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finit par s'égarer dans le labyrinthe de la fiction. C'est absolument ce qui est arrivé au sujet du traité de garantie du 15 avril. On s'est demandé, tout étonné, ce que devait signifier un traité signé entre les alliés du 2 décembre, en dehors des autres contractants de la paix. La forme inusitée du traité de garantie paraissait surprendre même beaucoup de diplomates.

Sans vouloir atténuer en rien la portée de l'acte de garantie intervenu entre les alliés du 2 décembre, il nous paraît utile d'exposer et d'expliquer les circonstances qui ont précédé et accompagné la signature du traité du 15 avril. S'ils se rendent un compte exact des faits historiques, nos lecteurs seront à même de séparer la vérité de la fiction, de réduire à leur juste valeur les commentaires exagérés, et d'asseoir un jugement certain sur un acte qui, dans sa plus simple expression, est le complément de l'alliance du 2 décembre, et partant l'anéantissement absolu de la sainte alliance.

Malgré la résolution irrévocable de l'Autriche de faire aboutir ses efforts, d'accord avec les puissances occidentales, à la réalisation efficace et complète des quatre garanties, le traité du 2 décembre n'avait que le caractère d'une alliance défensive, puisque l'article 5 réservait l'éventualité où par un accord ultérieur serait déterminé le casus belli, constituant l'alliance offensive.

Depuis deux ans l'Autriche a été souvent accusée de faiblesse et de duplicité, pour avoir hésité à transformer son alliance défensive en offensive. Un écrivain

indépendant, le baron suédois Sirtema de Grouestins, a publié il y a peu de mois une remarquable brochure', dans laquelle il aborde les accusations portées contre l'Autriche, et s'exprime ainsi :

« Pour bien apprécier la ligne de conduite du cabinet de Vienne, il faut examiner ce qu'il a fait.

» Il a fait acte le plus ouvertement hostile à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, sans brûler une amorce, sans tirer un coup de canon, car il a supplanté la Russie dans les principautés, qu'elle considérait comme des annexes de son empire; il a ravi à la Russie le cours du Danube; il s'est placé entre la Russie et la Turquie comme un nec plus ultrà. L'Autriche a compris, dans cette circonstance, que le grand art en po-litique était de bien savoir choisir son heure, et cette heure propice était arrivée pour elle d'assurer le libre cours du Danube à l'Europe centrale : elle l'a fait avec un rare bonheur.

» Il n'était guère possible de se montrer plus ouverlement hostile que ne l'a fait l'Autriche en agissant ainsi à l'égard de la Russie. Si elle n'a pas tiré le canon contre les Russes, c'est que ceux-ci ont préféré plier bagage devant les Autrichiens; mais si les Russes les avaient reçus dans les principautés comme ils ont reçu les Français et les Anglais en Crimée, il est probable que des coups de canon auraient été échangés entre eux, ce qui aurait parfaitement défini la position

1 Le congrés de Vienne en 1814 et 1815, et le congrès de Paris en 1856.

de l'Autriche dans l'alliance. Cependant cette puissance a vaincu et humilié la Russie dans les provinces danubiennes, comme les Français et les Anglais ont vaincu et humilié les Russes en Crimée; seulement il a fallu des flots de sang pour arriver à ces résultats en Crimée, tandis que le triomphe des Autrichiens dans les principautés n'a pas coûté un homme ni un coup de canon. Leur présence dans la Valachie et la Moldavie en fait des ennemis de la Russie, et les place, sans être en guerre ouverte avec le czar, dans le dans le camp de l'alliance." L'auteur que nous venons de citer aurait pu ajouter cet autre fait plus concluant encore, que dès le 25 avril 1855 le cabinet de Vienne, au moment où M. Drouyn de Lhuys et lord John Russell quittaient la capitale de l'Autriche, posait on ne peut plus nettement le casus belli, dans un projet de traité que ces deux diplomates se chargèrent de recommander à l'examen de leurs cours respectives, et dont voici le texte :

k

PROJET DE TRAITÉ.

« Leurs Majestés l'empereur d'Autriche, l'empereur des Français et la reine du royaume uni de la GrandeBretagne et d'Irlande, désirant garantir l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'empire ottoman, et étant respectivement animés du désir de mettre à exécution l'engagement stipulé dans l'article

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du traité conclu ont nommé leurs

qui, après avoir

sont tombés

vérifié leurs pleins pouvoirs,

d'accord sur les articles suivants :

» ART. 1a. Les hautes parties contractantes s'engagent, en cas de besoin, d'employer leurs flottes et leurs armées pour atteindre le but ci-dessus spécifié.

» ART. 2. En conséquence, si l'une des puissances ayant signé ledit traité du venait à commettre contre l'empire ottoman une agression qui fùt de nature à porter atteinte à l'un ou à l'autre des deux principes établis dans le préambule du présent traité, les hautes parties contractantes, sur l'appel du sultan, s'uniraient pour défendre cet empire dans les proportions et de la manière qu'elles auront déterminées d'un commun accord.

» ART. 3. Un accroissement excessif des forces navales de la Russie sur l'Euxin sera considéré comme un acte d'agression auquel sont applicables les articles 1er et 2.

» ART. 4. Ratifications.

ARTICLES SECRETS.

» ART. 1". Dans le cas où la Russie augmenterait le nombre ou la force de sa marine dans la mer Noire jusqu'à atteindre l'état où se trouvaient ses forces navales effectives au commencement de la guerre, conformément à l'état ci-joint, et dans le cas où les remontrances adressées en commun à la Russie, jointes à la

présence des flottes alliées dans la mer Noire, seraient infructueuses, les hautes parties contractantes s'accordent à regarder ce fait comme donnant lieu à l'application du troisième article du traité de ce jour. Elles considéreraient en conséquence l'existence d'une pareille force effective comme un casus belli, et feraient immédiatement servir leurs forces de terre et de mer à contraindre cette puissance à se conformer à ces conditions d'équilibre qui sont nécessaires aux intérêts de l'Europe.

" ART. 2. Ratifications. »>

Il nous a paru indispensable de mettre sous les yeux de nos lecteurs ce document, parce que lord Palmerston lui-même en a fait dériver le traité de garantie du 15 avril.

Interpellé par M. Disraeli le 19 mai dernier, à la chambre des communes, sur l'origine et le but du traité dont il s'agit, lord Palmerston s'empressa de répondre :

« Le traité n'a qu'un seul but. Il a été proposé l'année dernière à la conférence de Vienne. C'est un des premiers appels faits au printemps de la précédente année au gouvernement autrichien: c'est-à-dire que dans le cas où la paix serait conclue, l'Angleterre, la France et l'Autriche s'engageraient mutuellement à pourvoir à l'exécution fidèle de tout traité quelconque qui pourrait être conclu pour garantir l'intégrité de l'empire ottoman. Je ne puis donc comprendre où le très-honorable membre trouve dans ce traité des

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