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taient pas moins les uns que les autres; l'autorité appartenait à qui pouvait s'en emparer, à qui sursûr, tout savait le mieux la faire valoir; et, à coup ce dernier talent n'était pas celui de M. Bailly: jamais homme ne fut moins propre der, jamais homme ne fut mieux organisé pour obéir, puisque plus les ordres qu'il recevait venaient d'en-bas, et plus il mettait de zèle à les exécuter; ce qui ne l'empêche pas d'avoir de l'orgueil, et de parler de la dignité de son caractère. De la dignité! Et y a-t-il rien de plus vil qu'un magistrat asservi aux caprices de la populace? rien de plus infàme qu'un magistrat qui laisse vendre par des soldats, qui leur livre le prix des casernes et autres effets, a-t-il rien qui appartiennent au gouvernement ? de plus criminel qu'un magistrat qui déclare de bonne prise des voitures chargées de draps achetés par le gouvernement pour l'entretien des armées ? et cela dans un temps où ce même gouvernement dépensait des millions pour nourrir la ville de Paris! Voilà ce qu'alors on n'osait point révéler aux provinces, et ce que M. Bailly avoue avec complaisance à la postérité; il savait que le roi ruinait les finances de l'état pour procurer du pain aux Parisiens, pour qu'ils en eussent à moitié du prix qu'il coûtait réellement, et il déclarait qu'on pouvait en conscience piller le gouvernement; il faisait plus, il diminuait encore de son autorité le prix du pain, sans autre motif (il en convient lui-même) que de faire quelque chose qui fût agréable au peuple. Plus on étudie l'histoire de notre révolution, plus on reste convaincu que dans les troubles civils les frippons sont moins dangereux que les prétendus honnêtes gens dirigés par de faux principes: M. Bailly était si innocent que, dans les circonstances difficiles, il allait de bonne foi consulter le duc d'Orléans pour savoir E 2

ce qu'il y avait de mieux à faire. Notez que ce membre des trois Académies vante à chaque page le progrès des lumières et l'ascendant de la raison; `certes il faisait là un acte fort raisonnable, et qui annonce un esprit singulièrement éclairé ! Il faut convenir que les factieux se connaissaient en hommes, et qu'ils ne pouvaient mieux choisir le premier président de l'assemblée constituante et le premier maire de Paris.

Si cet ouvrage est destiné à rappeler la gloire des patriotes de 89, il manquera son effet ; j'avoue qu'après l'avoir lu je ne conçois plus pourquoi il est à la mode aujourd'hui de dire que nous sommes revenus aux principes de la révolution : nous sommes retournés bien plus en arrière, et c'est un très-grand bonheur: si les trois volumes de M. Bailly sont destinés à la postérité, c'est du papier perdu ; dans tout ce qu'il a écrit, il n'y a pas une ligne pour l'histoire.

FIÉVÉE.

Poésies diverses de M. Charles Millevoye. Un vol. in-8°, Prix, 1 fr. 50. c., et 2. fr. par la poste, chez Capelle, libraire, rue J. J. Rousseau; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois, no. 42, en face du petit portail de l'Eglise.

Scribendi rectè sapere est et principium et fons.

HOR. Art Poet.

M. Millevoye est à la seconde édition de ses poésies. Par quel malheur faut-il que je n'aie point entendu parler de la première ? et par quel accident auroit-elle été épuisée ? Le feu auroit-il pris? Mais non, il y a des moyens plus doux d'arriver à une seconde édition, et j'aime à croire que M. Millevoye ne les aura pas négligés. Le

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titre de celle-ci nous apprend qu'elle est corrigée et trèsaugmentée. Corrigée, cela est difficile à croire; mais si au lieu de m'annoncer qu'elle est très augmentée, M. Mi'levoye m'eût appris qu'il l'avait considérablement diminuée, croyez-vous qu'il eût été moins sage et moins modeste? M'aurait-il excité moins vivement à l'acheter? Au moins, me serais-je dit, si ce livre est court, je ne risque pas de m'ennuyer beaucoup. Mais quel attrait m'offriront des corrections et les augmentations que je ne connais pas ? Il n'y a peut-être au monde que M. Millevoye qui puisse les connaître. Quel autre mortel en effet serait capable de lire deux fois un pareil recueil? Mais enfin, toutes les critiques n'empêcheront pas que cette seconde édition n'ait un avantage incontestable, c'est qu'elle seule peut nous consoler de n'avoir pas lu la première.

M. Millevoye fait des vers. Je ne saurais le nier, son volume l'atteste. Il m'est seulement permis de douter qu'il sache ce que c'est que la poésie.

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«La parole animée par les vives images, dit Eénélon par les grandes figures, par le transport des passions et par le charme de l'harmonie, fut nommée le langage des dieux les peuples les plus barbares même n'y ont pas été insensibles. Autant qu'on doit mépriser les mauvais poètes, autant on doit admirer et chérir un grand poète, qui ne fait point de la poésie un jeu d'esprit, pour s'allirer une vaine gloire, mais qui l'emploie à transporter les hommes en faveur de la sagesse, de la vertu et de la religion.

Je n'entends pas conclure de là que M. Millevoye soit méprisable aux termes de Fénélon : il n'est dans la classe ni des bons, ni des mauvais poètes; il n'a rien à démêler avec la poésie. C'est un galant homme qui fait des vers

pour Eglé, pour Doris, pour les Athénées, pour tout le monde; seulement il n'en fait pas pour la postérité. Au fond, je ne vois qu'un défaut à ses vers, c'est d'être imprimés et de porter le nom de poésies.

Ce que je voudrois donc établir ici pour l'instruction des rimeurs de nos lycées, c'est que comme toute prose n'est pas de l'éloquence, tous les vers ne sont pas non plus de la poésie. Franchement, M. Millevoye, faut-il être poète pour nous dire :

«Mes amis, on prétend à tort
Qu'un poète n'est pas volable;
Aujourd'hui de ce triste sort
Je suis l'exemple déplorable.
Rien n'est plus vrai : Bias
N'ayant rien pour être plus leste,
Je puis répéter, in petto,

nouveau

Mon omnia mecum porto....

C'est une douceur qui me reste. »>

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pas

Je ne sais si un rimeur qui fait des vers de cette force peut se dire voluble; mais, en tout cas il ne fallait › intituler cette pièce : Le Poète volé. C'est un horrible mensonge. M. Millevoye nous apprend, dans la suite du morceau, que le voleur en question respecta ses écrits. Ce drôle-là n'était pas un sot.

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Trois pièces principales composent ce recueil Les Plaisirs du Poète, la Satire des Romans du jour, et une Epitre de l'Auteur à son Ami; le reste se compose de notes et de pièces fugitives; c'est-à-dire, de tous les petits couplets, de tous les petits vers que l'auteur a faits depuis qu'il existe.

Les Plaisirs du Poète sont un poëme sans action et sans héros, dans lequel l'auteur n'a guère pensé aux plaisirs de ses lecteurs. Il y fait l'énumération des jouissances communes à tous les hommes, et il a justement oublié

celle qui n'appartient qu'au poète, l'amour-propre satisfait, lorsque ses ouvrages sont applaudis en public. Il est étonnant que M. Millevoye, qui paraît extrêmement sensible à cette sorte de satisfaction, puisqu'il ne fait jamais une pièce un peu sérieuse sans injurier les critiques, ait commis un pareil oubli.

O tendre illusion! puissante enchanteresse!
Ne l'abandonne pas, sois toujours sa déesse ;
Prolonge les erreurs qui charment son printemps;
Daigne le protéger et le tromper long-temps!

Toi

que le ciel créa pour embellir le monde,

Tu rends seule à ses yeux la nature féconde;

Sans toi tout meurt pour lui, tout s'abîme et se perd;
Son œil désenchanté ne voit plus qu'un désert.

Ah! laisse-le jouir d'un aimable mensonge!

Respecte son sommeil, il est heureux en songe.

Ce n'est pas moi qui parle ainsi; c'est M. Millevoye qui nous apprend, dans un poëme sur les plaisirs du poète, qu'il se laisse tromper par l'illusion, créée par le ciel pour embellir le monde, et qu'il n'est heureux qu'en songe; c'est-à-dire, qu'il est malheureux en effet, maist que l'illusion lui fait croire qu'il est heureux. Il faut convenir qu'une si triste vérité détruit un peu le charme de ses plaisirs, et qu'elle pourrait bien glacer sa veine poétique.

La Satire des Romans du jour, pièce couronnée en l'an X par l'athénée de Lyon, manque également son objet. La critique de l'auteur porte sur des sujets si révoltans et si odieux, qu'ils devraient être le sujet des recherches de la justice. Il prend ensuite un ton plus léger; il finit par dire:

Un bon roman vaut mieux qu'un livre de morale;
De l'homme à l'écrivain rapprochant l'intervalle,
Il frappe tous les yeux, il parle à tous les cœurs:
Chacun y reconnoît ses penchans et ses mœurs.

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