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térieur plus immoral mille fois que notre caractère; aussi les philosophes qui ont voulu prouver que le respect pour la décence n'était qu'hypocrisie, doivent s'applaudir de leur succès: à coup sûr, nous ne sommes plus hypocrites, nous n'aflectons plus l'austérité des bonnes mœurs; et sans la métaphysique et l'ennui qui se glissent partout, même dans les boudoirs, on nous prendrait pour d'aimables voluptueux. Quelle erreur!

C'est aussi la métaphysique du sentiment et le défaut de naturel qui empêcheront le succès de l'espèce de roman qui fait le sujet de cet article, car le public passerait volontiers sur l'avilissement des personnages historiques; mais comment supporter Ninon alambiquant l'amour que lui inspire Villarceaux, pour en tirer des phrases de ce genre? << Votre encens est le seul qui me plaise; tout >> autre serait un supplice pour moi : je ne sais s'il » me porterait à la tête; mais à coup sûr il n'irait » jamais jusqu'à mon cœur. » Un encens qui serait. un supplice, sans aller jamais jusqu'au cœur! Il est probable que mademoiselle de Lenclos ne parlait pas ainsi. Quand on veut mettre en scène des personnages du siècle de Louis XIV, la première chose à faire serait de prendre l'esprit du temps: à cette observation l'auteur répondra sans doute qu'un homme-de-lettres nourri de cet esprit-là ne l'emploierait ni pour Ninon, ni contre madame de Maintenon; et nous sommes du même avis.

FIEVÉE.

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Vies des Hommes illustres de Plutarque; seconde édition, revue, corrigée, et ornée de portraits gravés d'après l'antique. Quatre vol. in-8°. Prix: 15 fr., et 20 fr. par la poste. A Paris, chez N. L. M. des Essarts, éditeur et libraire, rue du Théâtre Français; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois, n°. 42.

« J'AI choisi Monime entre les femmes que Mithri>> date a aimées (dit Racine dans la préface de son » Mithridate); il paraît que c'est celle de toutes qui a été » la plus vertueuse, et qu'il a aimée le plus tendrement. » Plutarque semble avoir pris plaisir à décrire le malheur » et les sentimens de cette princesse. C'est lui qui m'a `» donné l'idée de Monime, et c'est en partie sur la pein>>ture qu'il en a faite que j'ai fondé un caractère que je » puis dire qui n'a point déplu. Le lecteur (continue >> Racine) trouvera bon que je rapporte ses paroles telles » qu'Amyot les a traduites; car elles ont une grace dans » le vieux style de ce traducteur, que je ne crois point. »pouvoir égaler dans notre langue moderne.

>> Celle-ci était fort renommée entre les Grecs, pour ce » que, quelques sollicitations que lui fit faire le roi » en étant amoureux, jamais ne voulut entendre à toutes »ses poursuites, jusqu'à ce qu'il y eût accord de mariage » passé entr'eux, et qu'il lui eût envoyé le diademe ou » bandeau royal, et appelé royne. La pauvre dame, » depuis que ce roi l'eut épousée, avait vécu en grande » déplaisance, ne faisant continuellement autre chose que » de plorer la malheureuse beauté de son corps, laquelle, au lieu d'un mari, lui avait donné un maître, et au lieu

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» de compagnie conjugale, et que doit avoir une dame » d'honneur, lui avait baillé une garde et garnison » d'hommes barbares, qui la tenait comme prisonnière >> loin du doulx pays de la Grèce, en lieu où elle n'avait » qu'un songe et une ombre de biens, et au contraire » avait réellement perdu les véritables, dont elle jouissait » au pays de sa naissance; et quand l'eunuque fut arrivé » devers elle, et lui eut fait commandement de par le roi » qu'elle eut à mourir, adonc elle s'arracha d'alentour de » la tête son bandeau royal, et se le nouant à l'entour du » col, s'en pendit; › ce bandeau ne fut pas assez fort » et se rompit incontinent, et lors elle se prit à dire : 0 » maudit et malheureux tissu, ne me serviras-tu poist » au moins à ce triste service! En disant ces paroles, elle »le jeta contre terre, crachant dessus, et tendit la gorge » à l'eunuque. »

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Le respect que Racine témoigne pour la vieille traduction d'Amyot est remarquable. J'ai transcrit en entier ce passage de la Préface, ainsi que le morceau de Plutarque, pour montrer avec quelle scrupuleuse fidélité l'auteur de Mithridate rapporte le texte du vieux traducteur. Il ne se permet d'altérer, ni les expressions, ni même l'orthographe gothique. Il est à remarquer que c'est le poète qui a le mieux connu les graces de notre langue; que c'est Racine, pour tout dire, qui, en parlant du style suranné d'Amyot, avoue qu'il ne croit point pouvoir l'égaler dans notre langue moderne. Cet aveu seul devrait suffire pour réhabiliter la mémoire de notre vieux langage dont l'étude est de nos jours si négligée. La langue d'Amyot et de Montaigne sera bientôt inintelligible pour nous. Il faudra traduire ces auteurs comme on traduit les Grecs et les Latins. Le père de la gaieté française, ce Rabelais dont la lecture a fourni à Lafon

taine tant de tournures naïves, et à Molière une foule d' dées et d'expressions comiques, n'est guères lu que par les érudits; si Montaigne est encore goûté des gens de lettres, c'est moins pour les graces de son style inimitable que pour sa hardiesse de penser et l'esprit philosophique dont ses productions sont empreintes aussi, si ce caractère préc eux du génie, la naïveté sans laquelle même il n'est point de sublime, devient tous les jours. plus rare dans les ouvrages modernes, on ne doit s'en prendre qu'au dédain que nous semblons avoir pour les ouvrages qui faisaient les délices de nos pères. Amyot a prouvé par sa traduction des Vies de Plutarque, que la naïveté gauloise ne le cédait point à la simplicité grece que, et sous ce dernier rapport son ouvrage est un modèle accompli. Pour moi, j'ai toujours regret, lorsque je lis cette traduction, que la même plume ne nous ait pas donné Hérodote et Xénophon. L'élégante simplicité, la douceur du dialecte ionien dont Hérodote s'est servi pour écrire son histoire générale, ne pouvaient être imitées que par notre vieux langage doux, simple et naïf. Amyot, Charron, Rabelais, le sire de Joinville, Marot et Reignier, sont pour nous une seconde antiquité. Je ne crains pas de dire qu'après les Grecs et les Romains, nos anciens auteurs Gaulois, comme étant plus près que nous de la nature, méritent le plus d'occuper notre attention. D'ailleurs, quoi de plus agréable pour un homme qui aime véritablement sa langue, et qui desire de la connaître, que de la voir ainsi progressivement se dérouiller et suivre les progrès de notre civilisation? Obscurcie par l'alliage des langues anciennes et modernes, la langue française ressemble, dans les premiers temps, à une masse informe de plomb. De siècle en siècle on la voit s'épurant dans le creuset des écrivains de géne. L'or

qu'elle renferme et qui commence à paraître sous François Ier, déjà jette un vif éclat sous Malherbe : et bientôt dégagé des matières hétérogènes qui l'obscurcissoient, on le voit briller de toute sa pureté entre les mains de Racine et de Massillon. C'est ainsi du moins qu'Horace et Virgile étudiaient leur langue : ils cherchaient soigneusement à découvrir son génie dans les écrivains qui les avaient précédés. La lecture des vieux poètes latins a servi beaucoup à Virgile; et Horace soupirant après les tranquilles loisirs qu'on goûte aux champs, compte au rang de ses plaisirs celui de pouvoir lire en paix les bons vieux auteurs.

On a vu par ce que nous avons rapporté ce que pensait Racine du style d'Amyot. Boileau n'était pas moins amoureux que lui des graces naïves de notre langue gauloise. Ce célèbre critique vit avec humeur qu'un certain abbé s'avisåt de traduire Plutarque de nouveau, sous prétexte que le style d'Amyot était suranné. Qu'importe à nos vers, dit-il dans son épître à Racine, que Perrin les admire,

Que l'auteur du Jonas s'empresse pour les lire,
Qu'ils charment de Senlis le poète idiot',

Ou le sec traducteur du français d'Amyot?

Dacier, savant d'ailleurs fort estimable, mais qui se connaissait en grace et en élégance beaucoup moins que Racine, ainsi que tout le monde l'avouera, Dacier n'en entreprit pas moins une nouvelle traduction du grec de Plutarque : les gens de goût qui ne peuvent pas lire Plutarque dans l'original, préféreront toujours la traduction d'Amyot à celle de Dacier. Mais cette dernière traduction est bien loin que d'être inutile. Sous le rapport de l'instruction publique elle était même indispensable dans notre langue. En effe le français d'Amyot, déjà obscur pour les gens de lettres, devenait inintelligible pour les jeunes gens, entre les mains desquels on ne saurait mettre trop tôt les

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