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Et c'est par ces raisons qu'un roman vaut mieux qu'un livre de morale! Heureusement que c'est M. Millevoye qui le dit dans sa Sutire des Romans; cela n'est pas dangereux. Il lui est bien permis d'écrire tout ce qui lui passe par la tête, et à l'Athénée de Lyon de couronner ce qui lui plaît; l'Institut de Paris couronne bien des choses plus sérieuses que celle-là.

L'Epitre à mon Ami, pièce également couronnée en l'an X par le Lycée de Toulouse, est une faible peinture des embarras de la ville, des travers et des ridicules de ses habitans. Ici l'auteur prétend n'avoir sous les yeux qu'ignorance, que fraude, que fausseté, qu'impudeur, qu'insolence, que crimes. Dans d'autres pièces du même recucil, c'est tout le contraire: tant l'esprit d'un poète est souple et se plic facilement à tout ce qu'on lui demande! Mais c'est lui-même qu'il faut entendre; voici le tableau qu'il fait de Paris dans son épître :

«Paris est un tableau dont la vaste étendue,

Dont l'ensemble impos nt, de loin charment la vue;
Mais le prestige est court: observé de plus près,
Il perd de ses couleurs les magiques attraits.
Que voit-on dans ces lieux que l'espoir divinise?
Une foule d'oisifs nourrissant leur sottise
De vers, de politique et de colifichets
De notre vieille enfance insipides hochets.

La licence effrénée, à l'ignorance unie,
Superbe, ose lever une tête impunie.
Le jeune homme sans moeurs.
Cette beauté du jour, au soin de sa parure,
Dépense des momens qu'implore la nature;
Elle embellit ses traits; et son cœur desséché,
Des penchans les plus doux froidement détaché,
Incapable d'amour, prend pour une chimère

Ces droits, ces noms sacrés et d'épouse et de mère, etc. etc.

Voici le revers de la médaille; c'est toujours le ta

bleau de Paris, mais pris dans les Plaisirs du Poète :

«S'il quitte des hameaux le protecteur asile,

D'autres ravissemens l'attendent à la ville;

C'est au sein des beaux arts qu'il puise les beaux vers.

Il aime à contempler ces chefs-d'œuvre divers,
Où le peintre fameux, moderne Prométhée,
Sut donner à la toile une vie empruntée.
Parmi les monumens du pays des Césars,
Que de marbres vivans appelient ses regards!

Il quitte tour-à-tour, par un desir nouveau,
Le Poussin pour Pigal, et Pigal pour Rameau.

Quel concert retentit! Dieux! qu'a-t-il entendu?
La touche interr‹gée, au doigt a répondu.
Aux doux frémissemens de la corde sonore,
Zulmé va marier sa voix plus douce encore :
Attentif, il écoute. Avec agilité

Déjà la main parcourt l'instrument agité.
O Zulmé, quels accords! Philomèle amoureuse
Fait-elle retentir sa plainte harmonieuse?
Le poète à tes pieds enchaîné sans retour,
S'enivre en t'écoutant, d'harmonie et d'amour.

Dans l'Epitre à l'Ami, c'est une autre chanson:
Tu fuis, cher Euphémon, et ton ame encor pure
Court se réfugier au sein de la nature.

Oui, tu vas comparant ton bonheur et nos maux,
Reposer tes regards sur de plus doux tableaux.

Voici du nouveau, dans les Plaisirs du Poète :
Dieux comme à ces tableaux, de moment en moment,
S'élève dans le cirque un dous frémissement!

O pouvoir du génie! i' sul jugue, il entraîne
Tout un peuple attentif et respirant à peine.

Voilà comme un auteur s'accorde avec lui-même.

Sun poète ne fait pas un pas dans la ville sans

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contrer quelque sujet d'admiration; et son Euphémon ne peut y jeter un regard sans voir quelque horreur nouvelle. Il fallait au moins avoir l'attention de ne pas mettre ces deux pièces dans le même recueil; car le poète pourra dire à l'auteur: « Vous avez voulu vous moquer de moi; » et son ami, le sage Euphémon: « Vous m'en avez imposé pour vous débarrasser d'un ami, ou bien vous n'avez voulu faire qu'un jeu d'esprit fort insipide. »

M. Millevoye a osé mettre en bouts-rimés la seconde idylle de Théocrite, ce chef-d'œuvre de verve et de passion, que le grand Racine mettait au nombre des plus beaux morceaux de l'antiquité. La seconde partie de cette idylle, c'est-à-dire le monologue, est en effet d'une poésie admirable, mais elle peint le délire de l'amour avec des traits si brûlans, que je ne crois pas être trop scrupuleux en avançant qu'elle ne devrait pas être écrite en langue vulgaire. Il paraît que M. Millevoye ne partage pas ce scrupule, puisqu'il a exposé cette pièce sans aucun voile, et avec un style qui ne déguise rien de la licence des peintures. Je ne sais, après cela, que penser de la délicatesse dont il se pique, lorsqu'il nous dit :

« Je n'ai point, profanant l'art divin du poète,
Des Arétins du jour emprunté la palette;

De mes tableaux jamais l'impure nudité
Ne peut effaroucher l'innocente beauté. »

La vie est longue, et un poète ne devrait jurer de rien. Qui sait ce qu'il sera obligé d'ajouter à son livre pour faire une deuxième, une troisième édition? Mais que penser du goût de M. Millevoye, s'il croit qu'on peut peindre des mœurs cyniques sans s'écarter des bornes de la décence? Il me dira qu'il n'est qu'imitateur ; et c'est jus tement parce qu'il n'est qu'imitateur qu'il pouvait mieux choisir ses tableaux, ou du moins les changer à sa fantaisie.

M. Millevoye connaît toutes les routes qui mènent au Parnasse, et il les a presque toutes tentées avec un égal succès: depuis le poëme jusqu'au madrigal, on trouve de tout un peu dans son volume, voire même une longue Dispute entre la Rime et la Raison; mais il ne fallait pas de titre particulier pour cette pièce, on l'aurait fort bien deviné.

LA RAISON.

Régnez chez ces auteurs.... ah! je vous le permets:
Vous avez le champ libre, on ne m'y voit jamais.

LA RIME.

Vos beaux discours, chez eux, ne feraient pas fortune;
Peut-être pourriez-vous leur paraître importune.
J'y suis, c'est bien assez; et moi-même, entre nous,
Je ne suis pas toujours exacte au rendez-vous.
Mais, ma sœur, à présent que faites-vous?

LA RAISON.

J'ennuie.

Fort bien répondu, M. Millevoye; mais pour ne vous pas imiter, il est temps que je termine cet article. Encore une observation, cependant, sur les Pièces fugitives.

Nos faiseurs de complimens s'étaient bornés jusqu'ici à comparer leurs dulcinées aux déesses de la fable, à Vénus, Minerve, Hébé, Flore; et, dans leurs hyperboles les plus outrées, ils se contentaient de dire que toutes ces déesses n'avaient ni beauté, ni sagesse, ni graces, ni légèreté, auprès d'elles. M. Millevoye trouve toutes ces comparaisons trop communes et trop usées; celles qu'il chante ne ressemblent qu'à elles-mêmes, et personne ne lui contestera la justesse de ses similitudes. Voici l'un de ses complimens les plus fins:

Marie avec vous, en effet,

Perdrait peut être au parallèle :

Si l'Esprit-Saint la protégeait.
L'Esprit vous est toujours fidèle,
Par elle un Dieu fut enfanté,
Mille Amours naissent sur vos traces;
La Grace était de son côté.

Mais vous avez pour vous les Graces.

Voilà le goût et l'esprit de M. Millevoye; mais cela n'empêche pas qu'il ne soit un très-grand écrivain, et qu'il ne nous apprenne une chose fort importante à connaître, c'est que son livre est à sa deuxième édition.

G.

L'Art Poétique de Boileau - Despréaux, suivi de sa IX Satire, et de son Epitre à M. de Lamoignon; ouvrages déclarés classiques par la commission nommée pour le choix des livres élémentaires; avec des argumens, les notes historiques de Brossette, un commentaire littéraire d'après Saint-Marc, et plusieurs remarques tirées des littérateurs les plus célèbres; précédés des considérations sur la poétique par Fénélon, des discours de Racine sur l'essence de la poésie, la poésie naturelle, et le respect que les poètes doivent à la reli¬ gion: formant, avec le texte, une poétique complete. Un vol. in-8°. Prix: 3 fr. 60 c., et fr. 75 c. par la poste. A Paris, chez L. Duprat-Duverger, rue des GrandsAugustins, n°. 24; et chez le Normant, imp. libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-1 Auxerrois, no. 42.

L'IDÉE de joindre à l'Art Poétique de Boileau les préceptes de nos meilleurs écrivains en prose sur les différens genres de poésie, est très heureuse; mais il fallast mettre dans le choix de ces préceptes un ensemble et

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