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l'antiquité quelques gouttes d'encre envenimée. Le pauvre
Perrault a aussi pour son compte une phrase de ce sublime,
tant l'auteur en est prodigue Au lieu de dire comme tout
le monde, que son livre des Parallèles avait animé la dis-
pute, il a trouvé qu'il avait porté la guerre jusqu'à sa plus
grande conflagration. Il demande, au sujet de Rousseau,
si on peut comprendre une éducation assise sur la nature.
Non assurément, je ne le comprends pas. Il trouve que
Diderot avait un jugement d'une lucidité extréme. Je veux
croire que
M. Regnault-Warin se connaît en clarté, mais
on avouera qu'il a le don de parler comme on ne parle point.
Il a l'air d'ignorer qu'on ne doit pas écrire seulement
avec son imagination, mais avec sa raison, son esprit et
sa mémoire.

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Les petits sujets qui composent ses Loisirs littéraires sont assez variés, mais non pas pour le style, qui est de la plus fatigante monotonie. On y trouve d'abord le Monastère abandonné; l'auteur y met en scène un bon religieux qui vient revoir la maison de son ordre : il la trouve dans l'état où elles sont toutes aujourd'hui, ruinées, démolies, ou changées en hôtels dégarnis, malpropres, et habités par une fourmillière de petits rentiers resserrés qui vivent très-philosophiquement dans ces vastes dortoirs, destinés de tout temps à recueillir la pauvreté. Ce monastère n'est qu'à moitié renversé. Le pieux solitaire s'en afflige; il monte sa tristesse sur le ton d'Young et d'Hervey; puis il finit par nous prédire un siècle plus fortuné: c'est au moins ce que nous souhaitons tous.

De là il passe à un morceau sur les Ruines. Le champ était vaste; et si M. Regnault-Warin avait voulu l'approfondir, ce sujet seul aurait pu lui fournir la matière de vingt volumes; mais il faut de la modération en toutes choses : il se contente de considérer un moment cette petite place

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où fut jadis la modeste église de Saint-André-des-Arcs; de jetter un coup d'œil sur cette tour isolée, restes gothiques de l'église Saint-Jacques-de-la-Boucherie; de se promemer un moment dans le jardin du Luxembourg, qui n'apas trop l'air d'une ruine, et de remarquer le vaste terrain où fut la Chartreuse, changé aujourd'hui en une pépinière féconde. Ce n'est pas la chute de quelques pierres qui peut nous étonner. Quand on a vu tomber la tête d'un monarque, on peut regarder de sang froid toutes ces ruines matérielles ces mêmes pierres, dont le déplacement vous fait gémir, peuvent encore servir à quelque nouvel édifice; mais tous ces hommes écrasés sous le vaste édifice d'un empire renversé, dans quel temps seront-ils relevés ?

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D'un si triste sujet, l'auteur nous conduit à un Poëme sur la Peinture; mais il ne faut pas que ce nom de poëme, que l'auteur lui donne, nous effraye; grace au ciel, ce n'est point un poëme, il n'est pas écrit en vers, et même il n'occupe que quarante pages du volume. Cet ouvrage suppose dans son auteur au moins du goût pour l'art dont il parle, quoiqu'il en ait pris l'idée, la marche, la plupart des des-criptions et la majorité des morceaux dans le petit poëme de M. l'abbé de Marsy. M. Regnault-Warin se pique d'être un grand coloriste, et il est certain qu'il pourrait le devenir en apportant plus d'économie dans l'ordonnance de ses figures, et moins de charge dans l'abondance de ses expressions; mais ce défaut se fait moins remarquer dans ce petit morceau, plus succeptible que tout autre de supporter la bouffissure de son style, puisque l'imagination peut y prendre un certain essor poétique, sans que le goût en soit choqué. Chose étrange, au contraire! on y rencontre plus d'ordre et de sagesse dans le plan, plus de mesure et de modération dans les paroles, que dans ceux dont le sujet en requiert davantage. Je crois qu'il faut en

chercher la raison dans l'original qu'il a voulu imiter, et qui sans doute a réglé son jugement, et dirigé son esprit. Cet ouvrage, au surplus, ne renferme que les préceptes généraux de l'art de la peinture, que tous les artistes, et même les personnes qui ne le sont pas, connaissent, avec un rapide exposé du genre dans lequel les peintres les plus délèbres ont excellé.

Le petit morceau d'Adamastor ou le Géant des tem pétes, qui est une imitation du bel épisode du Camoëns, a le mérite d'être approprié à l'enflure ordinaire de l'auteur; mais il a entièrement méconnu la portée de son esprit dans son conte arabe de l'Illusion qu'il a imité du blanc et du noir de Voltaire. L'absurdité de sa fiction saute aux yeux, et elle n'est rachetée par aucune moralité intéressante. Il y représente un Indien doué de toutes les faveurs du ciel, et parfaitement heureux. Tandis qu'il rêve, son ange noir, sans doute, revêtu d'une forme brillante, lui remet un cornet pour entendre, non pas les paroles mais les pensées des hommes, et des besicles non pour les voir tels qu'ils sont, ni tels qu'ils peuvent devenir, mais tels qu'il devraient paraître, d'après leurs sentimens secrets. A son réveil, il se sert de ce petit cadeau pour entendre et considérer une jeune beauté qui la veille avoit reçu les honneurs du mouchoir. Il n'entend plus qu'une harpie qui voudrait l'étrangler, pour lui voler tout son or, et il ne voit plus qu'un petit monstre noir, avec des yeux enfoncés et, je crois, des ongles crochus au bout des doigts. Il la quitte bien vite, comme on peut le croire, et va rendre visite à sa femme, qui lui apprend le plus doucement possible qu'elle est éprise d'un esclave, et qu'elle pense à lui dérober cinq cents sultanins pour les donner à cet amant. Toutes les de sa personnes maison conspirent sa ruine: son fils est un coquin, sa fille une malheureuse, son gendre qui est le sultan, veut au moins

le faire empaler. Il reçoit des lettres de ses intimes amis, et il n'y lit que des injures grossières et tout cela sans le moindre motif, sans la plus petite raison de haine ou d'inimitié, car Yezid (c'est le nom du personnage) est le meilleur homme du monde. Fatigué de ne plus voir que des laidrons et de n'entendre que des sots ou des méchans, il brise ses talismans, et conclut que l'illusion est bonne à quelque chose, c'est-à-dire qu'il vaut encore mieux entendre ce qu'on dit que ce qu'on pense, et voir le dehors que le dedans: mais c'est faire les hommes plus méchans qu'ils ne sont, puisque le caractère d'Yezid ne justifie aucunement les mauvais procédés qu'il reçoit. Passe, que ses anis le trompent, mais pourquoi le haïraient-ils s'il ne leur a jamais fait que du bien? Une telle supposition est contre la vérité historique du cœur humain; ce n'est pas peindre la nature, c'est la calomnier. On sent assez qu'un tel sujet demandait tout ce qui manque à l'auteur, et ce que Voltaire possédait en partie, un fonds de raison ingénieux et un style léger.

On en peut dire autant de ses remarques sur Fontenelle et son Ecole.

Fontenelle a-t-il voulu devenir chef d'une école de philosophie nouvelle? l'a-t-il été ? Son école a-t-elle été suivie? quels ont été ses disciples?

Telles sont, ce me semble, les questions qu'il falloit examiner avant de faire cet article: peut-être serait-il résulté de cet examen qu'il n'y avait pas d'article à faire, et que le système de la pluralité des mondes ne valait pas la peine de faire de son auteur le chef d'une école qui n'a jamais existé; il ne faut pas donner aux choses plus d'importance qu'elles n'en ont. J'ai peine à comprendre comment ce système pourrait alarmier la foi des personnes qui respectent les saintes écritures, et je ne vois pas comment les

philosophes qui les combattent, pourraient s'en faire un appui. Un système de cette nature ne sera probablement jamais qu'un jeu d'esprit : et quel fondement plus fragile pourrait on choisir pour établir quelque raisonnement contraire à la tradition de Moïse?

Selon M. Regnault-Warin, cependant, ce système présenté par Fontenelle comme un innocent badinage, était l'œuvre profonde d'un novateur adroit, qui donnait par-là le signal au siècle à venir, d'allumer les brandons de la discorde et d'aiguiser ses poignards et ses haches, pour opérer le grand œuvre que nous avons vu. Il met au rang de ses disciples toute la secte philosophique depuis d'Alembert et Diderot jusqu'à l'auteur allemand de l'an 2240. Que ce dernier soit un disciple de Fontenelle, c'est ce dont je ne m'étais jamais douté. Quoi qu'il en soit, M. Regnault-Warin porte un jugement qui ne manque pas de justesse sur chacun de ces apôtres d'une doctrine perverse, et il les signale tous par leurs principaux caractères, et dans un style qui serait énergique, s'il l'eût dépouillé davantage de cette haute enluminure qui se fait remarquer plus ou moins dans tous ses ouvrages; il ne manque quelquefois à M. Regnault-Warin, que d'être moins prodigue de ses couleurs, pour devenir un peintre agréable. Expliquer le cœur des rois par la théorie des » passions vulgaires, dit-il à l'occasion des dialogues » de Fontenelle, déduire des plus faibles mobiles la marche » effrayante des grands résultats, c'est inviter à l'in» souciance des harmonies éternelles; c'est provoquer des >> hommages au hasard. » Cette phrase à la première lecture est un véritable logogriphe, et son enflure est vraiment effrayante. Il ne faudrait peut-être, pour lui donner du sens, que la réduire à des termes plus humains. C'est un coup de pinceau trop plein, il efface le trait, De

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