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INTRODUCTION.

Qui pourrait calculer la durée des guerres, le nombre des campagnes qu'il faudrait faire un jour pour réparer les malheurs qui résulteraient de la perte de Constantinople, si l'amour d'un lâche repos et des délices de la grande ville l'emportait sur les conseils d'une sage prévoyance? Nous laisserions à nos neveux un long héritage de guerres et de malheurs. La tiare grecque relevée et triomphante depuis la Baltique jusqu'à la Méditerranée, on verrait de nos jours nos provinces attaquées par une nuée de fanatiques et de barbares; et si dans cette lutte trop tardive l'Europe civilisée venait à périr, notre coupable indifférence exciterait justement les plaintes de la postérité, et serait un titre d'opprobre dans l'histoire.

(Message de Napoléon Ier au sénat, du 29 janvier 1807. )

Si l'on veut apprécier avec une complète exactitude la position que la France occupe aujourd'hui en Europe, il est essentiel de se rappeler quelle était cette position au moment où la question d'Orient prit naissance, et alors que la cour de Russie couvrait encore du voile du mystère l'objet véritable de la mission du prince Menschikoff. Un coup d'œil jeté en arrière nous fera donc mieux apercevoir toute la distance qui sépare le point de

a

départ de la politique française du but qu'elle a si glorieusement atteint.

L'élu du 10 décembre venait de sauver d'un péril imminent sa patrie, et avec elle l'Europe entière. Il avait préservé la France d'une nouvelle révolution, qui menaçait de renverser les fondements de toute société; il avait mis la civilisation d'une moitié du monde à l'abri de la barbarie du socialisme. Posant d'une main ferme les assises de l'avenir, il consolidait l'ordre gouvernemental par des institutions conformes aux vœux et aux besoins de son pays.

coup

Délivrée d'affreuses angoisses par le d'État du 2 décembre, la France respirait de nouveau : sous l'impression profonde de la reconnaissance et de l'admiration, elle remettait avec autant de bonheur que de sécurité ses destinées entre les mains de Louis-Napoléon, auquel 7,824,189 suffrages décernaient le diadème. L'acclamation de tout un peuple rétablissait l'empire.

Malgré les éminents services que Louis-Napoléon avait rendus à la cause monarchique en fermant le gouffre de la révolution, qui, plus menaçante que jamais, s'apprêtait à bouleverser encore l'Europe à peine remise de la tourmente de 1848, le rétablissement de l'empire français fut loin de recevoir de la part des cabinets étrangers tout l'accueil que

faisaient présager les sentiments inspirés aux divers gouvernements pour les éminentes qualités personnelles de Napoléon III.

Plusieurs causes avaient contribué à engendrer une sorte de réserve, pour ne pas dire de froideur, dans les rapports des puissances étrangères avec le nouvel empire français.

Dominées par les appréhensions que fit naître partout la lutte, aussi opiniâtre que funeste, engagée par l'Assemblée Nationale contre le gouvernement du prince président, désireuses d'être prêtes pour toute éventualité, les trois cours du Nord avaient resserré les liens de la sainte alliance et reconstitué sur une base plus large leur coalition contre la France.

La vieille diplomatie qui se faisait gloire d'avoir renversé un colosse tel que Napoléon Ier applaudissait sans doute à la résolution du peuple français de rétablir la monarchie, mais elle n'envisageait pas pour cela avec moins de défiance la restauration de la dynastie napoléonienne.

Le prince président avait, il est vrai, dans son discours de Bordeaux proclamé que : « L'EMPIRE C'EST LA PAIX!" mais dans le message qu'il avait adressé au Sénat, le 4 novembre 1852, il avait dit aussi, en parlant de la résolution du peuple français de rétablir l'empire:

Il satisfait à un juste orgueil, parce que, relevant

avec liberté et avec réflexion ce qu'il y a trente-sept ans l'Europe entière avait renversé par la force des armes, au milieu des désastres de la patrie, le peuple venge noblement ses revers, sans faire de victimes, sans menacer aucune indépendance, sans troubler la paix du monde. »

A la fermeté de ce langage, la Russie comprit incontinent de quel poids la voix de la France impériale allait peser bientôt dans la balance des conseils de l'Europe. Elle vit dans le rétablissement de la dynastie napoléonienne un obstacle insurmontable à cette domination universelle à laquelle elle se croyait jusque-là providentiellement appelée. On sait de quelles réserves elle eut soin d'entourer la reconnaissance de l'empire français. Mieux inspirées, les deux grandes puissances allemandes surent résister avec énergie aux suggestions de la cour de Pétersbourg, qui voulait les entraîner à suivre son exemple. Néanmoins le renouvellement de la sainte alliance entravait la liberté de leurs mouvements dans leurs rapports avec le gouvernement de Napoléon III; ce lien inopportun empêchait surtout l'Autriche de s'abandonner aux sincères et profondes sympathies que, depuis l'avénement de son jeune et chevaleresque empereur, elle avait témoignées hautement et en toute occasion au digne successeur de Napoléon I".

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