Le gouvernement anglais, on ne saurait le nier, avait mis un grand empressemeut à reconnaître l'empire français; mais on sait ce qu'il en coûta au cabinet Derby-Disraéli. Le langage de certains hommes d'État, et surtout les invectives violentes auxquelles la presse périodique de Londres donnait chaque matin un libre cours, faisaient assez voir qu'une partie considérable du peuple anglais gardait encore rancune à Louis-Napoléon d'avoir, dans l'affaire Pacifico, forcé le cabinet de Saint-James à respecter ceux que la France couvrait de sa protection. Pour la première fois depuis des années le lion britannique s'était arrêté devant l'énergique volonté de la France. Il en était resté de l'autre côté du détroit un vif ressentiment qui ne se traduisait pas seulement par des diatribes incessantes, par des attaques passionnées dans la presse et au sein du parlement, mais qui se faisait jour jusque dans les régions officielles. On se souvient que, sous l'empire de ces regrettables préoccupations, deux membres du cabinet Aberdeen, l'un dans un banquet, l'autre dans une réunion électorale, s'oublièrent jusqu'à éclater en amères récriminations contre l'empereur des Français. Les États secondaires, s'apercevant de la froideur qui régnait entre le gouvernement de Napoléon III et les grandes puissances, ne mettaient pas non plus beaucoup d'empressement à nouer des relations intimes avec lui. Les journaux belges, sardes, espagnols n'appréciaient qu'avec malveillance la nouvelle situation faite à la France par son empereur. La Suisse et la Belgique devenaient des foyers d'agitation où les ennemis les plus acharnés de Napoléon III forgeaient impunément des armes contre lui. Enfin, la situation d'alors pouvait se résumer par un seul mot l'isolement. Le nouvel empire français n'avait pas d'ennemis déclarés, mais il n'avait pas non plus d'amis sur lesquels il pût compter. Cette situation, qui pour tout autre gouvernement aurait pu être une cause de faiblesse, devint, grâce à la perspicacité et à la fermeté de Napoléon III, un puissant élément de force. Le nouvel empereur sut se soustraire à la tentation de rendre à l'Europe méfiance pour méfiance; il ne chercha point les règles de sa conduite ni les principes de sa politique dans les souvenirs ou les traditions du passé; et de même qu'au lieu d'imiter les fautes de la coalition parlementaire à l'intérieur, il s'était appliqué à les tourner à son profit, de même il sut se garder de retourner contre la coalition diplomatique du dehors les armes qu'elle employait contre lui. La France pèse d'un trop grand poids en Europe pour que tous les yeux ne se fixassent pas sur son gouverne ment sitôt que des complications viendraient à surgir; elle était trop forte par elle-même pour ne pas attendre sans appréhension le moment de prendre un parti; et l'isolement qui semblait lui ôter tout point d'appui au dehors l'affranchissait aussi de toute obligation. Libre ainsi de tout engagement, l'empire français, dans le choix de ses alliances, n'avait désormais à consulter que ses propres intérêts. L'histoire nous montre que, depuis un siècle, trois systèmes principaux d'alliance ont tour à tour prévalu dans la politique française. De ces trois systèmes, le plus ancien est celui de l'alliance entre la France et l'Autriche; il exprime la pensée dominante du règne de l'immortelle Marie-Thérèse. Dans une dépêche de 1808', datée de Varsovie et adressée au duc de Bassano, alors chargé de la direction des affaires extérieures, Napoléon I", à son tour, recommande à son ministre l'alliance avec l'Autriche comme la plus naturelle pour la France, surtout à cause de la communauté des croyances religieuses. Le génie de l'empereur avait dès lors compris la puissance formidable que la Russie exercerait un jour en Europe au moyen des idées reli 1 Nous avons été assez heureux pour voir l'original de ce document important, qui est conservé aux archives des affaires étrangères de France. gieuses. A la tiare grecque, on ne pouvait opposer avec succès que la tiare romaine; l'alliance de l'Autriche et de la France catholiques était donc indispensable. L'alliance avec la Russie fut le but constant de la Restauration. S'il est vrai que la cour de Pétersbourg, pour entretenir le gouvernement du roi Charles X dans ces dispositions, lui avait promis la rive gauche du Rhin, il n'est pas moins certain qu'elle se réservait en échange la possession de Constantinople. Les funestes conséquences de la bataille de Navarin auraient suffi pour empêcher la France impériale de suivre la même voie que la Restauration, quand même les dispositions de feu le czar Nicolas It" à l'égard du nouvel empire français auraient été plus amicales. Par cette divination qui se manifeste surtout chez les grands hommes lorsqu'ils approchent du tombeau, l'autocrate de toutes les Russies avait instinctivement prévu que le jour où il s'aventurerait sur la route de Constantinople, il trouverait dans Napoléon III un obstacle infranchissable. Honoré sur son lit de mort de la visite de LouisPhilippe, le prince de Talleyrand ne crut pouvoir mieux en témoigner sa reconnaissance au roi qu'en lui léguant le conseil de rester toujours fidèle à l'alliance anglaise. Il n'a fallu pourtant que les mariages espagnols pour mettre fin à une alliance à laquelle le gouvernement de juillet avait tant sacrifié. C'est que toute alliance, pour être solide et durable, doit reposer sur une utilité réciproque. L'économie politique qui, de nos jours, a modifié les conditions essentielles de la vie intérieure des peuples, n'a pas tardé à réagir également sur leur vie extérieure. L'influence des intérêts matériels dans les rapports internationaux a fini par devenir si décisive, que devant elle s'efface déjà partout le système des alliances de principes. La communauté et la solidarité des intérêts forment désormais la base fondamentale des alliances. C'est sur ce terrain que le gouvernement de Napoléon III, dont tous les actes portent l'empreinte du véritable esprit de notre époque, résolut de rétablir celles de la France, tout en gardant une attitude expectante jusqu'au jour où l'occasion s'offrirait naturellement de s'unir à quelqu'un. Cette occasion ne se fit pas longtemps attendre. Fidèle à son programme de Bordeaux, au moment de ceindre la couronne impériale, le prince président avait, le 19 novembre 1852, ordonné une réduction de trente mille hommes sur l'effectif de l'armée active de France. Tandis que l'Europe entière accueillait cette mesure comme un gage précieux des sentiments pacifiques du nouvel empe |