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il convenait de nous apprendre ce que c'est que le malheur: or, sachez que le malheur est la soif du bonheur; gardez-vous donc bien de le rechercher, et de lire surtout le livre qui vous enseigne au juste où vous pourrez le trouver; car, à coup sûr, vous seriez malheureux. Avouez seulement avec moi que l'auteur n'est pas heureux, lorsqu'il nous présente une définition du malheur, telle qu'il faut en conclure nécessairement que son ouvrage, bon qu mauvais, ne doit pas être lu.

Si vous aviez besoin, cependant, de vous faire un verre de bon sang, je vous conseillerais de l'acheter, non pas pour y découvrir les moyens de vous rendre heureux, puisque ce seul desir vous rendrait misérable, mais pour rire un moment de la bonhommie d'un auteur, qui ne saurait écrire deux lignes sans y renfermer une ou deux contradictions bien grossières, et qui néanmoins se croft un penseur profond, fait pour instruire l'univers.

«La trop grande sensibilité, dit-il, qui n'est que l'effet d'une ame trop délicate, détruit avec plus de force que le dernier excès de débauche ! » Vous comprenez que le mot effet tient ici la place de qualité; mais l'auteur nous a prévenu, dans sa préface, qu'il n'est pas exercé dans l'art d'écrire, ainsi nous ne devons pas faire attention à si peu de chose. Ce qui peut nous surprendre de sa part, c'est qu'un homme qui se donne pour prodigieusement sensible, consente à se représenter comme un être détruit avec plus de force par sa sensibilité, qu'il ne l'aurait été par le dernier excès de débauche; ainsi, le voilà obligé, en conscience, d'être sec et décharné, s'il ne veut nous faire soupçonner qu'il n'est pas aussi sensible qu'il veut le paraître.

Il trouve qu'un homme qui se laisse ainsi détruire, est inconcevable, et que c'est un contraste affreux. A la bonne heure; Nous sommes forcés de l'avouer en lisant son ouvrage vrai

ment inconcevable, et qui, d'un bout à l'autre, est un contraste plus admirable que celui de M. Lucet. Les affections morales ne sont, selon lui, que des bagatelles et des chimères, et il est bien surprenant que l'homme se laisse détruire par ce qu'il appelle plus loin des impressions imaginaires, sans se douter qu'impressions imaginaires et rien du tout, c'est exactement la même chose ; et il ne veut pas qu'on se laisse assassiner par rien du tout.

Je suis de son avis.

Notre malheur venait, il n'y a qu'un instant, de ce que nous avions soif du bonheur; maintenant il vient, entr'autres choses, de ce que nous ne contemplons pas là nature d'une manière assez vaste; de ce que nous ne nous faisons pas une idée juste de son impulsion sur les êtres animés; de ce que nous ne voyons pas les hommes dans l'immense laboratoire de la nature. L'auteur aime beaucoup ce laboratoire, et il nous conseille d'y descendre souvent et de bien examiner ce qui s'y passe. Il desireráit aussi qu'à son exemple, nous jettassions autour de nous un vaste Coup -d'œil: alors, il est bien clair que nous serions tous parfaitement heureux; personne ne peut en douter.

Il nous avertit ensuite de n'être sensibles qu'aux impressions vraiment matérielles d'un impertinent, d'un querelleur, d'un emporté. Mais comme les gens de la bonne compagnie ne se trouvent jamais exposés à ces sortes d'impressions, il faut laisser à l'auteur tout le fruit qu'on peut tirer de son avertissement, tout en lui observant qu'il serait encore à souhaiter pour ceux qui peuvent en recevoir les atteintes, qu'ils fussent plus insensibles à ces impressions physiques qu'aux morales.

« Qu'une multitude d'hommes de l'espèce de ceux dont il vient d'être parlé, continue-t-il, s'agite autour de moi; qu'ils me louent, qu'ils me blâment, qu'ils di

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sent de moi et à moi-même encore tout ce qui leur plaira ; quelque bruit qu'ils fassent, pourvu qu'ils n'agissent pas matériellement sur mon individu, je m'en inquiète fort peu, je suis comme si j'étais sourd et aveugle; je les considère comme s'ils étaient inanimés. Celui qui n'aurait vu, ajo te-t-il, que des hommes de cette sorte, serait bien excusable de croire au matérialisme. »>

Quoiqu'on ne puisse découvrir le rapport que l'auteur croit sans doute qu'il y a entre sa dernière réflexion et ce qui précéde, il est facile de s'apercevoir par quel esprit elle lui a été dictée. La même erreur qui le met en contradiction perpétuelle avec lui-même sur sa prétendue sensibilité, le jette dans le doute sur sa croyance. Il se fond de tendresse en vous prêchant l'insensibilité morale, et il se dit insensibile à toutes sortes d'injures: il ne parle de la nature qu'avec l'enthousiasme d'un ex1ravagant, et il l'outrage à chaque mot; il invoque la raison, et son livre est un amas de folie; il vous parle de même de matérialisme, sans savoir s'il est matérialiste, juif, athée ou chrétien. C'est une montre désorganisée, à laquelle il faut un régulateur.

Vous avez vu que le bonheur réel se trouvait tout-àl'heure dans la nature; il vient, ainsi que le malheur, de changer de domicile maintenant il réside dans la philosophie de la nature. Or, tout le monde sait trèsbien ce que c'es' que cette philosophie de la nature, et le lieu de sa résidence nous est également bien connu. Nous voilà donc bien assurés de trouver le bonheur quand nous en voudrons tâter. Au surplus, si quelqu'un pouvait encore l'ignorer, qu'il sache qu'elle est toujours accompagnée de la philantropie, et que qui que ce soit n'ose plus se dire malheureux avec d'aussi bons renseignemens, tout le monde doit aller tout droit au bonheur. Au sur

:

plus, il est important d'être prévenu que la philosophie de la nature apprend à suivre tranquillement la marche de lau nature, et qu'un philosophe contemple la nature dans son ensemble et dans ses détails. Il est sensible, il se regarde » comme débiteur de l'indigent; et c'est dans les lois de l'hu» manité qu'il reconnaît la légitimité de sa dette. Il ne se » laisse point tourmenter par des chimères ; il souffre avec » tout ce qui souffre autour de lui; il voit tout d'un œiltran

quille; il est dans un état naturel; il trouve beaucoup plus » d'avantage à commander à ses passions qu'à leur obéir:ce » qui n'est pas selon la nature, est nul pour lui, et le » globe, avec ses forcenés habitans, ne lui parait qu'un >> atôme. » Il trouve sa consolation dans le mouvement général de l'univers; mais il faut qu'il se dise : « Je suis » dans le laboratoire de la nature, et je brave tous les » coups de la fortune. » Sans cela, vous sentez bien qu'il n'y aurait jamais de consolation pour lui, quelque considérable que pût être le mouvement général de l'univers.

C'est ici qu'il faut que chacun de nous remercie l'auteur d'un petit avis charitable qu'il veut bien nous donner, lorsqu'il nous instruit qu'il regarde d'un œil tranquille le jeu de tout ce qui se meut autour de lui, et qu'il táche de disposer en sa fuveur ce qui parait lui convenir. Comme je présume que personne ne se souciera davantage que moi de voir sa bourse ou ses bijoux convenir à sa philosophie, je crois devoir lui témoigner ici ma reconnaissance particulière de son procédé, et celle de tous ceux qui ont quelque chose à perdre. Tous les philosophes ne sont pas aussi francs, ou du moins aussi naïfs. D'ailleurs « personne ne » peut se rendre indépendant des lois de la nature, cha>> cun est obligé d'en suivre l'impulsion, >> et si les lois de la nature de notre auteur le portent (ce qu'à Dieu ne plaise!) à vous escamotter votre bourse,

qui que ce soit ne peut lui en faire un crime, c'est sa nature.

Après tous ces beaux raisonnemens, l'auteur examine ce que c'est qu'un homme de la plus petite classe; le voici : C'est celui qui ne se divise pas en deux existences, dont l'une puisse examiner l'autre. L'ame doit sortir du corps pour juger celui-ci; reste à savoir si le corps doit chasser l'ame pour la considérer à son tour plus à son aise: c'est ce que l'auteur ne dit pas. Il nous informe ensuite d'une chose excellente à connaître, c'est que le meilleur moyen à employer pour éviter l'attaque de nos semblables, c'est de remonter l'histoire jusqu'à l'antiquité la plus reculée, et de la suivre jusqu'à ce jour : c'est une bonne recette pour ne pas l'oublier, mais c'est une furieuse besogne qu'il nous donne là.

Dieu merci, j'arrive au neuvième chapitre de son ouvrage. Qu'y vois-je ? Un petit tableau des horreurs et des misères dont les hommes sont accablés lorsqu'ils négligent la religion, et des consolations qu'ils en reçoivent lorsqu'elle revient parmi eux. Je dois avouer que je ne m'étais pas attendu à ce dernier contraste : c'est un véri-' table crime de lèse-philosophie. Parler de la religion après avoir tant vanté les lois de la nature, aucun philosophe ne pourra le souffrir: il est vrai que le chapitre n'est pas long; trois petites pages suffisent pour rendre ce faible. hommage à la mode et au temps. Mais ce sont trois pages de trop, il faut bien vîte les sauter pour arriver enfin au Dernier Période du Bonheur, titre du dixième et du plus long chapitre.

C'est ici que l'auteur a été obligé de recueillir toutes ses forces, de tenir sa tête à deux mains, de se battre les flancs pour enfanter un prodige et quel prodige ? Ecoutez :

Le preinier période du bonheur est dans la nature; nous l'avons vu, nous l'avons entendu, et personne ne peut le nier

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