M. le baron de Brunnow répond qu'en rappelant les dispositions dont sa cour a toujours été animée, il n'a pas entendu révoquer en doute ou contester celles des autres puissances pour leurs coreligionnaires. Après avoir déclaré que ses instructions ne lui permettent d'adhérer à aucune modification sans prendre les ordres de son gouvernement, Aali-Pacha, reconnaissant que le dernier changement demandé par M. le comte Orloff consiste dans une simple transposition de mots, y donne son assentiment, et le congrès adopte la rédaction suivante, devenue définitive, sauf la réserve faite plus haut par M. le premier plénipotentiaire de la Russie : « Sa Majesté Impériale le Sultan, dans sa constante sollicitude » pour le bien-être de ses sujets, sans distinction de religion ni » de race, ayant octroyé un firman qui, en améliorant leur sort, >> consacre également ses généreuses intentions envers les popu>> lations chrétiennes de son Empire, et voulant donner un nou» veau témoignage de ses sentiments à cet égard, a résolu de communiquer aux Puissances contractantes ledit firman, spon » tanément émané de sa volonté souveraine. » Les Puissances contractantes constatent la haute valeur de >> cette communication. » Il est bien entendu qu'elle ne saurait, en aucun cas, donner >> le droit auxdites Puissances de s'immiscer, soit collectivement, » soit séparément, dans les rapports de Sa Majesté le Sultan avec » ses sujets, ni dans l'administration intérieure de son empire. " M. le comte Walewski dit que l'état de guerre ayant invalidé les traités et conventions qui existaient entre la Russie et les autres Puissances belligérantes, il y a lieu de convenir d'une stipulation transitoire qui fixe les rapports commerciaux de leurs sujets respectifs, à dater de la conclusion de la paix. M. le comte de Clarendon émet l'avis qu'il conviendrait de stipuler mutuellement, pour le commerce et pour la navigation, le traitement de la nation la plus favorisée, en attendant que chaque puissance alliée puisse renouveler avec la Russie ses anciens traités, ou bien en négocier de nouveaux. MM. les plénipotentiaires de la Russie répondent qu'ils sont sans instructions à cet égard, et qu'il ne leur serait pas permis de prendre des engagements propres à créer un état de choses. différent de celui qui existait avant la guerre, et qu'avant de se prêter à la combinaison proposée par M. le comte de Clarendon, ils devraient en référer à leur cour; que la Russie a conclu d'ailleurs avec des États limitrophes des traités qui accordent aux sujets respectifs des avantages qu'il ne lui conviendrait pas peutêtre de concéder, même temporairement, aux sujets d'autres Puissances, attendu qu'il pourrait ne pas en résulter une juste réciprocité; et, par ces motifs, ils proposent de convenir que les traités et conventions existant avant la guerre seront remis en vigueur pendant un délai déterminé et suffisant pour permettre aux parties de se concerter sur de nouvelles stipulations. La question étant réservée, M. le comte de Clarendon dit qu'en appelant la Turquie à faire partie du système politique de l'Europe, les Puissances contractantes donneraient un témoignage éclatant des dispositions qui les unissent et de leur sollicitude pour les intérêts généraux de leurs sujets respectifs, si elles cherchaient à s'entendre dans le but de mettre les rapports de leur commerce et de leur navigation en harmonie avec la position nouvelle qui sera faite à l'Empire Ottoman, M. le comte Walewski appuie cet avis, en se fondant sur les principes nouveaux qui vont sortir des délibérations du congrès, et sur les garanties que les récentes mesures prises par le gouver nement du Sultan donnent à l'Europe. M. le comte de Cavour fait remarquer qu'aucune Puissance ne possède une législation commerciale d'un caractère plus libéral que celle de la Turquie, et que l'anarchie qui règne dans les transactions, ou plutôt dans les rapports personnels des étrangers résidant dans l'Empire Ottoman, tient à des stipulations nées d'une situation exceptionnelle. M. le baron de Manteuffel dit que la Prusse ayant eu à négocier un traité de commerce avec la Porte, il a eu occasion de constater les difficultés de toute nature auxquelles donne lieu la multiplicité des conventions conclues avec la Turquie, et stipulant pour chaque Puissance le traitement de la nation la plus favorisée. M. le comte de Buol reconnaît qu'il résulterait certains avan tages du règlement des relations commerciales de la Turquie avec les autres puissances; mais, les intérêts différant avec les situations respectives, il ne peut être procédé qu'avec une extrême circonspection à un remaniement qui toucherait à des positions acquises, et remontant aux premiers temps de l'Empire Ottoman. Aali-Pacha attribue toutes les difficultés qui entravent les relations commerciales de la Turquie et l'action du Gouvernement Ottoman à des stipulations qui ont fait leur temps. Il entre dans des détails tendant à établir que les priviléges acquis par les capitulations aux Européens nuisent à leur propre sécurité et au développement de leurs transactions, en limitant l'intervention de l'administration locale; que la juridiction dont les agents étrangers couvrent leurs nationaux constitue une multiplicité de gouvernements dans le gouvernement, et par conséquent un obstacle infranchissable à toutes les améliorations. M. le baron de Bourqueney et les autres plénipotentiaires avec lui reconnaissent que les capitulations répondent à une situation à laquelle le traité de paix tendra nécessairement à mettre fin, et que les priviléges qu'elles stipulent pour les personnes circonscrivent l'autorité de la Porte dans des limites regrettables; qu'il y a lieu d'aviser à des tempéraments propres à tout concilier; mais qu'il n'est pas moins important de les proportionner aux réformes que la Turquie introduit dans son administration, de manière à combiner les garanties nécessaires aux étrangers avec celles qui naîtront des mesures dont la Porte poursuit l'application. Ces explications échangées, MM. les plénipotentiaires reconnaissent unanimement la nécessité de reviser les stipulations qui fixent les rapports commerciaux de la Porte avec les autres Puissances, ainsi que les conditions des étrangers résidant en Turquie, et ils décident de consigner au présent protocole le vœu qu'une délibération soit ouverte à Constantinople, après la conclusion de la paix, entre la Porte et les représentants des autres Puissances contractantes, pour atteindre le but, dans une mesure propre à donner une entière satisfaction à tous les intérêts légitimes. Le congrès reprend la discussion des articles relatifs à la Servie; M, le comte Walewski en donne lecture. Après avoir été remaniés, ces articles sont agréés par le congrès dans les termes suivants : ART. « La Principauté de Servie continuera à relever de la Sublime Porte, conformément aux hats impériaux qui fixent et déterminent ses droits et immunités, placés désormais sous la garantie collective des Puissances contractantes. » En conséquence, ladite Principauté conservera son administration indépendante et nationale, ainsi que la pleine liberté de culte, de législation, de commerce et de navigation. » Sa Majesté le Sultan s'engage à rechercher, de concert avec les Hautes Puissances contractantes, les améliorations que comporte l'organisation actuelle de la Principauté. » Le droit de garnison de la Sublime Porte, tel qu'il se trouve stipulé par les règlements antérieurs, est maintenu. Aucune intervention armée ne pourra avoir lieu sur son territoire sans un accord préalable entre les Hautes Puissances contractantes. » Le congrès arrête en outre que les ministres de la Porte s'entendront à Constantinople avec les autres Puissances contractantes, sur les moyens les plus propres à mettre un terme aux abus constatés par une investigation dont ils détermineront entre eux la nature. M. le comte de Buol pense qu'il serait utile, à l'occasion des différents points dont le congrès vient de s'occuper, d'obtenir de MM. les plénipotentiaires de la Russie, au sujet du Monténégro, des assurances qu'ils sont vraisemblablement disposés à donner. Il ajoute que des circonstances, qui remontent à diverses époques, ont pu faire croire que la Russie entendait exercer dans cette province une action ayant une certaine analogie avec celle qui lui avait été dévolue dans les Provinces Danubiennes, et que ses plénipotentiaires pourraient, au moyen d'une déclaration qui resterait consignée au protocole, lever tous les doutes à cet égard. MM. les plénipotentiaires de la Russie répondent qu'il n'a été fait mention du Monténégro ni dans les documents qui sont sortis des conférences de Vienne ni dans les actes qui ont précédé la réunion du congrès; que néanmoins ils n'hésitent pas à déclarer, puisqu'ils sont interpellés, que leur gouvernement n'entretient avec le Monténégro d'autres rapports que ceux qui naissent des sympathies des Monténégrins pour la Russie et des dispositions bienveillantes de la Russie pour ces montagnards. Cette déclaration est jugée satisfaisante, et le congrès passe à l'examen des articles relatifs aux Principautés Danubiennes qui ont été revus par la commission de rédaction. Après avoir été l'objet d'une nouvelle discussion, ces articles restent consignés au protocole ainsi qu'il suit : « Les Principautés de Valachie et de Moldavie continueront à jouir, sous la suzeraineté de la Porte et sous la garantie européenne, des priviléges et des immunités dont elles sont en possession. Aucune protection exclusive ne sera exercée sur elles par une des Puissances garantes. Il n'y aura aucun droit particulier d'ingérance dans leurs affaires intérieures. ART. » La Sublime Porte s'engage à conserver auxdites Principautés une administration indépendante et nationale, ainsi que la pleine liberté de culte, de législation, de commerce et de navigation. » Les lois et statuts aujourd'hui en vigueur seront revisés. Pour établir un complet accord sur cette révision, une commission spéciale, sur la composition de laquelle les Hautes Parties contractantes s'entendront, se réunira sans délai à Bucharest avec un commissaire de la Sublime Porte. >> Cette commission aura pour tâche de s'enquérir de l'état actuel des Principautés, et de proposer les bases de leur future organisation. ART. » Sa Majesté le Sultan promet de convoquer immédiatement, dans chacune des deux provinces, un divan ad hoc, composé de manière à constituer la représentation la plus exacte des intérêts de toutes les classes de la société. Ces divans seront appelés à exprimer les vœux des populations relativement à l'organisation définitive des Principautés. |