remis par le comte Buol au prince Gortschakoff, et le cas où la lutte devrait continuer. Dans le premier des deux cas, les signataires du traité du 2 décembre, faisant preuve de modération pour favoriser le rétablissement de la paix, devaient se borner au minimum nécessaire pour atteindre le but. La création d'une commission mixte, d'un syndicat composé de délégués des grandes puissances et de ceux du sultan, chargé de vérifier l'état actuel des choses, de proposer les travaux indispensables à exécuter aux bouches du Danube, d'en surveiller l'exécution et l'entretien, était un moyen aussi efficace que conforme à l'esprit des actes du congrès de Vienne. Mais, dès que la Russie, au lieu de se prêter franchement et loyalement à la réalisation des justes garanties formulées dans le memento du 28 décembre, en appelait au sort des armes, un pareil minimum se trouvait naturellement abandonné et écarté, pour faire place aux éventualités de la guerre. Déjà, pendant les pourparlers qui eurent lieu à Vienne au mois de décembre 1854, entre le prince Gortschakoff et les représentants des puissances signataires de l'alliance du 2 décembre, M. Drouyn de Lhuys avait chargé le baron de Bourqueney de laisser entrevoir clairement au prince Gortschakoff, que la France tenait en réserve un maximum, dont la portée était d'enlever à la Russie la possession des bouches du Danube et même de la Bessarabie En effet, lorsque le comte Walewski, par suite de la démission de M. Drouyn de Lhuys, eut pris, au commencement du mois de mai 1855, le portefeuille des affaires étrangères, il fit au moment de la clôture définitive des conférences de Vienne, déclarer au cabinet autrichien que la France entendait se réserver le bénéfice des événements militaires, et étendre au besoin ses prétentions dans la mesure de ses sacrifices. Le comte Walewski se hâta toutefois d'ajouter qu'une telle réserve ne devait nullement avoir pour effet d'altérer les principes du traité du 2 décembre, destinés à être toujours la base de l'entente ultérieure des trois puissances signataires. Ce n'était donc pas, comme des esprits superficiels ont pu le croire, un changement de politique que l'entrée du comte Walewski dans le cabinet allait inaugurer. La pensée dominante, personnifiée dans Napoléon III, poursuivant un système aussi mûrement pondéré que sagement combiné, et pivotant sur l'alliance avec l'Autriche, restait toujours la même; à preuve que déjà, plusieurs semaines avant la prise de Sébastopol, les signataires de l'alliance du 2 décembre tombèrent d'accord pour envisager les quatre garanties comme le minimum de la paix future. Les principes du traité du 2 décembre, bien que restant intacts, devaient recevoir une application plus large suivant les succès des armées alliées. La France et l'Angleterre victorieuses ne pouvaient se contenter de l'interprétation donnée aux quatre garanties dans le memento du 28 décembre. L'Autriche ayant parfaitement compris cette situation, rien ne fut plus facile que de déterminer après la chute de Sébastopol l'interprétation que les puissances alliées entendaient attacher d'une manière irrévocable aux quatre garanties. Le résultat de cette entente fut le memorandum du 14 novembre dernier, lequel nous nous sommes assez étendus en parlant de la troisième garantie. sur Ce memorandum, après avoir disposé que la liberté du Danube sera efficacement assurée par des institutions européennes dans lesquelles les puissances contractantes seront également représentées, sauf les positions particulières des riverains, lesquelles seront réglées sur les principes établis par l'acte du congrès de Vienne en matière de navigation fluviale, ajoute que chacune des puissances contractantes aura le droit de faire stationner un ou deux bâtiments de guerre légers aux embouchures du fleuve, destinés à assurer l'exécution des règlements relatifs à la liberté du Danube. Lorsque, dans la conférence tenue à Vienne le 23 mars 1855, le baron Prokesch-Osten développa pour la première fois l'idée d'assurer à chacune des puissances contractantes le droit de faire stationner un ou deux bâtiments de guerre aux embouchures du Danube, il s'engagea là-dessus une vive discussion entre les plénipotentiaires de la Russie et ceux des autres puissances. Les premiers soutinrent qu'ils devaient réserver leur opinion jusqu'à la discussion de la révision du traité du 13 juillet 1841, puisque le prin cipe de la fermeture des détroits, consacré par un traité, subsistait encore, et que ce principe s'opposait à ce que des bâtiments de guerre pénétrassent dans la mer Noire par les Dardanelles. Le baron de Bourqueney jugea néanmoins très-utile de déposer immédiatement au protocole le principe de la surveillance des bâtiments de guerre aux embouchures du Danube, sauf à mettre ce principe en harmonie avec les traités. Les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne adhérèrent à l'opinion émise par le baron de Bourqueney. Les plénipotentiaires de la Russie maintenant malgré cela leur réserve, les plénipotentiaires de l'Autriche firent observer que sa position géographique offrait à celle-ci le moyen de faire parvenir des bâtiments de guerre jusqu'aux embouchures du Danube sans qu'ils eussent besoin de passer par les Dardanelles, mais qu'ils n'en devaient pas moins se prononcer pour l'adoption du principe que toutes les puissances contractantes fussent à même de contrôler efficacement l'exécution des stipulations arrêtées. Pour couper court à toute controverse ultérieure, le memorandum du 14 novembre décida que le principe en question serait posé et compris dans l'ultimatum que l'Autriche allait se charger de présenter à l'acceptation de la cour de Pétersbourg. Bien que celle-ci eût accepté sans réserve l'ultimatum autrichien, le comte Orloff essaya, lorsque le congrès de Paris, dans sa séance du 28 février, eut à s'occuper de la deuxième garantie, de mettre en avant l'observation que la présence aux embouchures du Danube de bâtiments de guerre portant le pavillon de puissances non riveraines constituait une atteinte au principe de neutralisation de la mer Noire. Le comte Walewski répondit on ne peut plus justement, que l'on ne saurait donner à une exception convenue entre les puissances contractantes le caractère d'une infraction au principe. Le comte Buol, de son côté, tint à constater d'avance que les navires des puissances rive. raines destinés à stationner aux embouchures du Danube, pourront cependant librement circuler dans la mer Noire; que la nature et les exigences du service dont ils seront chargés ne permettraient pas qu'il subsistât un doute à cet égard. Nous rapportons ces détails pour mieux faire ressortir, par l'opposition des plénipotentiaires de la Russie, la portée de l'avantage resté aux alliés du 2 décembre. Ce n'est pas une des moindres garanties obtenues par eux, que la faculté de posséder aux bouches du Danube douze bâtiments de guerre appartenant aux puissances non riveraines, toujours prêts à se porter d'un point à l'autre de la mer Noire, de cette mer, qui menaçait de n'être bientôt plus qu'un lac russe. Ce sont autant de sentinelles avancées que les signataires de l'alliance du 2 décembre, en évacuant les territoires ottomans, laissent en Orient pour, au besoin, donner l'éveil à l'Europe, si, ce qu'à Dieu ne plaise, la Russie revenait jamais à sa politique agressive contre la Turquie. |