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Peu de jours après, il résolut de faire sa déclaration de vive voix ; mais ce n'était pas une chose facile : Ambroisine ne causait jamais; au bal, elle dansait toujours; chez elle, on la trouvait constamment faisant de la musique; et Dalidor maudit plus d'une fois le violon ou la flûte qui l'accompagnaient. Il prit le parti d'écrire. Ambroisine ne répondit point à sa lettre; mais elle rougit en le revoyant, et à son premier concert elle lui adressa deux vers fort tendres d'une romance qu'elle chanta. Ambroisine, veuve d'un homme de qualité, avait une fortune honnête, une bonne réputation. Le père de Dalidor approuva les sentimens de son fils; Ambroisine donaa son consentement, et il fut décidé que les deux amans s'uniraient au commencement du printemps: on était au milieu de l'hiver.

Un matin, Dalidor sortant en cabriolet, passa dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, et sa voiture cassa à quelques pas de l'église; il y entra, en donnant l'ordre à ses gens d'aller chercher un fiacre; il s'avança dans l'église, et s'assit à quelques pas d'un confessionnal; ses yeux se portant de ce côté, il aperçut, par derrière, une jeune personne à genoux dans ce confessionnal, et dont la tournure le frappa. Quoiqu'elle fût enveloppée dans un grand manteau noir, on distinguait aisément une taille légère, et d'une proportion parfaite. Sa robe, retroussée à la polonaise, laissait voir deux petits pieds charmans, sans aucun art, car les souliers étaient si larges qu'au plus léger mouvement ils se détachaient presqu'entièrement du pied. Enfin, tout-à-coup un soulier tomba, et fut rouler sur la dernière marche du confessionnal. La jeune pénitente était si recueillie, que cet incident ne put la distraire. Dalidor, après avoir admiré son petit pied sans chaussure, s'avança doucement, et ramassa le soulier pour le remettre sur la première marche. Dans ce moment, la

jeune personne se releva, et se retourna avec cette espèce de lenteur qui accompagne une action solennelle et sainte dont on est pénétré. Un voile couvrait son visage; mais elle parut charmante à Dalidor, par son maintien, sa grace touchante, et la douce humilité répandue sur toute sa personne. Elle avait la tête penchée sur sa poitrine; ses deux jolies mains, sans gants, étaient jointes; on voyait qu'elle les serrait, et qu'elle jouissait avec une joie pleine d'innocence et de ferveur, de l'absolution qu'elle venait de recevoir, Dalidor, ému, s'inclina respectueusement en posant le soulier sous le pied de la jeune personne, qui reprit sa chaussure sans relever la tête, et sûrement aussi sans lever les yeux. Elle fut à l'autre extrémité de l'église, auprès d'une vieille dame; elle se mit à genoux sur une chaise, et, pour lire dans ses Heures, elle releva son voile. Alors Dalidor qui la suivait, reconnut le visage angélique de la jeune personne qu'il avait rencontrée à Strasbourg et sur le boulevard Elle avait seize ans, elle était grandie, embellie. Dalidor éprouva un saisissement inexprimable!... La violente palpitation de son cœur le força de s'asseoir; il attacha ses regards sur cette charmante inconnue que le hasard offrait toujours à ses yeux sous des traits si intéressans! Tandis qu'il la contemplait avec tant d'émotion, elle priait avec une attention qui ne lui permettait pas d'apercevoir Dalidor. Au bout d'une demi-heure, la vieille dame la prit sous le bras et l'emmena. Dalidor se leva avec l'intention de la suivre ; mais, s'arrêtant tout-àcoup A quoi bon ? se dit-il en soupirant; à quoi bon ? J'en aime une autre..... J'ai donné ma parole !..... Cette pensée lui serra le cœur............... L'inconnue disparut; Dalidor retomba sur une chaise ; il resta quelques minutes dans une espèce d'anéantissement; ensuite, rassemblant toutes ses forces, il sortit brusquement de l'église. Il conserva, pen

dant plusieurs jours, un fonds de tristesse invincible, et les taleus d'Ambroisine n'eurent même pas le pouvoir de la dissiper entièrement. Vers ce temps, Mulcé, son cousin, absent depuis quelques mois, revint à Paris. Dalidor lui fit part de son mariage projeté, et lui vanta avec emphase les talens d'Ambroisine. Comment! dit Mulcé, à vingt ans, chanter, danser si bien, et jouer de quatre ou cinq instrumens, cela est effrayant, car elle n'a donc jamais eu le temps de penser ? Quelle culture a pu recevoir son esprit ? Quoi done! croyez-vous qu'on ne puisse avoir de la raison avec des talens? Non, mais je pense qu'avec une telle multitude de talens, à un tel âge, on n'a jamais eu le temps de faire des lectures utiles, ni celui de réfléchir, et qu'alors, si malheureusement on n'est pas née avec beaucoup d'esprit, on se trouve privée pour toujours de tout ce qui peut suppléer à la supériorité naturelle. Vous n'avez jamais aimé les arts. Je les trouve charmans et non nécessaires, et ils me paraissent souvent nuisibles.

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Cette conversation n'égaya pas Dalidor, quoiqu'il se répétât que son cousin n'avait point de goût.

Cependant l'hiver s'écoula; Dalidor vit arriver le printemps sans transport, mais avec plaisir : il semble que l'amour se ranime avec la renaissance de la verdure et des fleurs, et que le mois de mai embellisse toutes les jeunes personnes. Ambroisine parut à Dalidor plus aimable et plus brillante que jamais, et Dalidor reprit tout son enthousiasme pour la musique. Arrivé à la veille du jour désigné pour son mariage, Dalidor fut chargé par Ambroisine d'aller retirer de chez un peintre qui venait de partir subitement, son portrait en grand et à l'huile qu'elle avait fait faire à son insu pour lui ; une affaire imprévue avait forcé ce peintre à s'éloigner sans délai. Dalidor, musi

d'an billet d'Ambroisine, se rendit à dix heures du matin. chez le peintre pour réclamer ce portrait qu'il ne connaissait point, et qu'il avait tant d'envie de voir. On lui dit que la femme du peintre pouvait seule lui livrer ce tableau ; qu'elle était sortie, mais qu'elle rentrerait bientôt ; et Dalidor, décidé à l'attendre, se fit conduire dans l'attelier du peintre: là, un domestique, après lui avoir montré le portrait d'Ambroisine, le laissa seul. Ambroisine, parfaitement ressemblante, était représentée dans une éclatante parure, et couronnée de perles et de laurier, entourée d'instrumens, et jouant de la harpe; un groupe de bronze, formé par les Muses des beaux-arts, soutenait le pupître sur lequel était posée la musique qu'elle semblait regarder; on voyait derrière elle, sur un socle élevé, les statues des trois Grâces tenant une couronne qu'elles paraissaient vouloir placer sur sa tête. Dalidor ne fit qu'entrevoir toute cette composition. A côté de ce tableau s'en trouvait un autre qui le fit tressaillir..... O ciel ! s'écria-t-il, me poursuivras-tu toujours !... Ce tableau offrait à ses regards son inconnue, vêtue simplement d'une robe blanche, et dans une basse-cour, donnant à manger à des poulets. On voyait que l'action représentée n'était point une fantaisie de peintre. L'inconnue n'avait ni le costume d'une bergère, ni celui d'une paysanne. Elle était habillée comme une jeune personne qui vit à la campagne, et tout ce que Dalidor connaissait d'elle lui donnait la parfaite certitude que celle qu'on envoyait acheter des herbes au marché, devait en effet être chargée de presque tous les soins du ménage dans l'intérieur de la maison. Oui, dit-il avec attendrissement, voilà ses traits et sa physionomie ravissante; voilà ce front où se peignent la candeur et P'innocence! voilà ce sourire plein de finesse et de naïveté ! voilà cette grace ingénue que jamais la flatterie n'a vantée!

Ah! sans doute la louange même la plus vraie la profane et l'altère; ce charme délicat s'évapore si l'on sait qu'on le possède!..... La voilà, moins belle, moins touchante qu'elle ne m'est apparue dans le marché de Strasbourg, sur le boulevard et dans cette église; mais cette image est la sienne, et lui ressemble!... Par quelle magie ce tableau dépare-t-il tous ceux qui l'environnent!... En disant ces. paroles, il regardait le brillant portrait d'Ambroisine, et la figure de cette dernière lui parut presque ridicule; il trouva son attitude emphatique, son expression forcée; l'affectation et la prétention gâtaient jusqu'à l'ordonnance du tableau. Cette parure éblouissante, cette harpe magnifiquement dorée, ce pupître élégant, ces Muses, formaient un contraste singulier avec la simplicité de la jeune ménagère, entourée de ses petits poulets, et souriant de l'avidité avec laquelle ils se jetaient sur le grain qu'elle répandait à pleines mains. Dalidor, en comparant ces deux figures, sentait vivement qu'il est un charme mille fois plus puissant que les talens et la célébrité........ Et fixant un œil dédaigneux sur le groupe des Graces qui semblaient vouloir couronner Ambroisine: Non, dit-il, ce ne sont point là les Graces; non,elles sont toutes réunies ici...; et ses regards se tournérent sur le portrait de l'inconnue. Il tomba dans une profonde rêverie; il admira l'espèce de fatalité qui lui faisait rencontrer cette inconnue cu son image, et de manière à connaître parfaitement ses mœurs, son caractère, et son genre de vie. Je ne sais, se disait-il, si je dois la rencontrer encore; mais je suis certain que son souvenir m'obsédera toute ma vie.....; et je n'ai même pas été remarqué d'elle ! Ce regard si timide et si doux ne s'est jamais arrêté sur moi un seul instant! Elle me reverrait sans me reconnaître !..... Eh! qu'importe ? Nous n'étions pas nés l'un pour l'autre; sa rusticité ne

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