Images de page
PDF
ePub

reur, le czar, qui peut-être avait déjà la conscience de sa fin prochaine, et qui, avant de descendre dans la tombe, tenait à consommer en principe la conquête si longtemps rêvée de Constantinople, vit dans la réduction de l'armée française une marque de faiblesse, un motif de plus pour brusquer le dénoûment.

Il fallait toutefois, pour mieux assurer le succès d'une entreprise aussi périlleuse, tâter le pouls à l'Europe, et voir si, et jusqu'à quel point, la Russie conserverait la liberté de ses mouvements en Orient.

Trois mois ne s'étaient pas encore écoulés depuis que le Moniteur avait publié l'ordonnance qui réduisait l'armée française, lorsque le comte de Nesselrode, dans une dépêche en date du 4 février 1853, annonçait au représentant de la Grande-Bretagne à Pétersbourg que l'empereur Nicolas avait décidé d'envoyer le prince Menschikoff en mission extraordinaire à Constantinople. Le but ostensible de cette mission était, suivant la dépêche du comte de Nesselrode, la question des Monténégrins et des lieux saints. Mais à la manière dont l'ambassadeur extraordinaire du czar se conduisit en face de la Sublime Porte, il ne pouvait être douteux que le véritable but de l'envoi du prince Menschikoff ne fût de vérifier, ainsi que l'a dit un éminent diplomate, ce que la Russie pouvait oser.

L'impression générale produite par la conduite du prince Menschikoff à Constantinople confirma la cour de Pétersbourg dans l'opinion qu'elle pouvait tout entreprendre, attendu que l'Europe la laisserait tout faire.

C'était une erreur. La plus grande partie de l'Europe, endormie par les promesses et les protestations du czar, obéissant peut-être aussi à cet amour excessif du repos dont parlait Napoléon Ier dans le message cité en tête de ces pages, ne se montrait que trop disposée sans doute à laisser le sultan vider sa querelle avec la Russie; mais déjà le gouvernement de Napoléon III avait pris l'éveil. Dès l'arrivée du prince Menschikoff dans la capitale ottomane, le cabinet français avait pénétré dans cette réclamation au sujet des clefs du saint sépulcre un prétexte, sous lequel la Russie cachait la prétention de se faire remettre par le sultan lui-même les clefs de Constantinople.

Cette conviction acquise, la politique de la France impériale était on ne peut plus nettement indiquée. Réunir en un faisceau compacte les nations civilisées, pour l'opposer comme une digue infranchissable à l'ambition moscovite, voilà où devaient tendre tous les efforts. Ce plan une fois arrêté, il fut aussitôt mis à exécution et poursuivi avec une inébranlable fermeté. Élargissant donc le

cadre traditionnel de ses alliances, la France se mit en devoir de faire entrer dans une ligue commune la Grande-Bretagne et l'Europe continentale; dans ce grand dessein, la similitude des intérêts que l'Autriche, la France et la Grande-Bretagne possèdent en Orient, servit on ne peut mieux les plans de la cour des Tuileries. Nulle part on ne pouvait trouver pour une entente et une action communes de ces trois grandes puissances un terrain plus favorable ni mieux préparé.

L'alliance à trois offrait de plus à la France l'éminent avantage de mettre fin au funeste jeu de bascule, par lequel son gouvernement se trouvait rejeté alternativement de l'alliance britannique à l'alliance continentale, sans jamais trouver son véritable point de gravitation, ni réussir à contracter une union sûre et durable.

L'alliance à trois, loin de l'être moins, comme on pourrait le croire à première vue, devient au contraire, dès qu'elle est réalisée, beaucoup plus solide que l'alliance à deux, parce que si une collision d'intérêt survient, elle est plus aisément tranchée par la majorité de deux contre un que lorsque deux contractants se trouvent l'un en face de l'autre. La loi de la majorité est la base de toute communauté.

Pour entourer la nouvelle alliance des sympa

thies du monde civilisé, le gouvernement de Napoléon III s'étudia à dépouiller la question orientale de tout ce qui aurait pu laisser supposer la poursuite d'un intérêt dynastique ou une inspiration de l'esprit de conquête. L'empereur, à l'ouverture de la session législative de 1854, avait dit :

L'Europe sait à n'en plus douter que si la France tire l'épée, c'est qu'elle y aura été contrainte. Elle sait que la France n'a aucune idée d'agrandissement. Elle veut uniquement résister à des empiétements dangereux. Aussi, j'aime à le proclamer hautement, le temps des conquêtes est passé sans retour, car ce n'est pas en reculant les limites de son territoire qu'une nation peut désormais ètre honorée et puissante; c'est en se mettant à la tête des idées généreuses, en faisant prévaloir partout l'empire du droit et de la justice.

"

Oui, c'est parce que le gouvernement de Napoléon III a poursuivi un but élevé avec le plus noble désintéressement qu'il est arrivé à inspirer, même à son adversaire, même à l'empereur Alexandre II, une confiance tellement illimitée, que le comte Orloff, se présentant pour la première fois aux Tuileries, déclara que son souverain et maître avait remis son honneur aux mains de l'empereur des Français. Voilà les dignes fruits de la loyauté et de la droiture que la France impériale a déployées dans

ses rapports internationaux. C'est en unissant à ces deux grands mérites autant d'adresse que de fermeté qu'elle a réussi, avec le concours cordial de ses alliés, à résoudre le nœud gordien de la question d'Orient; qu'elle a su accomplir avec autant de bonheur que de promptitude cette tâche difficile, devant laquelle avaient échoué à plusieurs reprises tous les efforts de la diplomatie européenne.

En effet, la rapidité avec laquelle ont été conduites les négociations ouvertes dans la capitale de la France ne doit pas faire illusion sur la grandeur et la solidité des résultats obtenus par le congrès de Paris. Il est sorti des travaux de cette réunion mémorable une œuvre qui consolide l'équilibre politique de l'Europe, fondé par le congrès de Vienne, mais qui en développe les conséquences sans encourir les reproches et les préventions qui s'élevaient contre les traités de 1815.

Les actes du congrès de Vienne étaient inspirés principalement par une pensée hostile à la France. La paix du 30 mars 1856, glorieuse pour la France et ses alliés, n'humilie personne; la puissance et l'autorité de Napoléon III y éclatent précisément par la modération de la victoire. Cette paix est grande par l'hommage qu'elle rend au bon droit et à la civilisation, dont elle consacre le triomphe; elle est féconde par les bienfaits qu'elle va répandre

« PrécédentContinuer »