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sent au milieu des orages, s'élèvent avec lenteur, se » fortifient par les secousses et s'affermissent par le >> temps. >>

L'orateur n'a pas ménagé les figures; mais on voit qu'elles sont péniblement amenées. Ce que Thomas dit de Sully, pourrait s'appliquer à tout autre grand homme. M. Fontanes entre tout de suite dans son sujet : un héros tel que Washington pouvait seul être placé dans le tableau magnifique que trace l'orateur.

<< Il est des hommes prodigieux qui apparaissent d'in»tervalle en intervalle sur la scène du monde avec le » caractère de la grandeur et de la domination. Une cause » inconnue et supérieure les envoie quand il en est temps, » pour fonder le berceau ou pour réparer les ruines des >> empires. C'est en vain que ces hommes, désignés d'a»vance, se tiennent à l'écart ou se confondent dans la » foule; la main de la fortune les soulève tout-à-coup, » et les porte rapidement, d'obstacle en obstacle et de >> triomphe en triomphe, jusqu'au sommet de la puissance. » Une sorte d'inspiration surnaturelle anime toutes leurs » pensées; un mouvement irrésistible est donné à toutes » leurs entreprises. La multitude les cherche encore au » milieu d'elle et ne les trouve plus; elle lève les yeux >> en haut, et voit, dans une sphère éclatante de lumière » et de gloire, celui qui ne semblait qu'un téméraire aux » yeux de l'ignorance et de l'envie. »>

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Cet exorde n'a rien d'affecté l'orateur, frappé de l'étonnante destinée de son héros, semble faire partie du peuple qui le vit s'élever, et qui lui dut sa tranquillité et son bonheur; cette figure est une des plus belles que l'on ait employées dans l'éloquence française. Thomas parle des talens administratifs de Sully, et s'égare dans de longs détails. « Le travail austère remplissait ses

» journées, chaque portion de temps était marquée par » chaque besoin de l'état Chaque heure en fuyant por> tait son tribut à la patrie; ses délassemens même » avaient je ne sais quoi de mâle et de sévère. C'était du » repos sans indolence et du plaisir sans mollesse. L'éco»nomie domestique l'avait formé à cette économie pu»blique qui devint le salut de l'état. Ses ennemis louèrent » sa probité; sa justice eût étonné un siècle de vertu, etc. » M. Fontanes, sans entrer dans tous ces détails, peint d'un seul trait le caractère de Washington, et montre quelle fut sa principale qualité. «Washington, dit-il,

n'eut point ces traits fiers et imposans qui frappent tous » les esprits: il montra plus d'ordre et de justesse que » d'élévation dans les idées. Il posséda sur-tout, dans un » degré supérieur, cette qualité qu'on croit vulgaire, et » qui est si rare, cette qualité non moins utile au gouver»nement des états qu'à la conduite de la vie, qui donne » plus de tranquillité que de mouvement à l'ame, et plus » de bonheur que de gloire à ceux qui la possédent, ou à » ceux qui en ressentent les effets; c'est le bon sens dont » je veux parler; le bon sens dont l'orgueil a trop rejeté » les anciennes règles, et qu'il est temps de réhabiliter » dans tous ses droits. L'audace détruit, le génie élève, » le bon sens conserve et perfectionne. Le génie est » chargé de la gloire des empires; mais le bon sens peut » assurer seul et leur repos et leur durée. » Ici les grandes vues se joignent aux formes oratoires; on ne trouve que dans nos bons écrivains cet accord si rare de la justesse rigoureuse des pensées et de tous les charmes de l'expression. Les mouvemens de ce discours ont cette belle simplicité dont jamais Thomas n'a pu approcher.

M. Fontanes parle-t-il de l'étonnement que dut inspirer le caractère de Washington dans un siècle corrompu ? « Uṇ

»tel caractère, dit-il, est digne des plus beaux jours de » l'antiqui é. On doute, en rassemblant les traits qui le com» posent, qu'il ait paru dans notre siècle. On croit retrouver » une vie perdue de quelques-uns de ces hommes illustres » dont Plutarque a si bien tracé le tableau. » Les deux orateurs peignent la retraite des héros dont ils font l'éloge. Le morceau de Thomas est un des meilleurs qu'il ait composés; les mémoires de Sully lui ont fourni les détails qu'il donne; il se borne à les revêtir des formes oratoires. M. Fontanes n'ayant pas eu la même ressource, retrace du style le plus simple et le plus touchant, les quatre dernières années de Washington. Ce héros s'occupe d'agriculture et donne ses soins au labourage et au páturage que Sully, chargé d'administrer un pays dévasté par les guerres civiles, appelait les deux mamelles de l'état. Au milieu de ces soins si dignes d'attacher le vieillard et le sage, il termine doucement ses jours.

Nous regrettons que ce recueil ne présente que cet unique fragment de prose de M. Fontanes. Les éditeurs auraient pu trouver dans le discours préliminaire de l'Essai sur l'Homme, et dans les premiers numéros da Mercure, des morceaux qui ne le cèdent pas à celui dont nous venons de parler. Le second volume contient quelques-uns de ses vers; on y voit avec plaisir la fin du poëme du Jour des Morts ; il nous semble qu'il n'y aurait eu aucun inconvénient à l'insérer tout entier; cet ouvrage très-court est un chef-d'œuvre dans son genre. Parmi les morceaux que nous regrettons, nous ne pouvons nous empêcher de rappeler celui dans lequel l'auteur peint le sacrifice de la messe. Au jugement de M. de La Harpe, ce sont vingt des plus beaux vers de la langue française. O moment solennel! ce peuple prosterné,

Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,

Ses vieux murs, son jour sombre et ses vitraux gothiques,
Cette lampe d'airain, qui dans l'antiquité,

Symbole du soleil et de l'éternité,

Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue ;

La majesté de Dieu parmi nous descendue,

Les pleurs, les vœux, l'encens qui montent vers l'autel,
Et de jeunes beautés qui, sous l'œil maternel,
Adoucissent encor par leur voix innocente
De la religion la pompe attendrissante;
Cet orgue qui se tait, će silence pieux,
L'invisible union de la terre et des cieux,

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Tout enflamme, agrandit, émeut l'homme sensible;
Il croit avoir franchi le monde inaccessible
Où sur des harpes d'or, l'immortel Séraphin
Aux pieds de Jehovah chante l'hymne sans fin.
Alors de toute part un Dieu se fait entendre ;
Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre:
Il doit moins se prouver qu'il ne doit se sentir.

Les éditeurs ont tiré des grands écrivains du siècle de Louis XIV, presque tous les beaux morceaux que l'on peut citer séparément. Cependant on est affligé de voir qu'ils ont négligé Pascal et Nicole. Il est vrai que, dans les productions du premier, on rencontre peu de morceaux susceptibles d'être détachés; les Pensées sont trop courtes; les Lettre Provinciales ont une suite de raisonnemens qu'il est difficile de rompre : isoler les plaisanteries de l'auteur, ce serait leur faire perdre tout leur sel. Néanmoins en cherchant bien il est possible de trouver des tirades où l'auteur généralise ses idées et s'élève à la plus haute éloquence. Tel est ce superbe tableau de la vérité qui lutte contre la force : « Vous croyez avoir la force et l'impu» nité; mais je crois avoir la vérité et l'innocence ; c'est » une étrange et longue guerre que celle où la violence » essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la via»lence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu'à » la relever davantage; toutes les lumières ne peuvent

» rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter >> encore plus. Quand la force combat la force, la plus » puissante détruit la moindre; quand on oppose les >> discours aux discours, ceux qui sont véritables et con>> vaincans confondent et dissipent ceux qui n'ont que la » vanité et le mensonge; mais la violence et la vérité ne » peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas » de là néanmoins que les choses soient égales; car il y a » cette extrême différence, que la violence n'a qu'un » cours borné par l'ordre de Dieu qui en conduit les effets » à la gloire de la vérité qu'elle attaque; au lieu que la » vérité subsiste éternellement, el triomphe enfin de ses >> ennemis, parce qu'elle est éternelle et puissante comme » Dieu mème. »

Un livre qui porte le titre de Leçons de Morale, devait aussi contenir quelques passages de Nicole. On sait que cet auteur est un des plus profonds moralistes du siècle de Louis XIV. Madame de Sévigné ne parle de lui qu'avec admiration; ses Traités sur la connaissance de soi-même, sur l'usage du temps, offrent des morceaux achevés. Un des passages les plus curieux de ses Essais de Morale est celui où il fait parler Pascal; l'auteur des Provinciales ne pouvait avoir un meilleur interprête. L'anecdote est assez intéressante pour mériter d'être rappelée. Un duc pria Pascal de donner des instructions à son fils; il y eut plusieurs conférences dans lesquelles ce grand homme déploya les vues les plus vastes sur la politique et sur la morale. Nicole, qui étoit présent à ces conférences, recueillit les principales idées de Pascal; elles forment trois discours pleins de force et de substance; on en pourra juger par ce morceau sur le respect que l'on doit aux grands; Pascal s'adresse au jeune duc : « Il est bon, » monsieur, que vous sachiez ce que l'on vous doit, afin

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