je les ai bien connus;

«Ils étaient grands et bons. L'amère jalousie << Jamais chez eux n'arma le miel de poésie «De son grêle aiguillon,

« Et jamais dans son cours leur gloire éblouissante «Ne brûla d'un dédain l'humble fleur pâlissante,

« Le bluet du sillon. »

Est-il besoin de faire remarquer que dans son Cénacle Joseph n'a introduit que quelques poëtes et un jeune et grand peintre réellement unis entre eux et avec lui par des rapports intimes d'amitié et de voisinage? Il n'a pu prétendre exclure d'un Cénacle idéal plus vaste et plus complet tant d'autres artistes qu'il ne nomme pas. (Note de l'éditeur,)

POUR UN AMI,

LA VEILLE DE LA PUBLICATION D'UN PREMIER OUVRage.

C'est demain, c'est demain qu'on lance,
Qu'on lance mon navire aux flots;
L'onde en l'appelant se balance
Devant la proue; amis, silence!
Ne chantez pas, gais matelots!

Demain je quitte le rivage
Où dormit longtemps mon radeau;
Là-bas m'attend plus d'un orage,
Plus d'un combat, quelque naufrage
Sur un banc de sable à fleur d'eau.

Oui, le naufrage! on touche, on sombre;
L'ouragan seul entend vos cris;

Puis le matin vient chasser l'ombre;
Sur le ciel bleu pas un point sombre,
Sur l'abîme pas un débris.

Ne chantez pas! quand même encore,
Sur mainte mer, sous maint climat,
Aux feux du soleil qui le dore,
Battu de la brise sonore,

Mon pavillon, au haut du mât

Déployant sa flamme azurée
Et ses immortelles couleurs,
Recevrait de chaque contrée,
En passant, la perle nacrée,
L'ivoire, l'encens ou des fleurs ;

Quand, ma voile au loin reconnue,
On verrait la foule à grands pas
S'agiter sur la grève nue,
Les forts saluer ma venue,
O mes amis, ne chantez pas!

Cela vaut-il ce que je laisse,
Tant de silence, et tant d'oubli;
Et ce gazon où la tristesse,
De mon âme éternelle hôtesse,
Inclinait un front recueilli ;

Alors que mon mât de misaine,
De la hache ignorant les coups,
Dans les grands bois était un chêne,
Et qu'au bruit de l'onde prochaine
Tout le jour je rêvais dessous ?

Oh! j'y versai plus d'une larme;
Mais les larmes ont leur douceur;

Mais la tristesse a bien son charme;
Son front à la fin se désarme,

Et c'est pour nous comme une sœur.

Point de crainte alors; sous la branche
Point d'œil profane; et si parfois
D'un lac frais la surface blanche,
Où d'en haut la lune se penche,
M'arrachait au gazon des bois;

Si dans une barque d'écorce,
Ou de glaïeul, ou de roseau,
Ou de liane trois fois torse,
A ramer j'essayais ma force
Comme dans l'air un jeune oiseau ;

Nul bruit curieux sur la rive
Ne troublait mon timide essor,
Sinon quelque nymphe furtive;
Mon âme n'était plus oisive,
Et c'était du repos encor.

Mais, depuis, l'orgueil en délire
A pris mon cœur comme un tyran;
Je ne sais plus à quoi j'aspire;
Ma nacelle est un grand navire,
Et me voilà sur l'Océan.

C'est demain, c'est demain qu'on lance,

Qu'on lance mon navire aux flots;
L'onde en l'appelant se balance
Devant la proue; amis, silence!
Ne chantez pas, gais matelots!

SONNET.

A RONSARD,

POUR UN AMI QUI PUBLIAIT UNE ÉDITION DE CE POÊTE.

A toi, Ronsard, à toi, qu'un sort injurieux
Depuis deux siècles livre aux mépris de l'histoire,
J'élève de mes mains l'autel expiatoire

Qui te purifiera d'un arrêt odieux.

Non que j'espère encore, au trône radieux
D'où jadis tu régnais, replacer ta mémoire;
Tu ne peux de si bas remonter à la gloire :
Vulcain impunément ne tomba point des cieux.

Mais qu'un peu de pitié console enfin tes månes;
Que, déchiré longtemps par des rires profanes,
Ton nom, d'abord fameux, recouvre un peu d'honneur!

Qu'on dise: Il osa trop, mais l'audace était belle;
Il lassa, sans la vaincre, une langue rebelle;
Et de moins grands, depuis, eurent plus de bonheur.

LES RAYONS JAUNES'.

Lurida præterea fiunt quæcumque....

LUCRECR, liv. IV.

Les dimanches d'été, le soir, vers les six heures,
Quand le peuple empressé déserte ses demeures
Et va s'ébattre aux champs,
Ma persienne fermée, assis à ma fenêtre,

Cette pièce est peut-être, de toutes celles de Joseph Delorme, celle qui a essuyé dans le temps le plus de critiques et d'épigrammes. Diderot a dit quelque part (Lettres à Mlle Voland) : « Une << seule qualité physique peut conduire l'esprit qui s'en occupe à

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