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Mémoires d'un témoin de la révolution, ou Journal des faits qui se sont passés sous ses yeux, et qui ont préparé et fixé la constitution française; ouvrage posthume de Jean-Silvain Bailly, premier président de l'assemblée nationale constituante, premier maire de Paris, et membre des trois académies. Trois vol. in-8°: Prix, 10 fr. 50 c. et 14 fr. 50 c. A Paris, chez Levrault, Schoel et comp., libraires, rue de Seine faubourg Saint-Germain ; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois, no. 42.

JUSQU'A présent je n'avais point vn d'ouvrage dont le titre fût aussi bisarre que celui-ci, et qui fit naitre autant de réflexions. Jean-Silvain Bailly offre des Mémoires, comme ayant été témoin de la révolution; mais il me semble que nous avons tous été témoins de cette révolution dont M. Bailly aurait pu loyalement se donner comme acteur. Bientôt ses prétendus Mémoires ne sont plus qu'un journal des faits qui ont préparé et fixé la constitution française de quelle constitution française est-il question? Est-ce qu'il y a eu une constitu→ tion française, fixée, du tems de M. Bailly, où l'on s'amusait philosophiquement à détruire celle que nous tenions de l'expérience de quatorze siècles? Je ne sais quel intérêt on peut avoir à rẻveiller de honteux souvenirs déjà si loin de nous que, sans le frontispice de cet ouvrage, il faudrait un grand effort de mémoire pour se rappeler que Jean-Silvain Bailly fut premier président de l'assemblée constituante qui n'a rien constitué, premier maire de Paris qui n'a point de maire, et

membre des trois académies qui n'existent plus. Tous les titres de gloire dont l'auteur a prétendu entourer son nom sont anéantis; lui-même a disparu déchiré en lambeaux par ce peuple souverain dont il s'était cru l'idole; et l'horreur de ses derniers momens sauvait sa mémoire du ridicule qu'il avait si bien mérité par sa conduite révolutionnaire et ses fausses opinions politiques. Mais comme il est dans les décrets de la Providence que justice soit faite, elle a donné aux philosophes un amourpropre incorrigible: ainsi le premier maire de Paris a laissé des Mémoires qu'on vient d'imprimer pour apprendre à la postérité jusqu'à quel point il est possible d'être niais, quoique membre de trois académies.

J'ai assisté aux derniers momens d'un vieillard qui, le 6 juillet 1789, n'avait en mourant d'autre chagrin que de ne pas voir la fin d'une révolution qui ne prend date pour nous que de huit jours plus tard. Cet honnête homine croyait de bonne foi que pour rendre la tranquillité à la France il suffisait de rassembler des orateurs et des législateurs; c'est-à-dire des bavards et des philosophes. M. Bailly, après deux années d'expérience pratique, est tombé dans la même erreur en appelant son journal Mémoires d'un témoin de la révolution. De quelle révolution parle-t-il? s'il n'y a eu qu'une révolution, ce que M. Bailly en a vu n'est rien; s'il y a eu plusieurs révolutions, il fallait que M. Bailly désignàt celle dont il se donnait comme le témoin: mais lorsqu'il écrivait son journal, il croyait encore qu'avec des orateurs et des législateurs on en serait quitte pour une seule révolution. Dans son dernier volume cependant il en reconnait trois bien distinctes, et ce dernier volume ne relate rien au-delà du 2 octobre 1789.

De cette époque jusqu'au 18 brumaire, il y a bien loin; et un classificateur aussi habile que JeanSilvain Bailly pourrait compter terriblement de journées révolutionnaires. Voyons comment il désigne les trois dont il a été le témoin: 1° « Celle du » 17 juin où les communes ont repris l'autorité » souveraine et nationale; 2° celle du 14 juillet » où le peuple (de Paris) armé, a fait éclore la » véritable force publique (de la France;) et, en » renversant la Bastille, a détruit le pouvoir ar>> bitraire; 3° enfin la nuit du 4 août où toutes les » charges qui pesaient sur le peuple ont été dé» truites, et où la France a été vraiment régéné» rée. »

Si le 17 juin les communes avaient repris l'autorité souveraine et nationale, comment a-t-il été nécessaire que le 14 juillet le peuple de Paris démolit une citadelle pour détruire le pouvoir arbitraire; et si la France a été vraiment régénérée la nuit du 4 août, pourquoi depuis cette nuit si fameuse sommes-nous tombés de régénération en régénération? Pendant dix années toujours libres et toujours proscrits, toujours souverains et toujours traités comme de vils esclaves, en insurrection permanente contre le bon sens et la force des événemens, mêlant les plus grandes folies aux plus grandes atrocités, nous n'avons marché vers un état stable qu'en allant toujours en sens contraire du but que nous voulions atteindre, et de la volonté de ceux qui s'étaient chargés de nous conduire.. Il suffit de quelques lignes pour faire ressortir cette vérité. L'assemblée constituante avait tout calculé comme si les hommes n'avaient point de passions, et pendant le règne de cette assemblée tout a été mené par les passions; l'assemblée législative, appelée pour maintenir la constitution dite monarchique, a vu renverser le monarque et la

que

constitution; la convention n'eut de volonté celle d'établir la république, et elle s'y prit de telle manière qu'elle guérit jusqu'aux républicains de leurs préventions démocratiques; le directoire fut institué pour concilier les partis, et il les rendit plus actifs; il devait sur-tout s'opposer à l'entrée des généraux dans le gouvernement, et il s'anéantit sans résistance devant la brillante renommée du plus habile chef des armées françaises. Ces grands et irrécusables résultats sont affligeans pour l'amour propre de ceux qui veulent se faire des titres de gloire des fautes qui les ont rendus célèbres; mais pourquoi écrivent-ils, lorsqu'on ne demande qu'à tout oublier? Sans les Mémoires de M. Bailly, qui penserait à lui si ce n'est pour le plaindre? Il s'est cru un personnage digne d'occuper l'histoire; il s'est chargé lui-même de rassembler. ses titres auprès de la postérité; il s'est permis de recommander anx siècles futurs des hommes dont le nom n'est plus connu aujourd'hui, même dans le le district ou la section théâtre de leur gloire: il ne recueillera que moquerie de ceux qui ont été ses contemporains, ses admirateurs, ou ses ennemis; car il est resté au 2 octobre 1789, et ceux qui lisent son ouvrage sont à l'année 1804.

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Pour faire ressortir le ridicule des opinions de M. Bailly, il faudrait s'arrêter à chaque ligne, tâche d'autant plus pénible que la vanité qui bouleverse les empires n'a pas de côté plaisant; plus cette vanité laisse apercevoir de petitesses, plus elle afflige. Pour moi, je l'avouerai, le journal des Jacobins m'inspirerait aujourd'hui moins de dégoût que l'histoire de la Mairie de M. Bailly, écrite par lui-même; ses phrases me déplaisent autant que ses idées « c'était un spectacle magnifique, dit»il en parlant de son arrivée à Versailles; les femmes des marchés criaient: Vivent M. Bailly!

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» M. de la Fayette ! vive la Commune de Paris! » et leurs cris étaient par-tout répétés : c'était vrai»ment la ville de Paris faisant son entrée dans » Versailles,» Ce style est apparemment du membre de l'Académie des sciences; voici un échantillon du style du membre de l'Académie française: Lorsque dans un siècle de lumières on appelle » la raison à son aide, la raison doit finir par être » la maîtresse. » Les lumières et la raison de ce tems-là nous ont conduits au règne des échafauds. Pour le style du membre de l'Académie des inscriptions, rien n'est si facile que de mettre le lec teur à même d'en connaître le mérite. « On remit » cette liste sur le bureau; on proposa de l'impri» mer; et dans la sensibilité dont j'étais affecté. » je dis : il faut l'imprimer en lettre d'or ! » Cette affectation de rappeler des paroles niaises; cette manie de mettre des phrases à prétention dans la narration de faits désastreux; une surabondance de larmes, d'admiration, d'émotion, de sensibilité, de bonté, de bienfaisance; le soin minutieux de confier aux siècles ses moindres démarches, ses plus secrètes pensées, et les terribles alarmes de madame Bailly; le chapitre du dimanche 5 juillet, renfermé tout entier dans ces mots mémorables:

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je l'ai passé dans mon Chaillot; » c'est-à-dire, dans la retraite que j'ai à Chaillot, retraite qui me sauve quelquefois l'embarras des honneurs, qui me repose des soins que je dois à l'état, et qui par cette raison m'est si chère, que Chaillot est devenu mon Chaillot; tout cela est d'un enfantillage cent fois plus difficile à tolérer que la grande colère du père Duchesne, ou la motion de Roberspierre en faveur de l'Etre suprême. Du moins dans les rapsodies de ces deux révolutionnaires ne sent - on pas la frayeur d'un bel-esprit qui fait le brave; on la sent par-tout dans les Mémoires de M. Bailly.

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