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Cette règle, exceptionnelle en matière d'excuse, reçoit elle-même deux exceptions qui sont formulées dans les deux paragraphes de l'article 324. Cet article, après avoir déclaré, dans son premier paragraphe, que le meurtre commis entre époux n'est pas excusable, ajoute aussitôt : « Si la vie de l'époux ou de l'épouse qui a commis le meurtre n'a pas été mise en péril dans le moment même où le meurtre a eu lieu. >> Ainsi la qualité de l'époux cesse d'être un obstacle à l'admission de l'excuse par le concours de ces deux circonstances: si sa vie a été mise en péril et si ce péril a existé au moment même où le meurtre a été consommé.

Mais si la vie de l'époux a été mise en péril, ne se trouvait-il pas dans la nécessité de se défendre? Le meurtre qu'il a commis n'était-il pas non-seulement excusable, mais justifié? Cette observation a fait penser à quelques auteurs que le législateur a voulu déroger, dans l'article 324, au principe de l'article 328, et restreindre à l'égard des époux le droit même de la défense légitime [1]. Cette interprétation ne peut être adoptée. L'article 328 pose une règle générale de justification qui, comme la démence et la contrainte, n'admet aucune dérogation, et l'article 324, loin de supposer cette dérogation, se concilie au contraire aisément avec cette règle. La vie de l'un des époux peut être mise en péril par les violences de l'autre, sans qu'il soit dans la nécessité de repousser ces violences par l'homicide: il peut, en effet, soit appeler des secours, soit se dérober à ces violences par la fuite. S'il a la faculté d'employer l'un de ces moyens, et qu'au lieu de le faire il commette volontairement l'homicide, cet homicide sera excusable: mais s'il n'avait d'autres moyens de sauver sa vie qu'en tuant l'agresseur, le meurtre ne serait pas seulement excusable, aux termes de l'article 328 il ne constituerait ni crime ni délit. «S'il en était autrement, ajoute M. le professeur Haus, il résulterait que l'article 324 aurait établi, par rapport aux époux, une exception qui n'existe pas même entre enfants et parents; l'enfant aurait le droit de légitime défense même contre son père, et ce droit serait refusé à l'épouse que la loi obligerait en quelque sorte à se laisser assassiner par son époux [2].

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La deuxième exception à la règle qui dénie l'excuse aux époux est écrite dans la deuxième partie de l'article 324, qui est ainsi conçu : «Néanmoins, dans le cas d'adultère prévu par l'article 336, le meurtre commis par l'époux sur son épouse ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. »>

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La loi romaine accordait au père, avant de l'accorder à l'époux, le droit de tuer sa fille et son complice surpris en adultère. Patri datur jus occidendi adulterum cum filiâ quam in potestate habet [3]. Ce droit était toutefois soumis à plusieurs conditions il fallait que sa fille fût sous sa puissance, comme l'exprime la loi qu'on vient de lire; car c'était un attribut de la puissance paternelle nemo alius ex parentibus idem jure faciat; et si le père était lui-même fils de famille, le droit n'existait plus sic eveniet ut nec pater nec avus potest occidere [4]. Il fallait ensuite qu'il surprit sa fille en flagrant délit : in ipsâ turpitudine, in ipsis rebus Veneris [5]. Et la loi exigeait de plus que le même coup frappât à la fois sa fille et son complice, ictu et uno impetu utrumque debet occidere [6], parce qu'elle supposait que le meurtre était commis dans le premier moment de l'indignation, et que la colère ne sait pas distinguer entre les coupables, quia lex parem in eos qui deprehensi sunt indignationem exigit et requirit [7]. Si le père se fût borné à tuer le seul complice et qu'il eût pardonné à sa fille, il serait rentré sous l'empire du droit commun, lege Corneliâ reus erit [8]. Enfin, une dernière condition était que l'adultère eût été commis dans la maison du père ou dans celle de son gendre jus occidendi patri conceditur domi suæ, vel in domo generis [9] : il fallait, pour constituer l'injure, que la maison paternelle eût été souillée.

Ce droit homicide, conséquence des principes de la loi romaine sur la puissance paternelle, ne fut point reconnu par l'ancienne jurisprudence française : « En France, dit Jousse, il n'est pas permis au père de tuer sa fille ni celui avec lequel elle est surprise en adultère [10]. » Fournel en explique le motif: « Cette doctrine,

[6] L. 23, ibid. Farin., quæst. 121, num 23. [7] L. 32, Dig. ibid.

[8] L. 32, Dig. ibid., et occursu in glossa. [9] L. 22, Dig. ibid.

[10] Tom. 3, pag. 491.

dit-il, est incompatible avec la qualité de délit privé attribué à l'adultère; il serait étrange que celui qui n'a pas le droit de déférer un délit à la justice eût le droit de le punir [1]. » Toutefois il paraît que les juges, après avoir prononcé les peines légales, renvoyaient le père par-devant le prince pour obtenir des lettres de grâce [2]. Dans notre droit actuel, cet homicide serait soumis aux règles du droit commun; une excuse légale ne pourrait être invoquée; les circonstances susceptibles d'en modifier le caractère se confondraient dans la question de culpabilité. Les annales des Cours d'assises offrent toutefois des exemples nombreux d'acquittements en pareille circonstance, et cela se conçoit. Commentateurs de la loi, nous ne pouvons pas admettre en doctrine une semblable jurisprudence.

La loi romaine, en permettant au père cet acte de vengeance, l'interdisait au mari: patri, non marito, mulierem permissum est occidere [3]. Papinien donne la raison de cette différence c'est que la tendresse paternelle veille en faveur de la fille, et retient entre les mains du père l'exercice du terrible privilége dont il est armé, tandis que le mari céderait trop promptement à l'impétuosité de son ressentiment: quod plerumque pietas paterni nominis consilium pro liberis capit; ceterum mariti calor et impetus facile decernentis fuit refrenandus [4]. Néanmoins, lorsque le mari, violant la défense de la loi, avait tué le coupable surpris en flagrant délit, il n'était point puni des peines ordinaires : si maritus uxorem in adulterio deprehensam, impetu tractus doloris interfecerit, non utique legis Cornelia de sicariis pœnam excipiet [5]. La loi ajoute le motif de cette atténuation: ultimum supplicium remitti potest, cùm sit difficillimum justum dolorem temperare; la peine était donc commuée sufficiet igitur, si humilis loci sit, in opus perpetuum eum tradi; si qui honestior, in insulam relegari. C'est en ce sens et en vue de cette commutation qu'Ulpien disait: Si maritus, in adulterio deprehensam uxorem occidat, ignoscitur ei (6). Le pardon que le mari pouvait espérer était l'a

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doucissement de sa peine. Il n'était fait exception à ces règles que lorsque le complice de la femme était une personne vile, telle qu'un esclave, un affranchi, un baladin, un homme flétri par un jugement public. Le mari qui, dans ce cas, lavait son outrage dans leur sang, était exempt de toutes peines [7].

Ces principes étaient à peu près suivis dans notre ancien droit, sauf toutefois la restriction relative aux personnes viles : « Il n'est pas permis, dit Jousse, de tuer l'adultère de sa femme, ni sa femme, parce que l'homicide est indistinctement défendu dans nos mœurs. Mais comme sa douleur est juste, s'il éprouve ce malheur, s'il tue sa femme et l'adultère surpris en flagrant délit, il obtient facilement sa grâce du roi. L'usage même est que si le mari avait négligé d'obtenir des lettres de grâce, on ordonne qu'il se retirera par devers le prince pour les obtenir [8]. » Les auteurs rapportent de nombreux exemples d'homicides de cette nature et de grâ– ces obtenues à la suite [9].

La deuxième partie de l'article 324 n'a fait que reproduire cette doctrine. La loi n'a point reconnu au mari le droit de donner la mort à sa femme ou à son complice surpris en adultère; mais elle a considéré cet outrage comme une de ces provocations violentes qui appellent son indulgence; elle punit le meurtre, mais comme un simple délit. Les jurés, nous devons le reconnaître, vont plus loin; ils prononcent l'acquittement pur et simple, soit du mari, soit de la femme, qui ont cru pouvoir venger l'injure la plus grave dans le sang de l'adultère et de son complice. Mais nous expliquons la loi.

« La loi, dit l'exposé des motifs du Code, n'excuse ce meurtre que sous deux conditions: 1° si l'époux l'a commis au même instant où il a surpris l'adultère plus tard il a eu le temps de la réflexion, et il a dù penser qu'il n'est permis à personne de se faire justice; 2o s'il a surpris l'adultère dans sa propre maison. Cette restriction a paru nécessaire. On a craint que si ce meurtre, commis dans tout autre lieu, était également excusable, la tranquillité des familles ne fut troublée par des époux méfiants et injustes qu'aveuglerait l'espoir de se venger des prétendus égarements de leurs épouses. » Il est

[7] L. 24.Dig. ad leg. Jul., de adulteriis.

[8] Leprêtre, cent. 4, chap. 61, no 17; Papon, 1. 2, tit. 99, add., no 5; Henrys, tom. 1. liv. 4, chap. 6, quæst 65; Laroche-Flavin, en ses Arrêts, liv. 1, tit. 7, no 4.

[9] Jousse, tom. 3, p. 491.

nécessaire d'insister sur ces deux conditions de l'excuse.

La première exige que le meurtre soit commis au moment où le mari surprend les coupables en flagrant délit. On doit remarquer qu'il ne s'agit point ici du flagrant délit tel que l'a défini l'art. 41 du Code d'instruction criminelle. En effet, cet article considère comme flagrant délit, non-seulement le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre, mais encore le cas où le prévenu est poursuivi par la clameur publique, et celui où il s'est trouvé saisi d'effets qui font présumer sa culpabilité. Évidemment ce n'est pas là l'hypothèse de l'article 324. Cet article veut que les coupables aient été surpris en flagrant délit, parce que ce n'est que l'aspect même du crime qui pent excuser l'emportement de l'agent et les excès dont il se rend coupable: le flagrant délit se trouve donc restreint au cas où le délit se commet actuellement. C'est aussi dans ce sens que le rapporteur du Corps législatif expliquait la loi: << Comment, disait M. Monseignat, ne pas excuser l'époux offensé dans l'objet le plus cher à son honneur et à ses affections, qui, au moment où il est outragé dans sa propre maison, immole dans les bras du crime et l'adultère et son complice ? »

Mais que faut il entendre par le délit qui se commet actuellement? En matière d'adultère, cette question est très-délicate. Sous la loi romaine comme dans notre droit, il fallait, pour que le mari fût excusable, que l'épouse eût été surprise en adultère : si maritus uxorem in adulterio deprehensam interfecerit... [1]; et Ulpien traduisait ces mots in adulterio en ces termes In ipsâ turpitudine, in ipsis rebus Veneris [2]. Les glossateurs ont longuement disserté sur cette interprétation; les uns ont restreint l'adultère à l'acte même qui le consomme præludia et prænuntia flagitii non sunt flagitium ipsum, dit Matheus [3]. In ipsis rebus Veneris, ajoute Décianus, intelligo illa verba, id est, in ipso actu adulterii, nam illa dicuntur propria res Veneris: illud verbum ipsum denotat rem perfectam, ou cœptam tantum [4]. Les autres étendent l'adultère à tous les actes qui tendent à le consommer: sunt enim res Veneris, dit la glose, antecedentia ipsum sce

[1] L. 38, § 8, Dig. ad leg. Jul., de adulteriis. [2] L. 23, Dig. ad leg. Jul., et Damhouderius, chap. 74, n° 24.

[3] Tit. 3, lib. 48, Dig. de pœnâ adult., num. 15. CHAUVEAU. T. IV, ÉDIT. DE FR. T. VI

lus; scilicet, apparatus, colloquia [5]; et cette opinion semble favorisée par Justinien, qui avait étendu l'excuse au mari, lors même qu'il avait tué le complice hors du flagrant délit, et par cela seul qu'il avait bravé sa défense. Si quis ei quem suspectum habet de suâ uxore, ter in scriptis denuntiaverit, et post invenerit eum convenientem uxori sua in domo sua, ine periculo eum perimat[6].

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Nous ne prétendons point, comme les docteurs, définir rigoureusement les actes qui constituent le flagrant délit. La loi a exigé, pour l'application de l'excuse, que le délit se commit actuellement, car elle devait craindre que le mari ne fût abusé par de trompeuses apparences, car la certitude et la vue même de l'infidélité de sa femme pouvaient seules excuser l'égarement de sa douleur. Mais il n'a pu être dans son intention de restreindre l'excuse au seul cas où il aurait été témoin de la consommation même de l'adultère il suffit que la femme et son complice aient été surpris ensemble, dans une situation qui ne permette pas de douter que l'adultère vient d'être commis ou qu'il va se commettre; par exempie, et pour parler le langage des docteurs: solus cum solâ in eodem lecto. Le flagrant délit existe, car la culpabilité de la femme et du complice est évidente, et ils sont surpris dans les actes mêmes qui en fournissent la preuve. Tout ce qu'on peut exiger du mari, c'est que l'acte qu'il a puni porte en lui-même la preuve complète de l'infidélité; toute autre restriction serait dérisoire et évidemment contraire à l'esprit de la loi.

Mais lorsque le premier instant de la surprise et de l'indignation est passé, l'excuse ne serait plus admise, le droit commun reprend son em-pire. Ainsi, le mari qui, après avoir surpris les coupables, les aurait enfermés, et viendrait longtemps après les mettre à mort, invoquerait vainement l'excuse, car il n'aurait point cédé à un mouvement instantané, il aurait prémédité son crime. Mais en serait-il ainsi, si, désarmé au moment où il les a surpris, il s'est précipité hors de la chambre pour aller chercher une arme, et est revenu aussitôt pour accomplir sa vengeance? Non, pourvu qu'il n'ait point cessé d'agir sous l'impression d'une passion instantanée. Quelques moments rapides écoulés entre

[4] Lib, 9, cap. 15, num. 15. [5] In 1. 23, Dig. eodem.

[6] L. 30. au C. de adult. in authent. si quis.

l'outrage et la vengeance ne peuvent suffire pour modifier le caractère de l'action, et faire supposer la préméditation; mais il serait difficile de poser le terme où l'excuse ne saurait plus être invoquée, où la distance doit faire présumer la colère éteinte; cette décision est tout entière dans l'appréciation des faits et des circonstances. On peut, sans inconvénient, laisser à l'omnipotence du jury tout ce qui concerne l'appréciation des excuses des époux outragés [1].

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La question devient plus délicate encore lorsque le mari, soupçonnant l'infidélité de sa femme, s'est caché pour la surprendre. Henrys rapporte un fait de cette nature. Le mari avait feint un voyage de plusieurs jours, puis était revenu secrètement dans la maison conjugale où il avait surpris sa femme et son complice, et avait tué l'un d'un coup de pistolet et l'autre d'un coup de poignard : il obtint des lettres de grâce tant pour lui que pour un archer qui l'avait aidé dans l'exécution, mais il eut beaucoup de peine à faire entériner ces lettres : « Parce que, dit Henrys, le mari avait donné occasion de faire le mal, et qu'il avait plutôt dressé un piége à sa femme qu'il ne l'avait surprise inopinément [2]. » On conçoit facilement le scrupule du parlement; mais il semble que cette difficulté doit trouver sa solution dans une distinction si le mari, soupçonnant l'infidélité, s'est caché avec la seule pensée d'épier sa femme, et qu'à la vue de l'outrage il n'a pas été maître de sa colère, le fait d'avoir connu et favorisé le rendez-vous ne sera point un obstacle à ce qu'il jouisse du bénéfice de l'excuse, car il n'avait qu'un seul but en se cachant, celui de s'assurer de l'infidélité; il a prémédité de surprendre le coupable, et non de se venger; l'homicide est le résultat d'un mouvement imprévu de colère; l'action n'a pas changé de nature. Mais il en est autrement si le mari s'est caché avec la certitude déjà complète du crime, muni d'armes et dans la seule intention de le punir : il ne cède point, dans ce cas, à l'emportement de la colère, mais aux suggestions d'une vengeance méditée à l'avance; quelque juste que soit sa fureur, son action n'est qu'un guet-apens, l'homicide qu'il commet, qu'un assassinat. Ce n'est point là l'attentat que l'art. 324 a voulu excuser: il n'a prévu que le meurtre qu'une main égarée par une juste indignation commet dans

[1] Voy. dans le même sens notre tom. 3, p. 69.
[2] Tom. 1, liv. 4, chap. 6, quæst. 65.
[3] L. 32, Dig. ad leg. Jul. de adult.

l'entraînement d'un premier mouvement; il n'a point prévu la préméditation et les préparatifs qui décèlent le crime. Au reste, il faut le répéter dans cette matière délicate; cette distinction n'est point absolue. Les actes extérieurs ne sont pas toujours des signes certains des mouvements de l'âme, et l'inapplication de l'excuse suppose la preuve acquise que le mari avait combiné à l'avance sa vengeance, et en avait préparé l'exécution. Il n'est pas besoin d'ajouter, d'après ce qui précède, que si le mari a cédé à des suggestions étrangères à l'adultère, s'il a voulu se servir de ce prétexte pour faire excuser un homicide commis par haine ou par cupidité, l'excuse cesse d'être applicable. Aussi est-il nécessaire de constater avec soin si l'adultère n'a pas été un piége pour couvrir un autre crime, et cette vérification doit surtout être faite lorsqu'un seul des coupables a été tué. C'est par ce motif que la loi romaine n'appliquait l'excuse qu'en cas de double meurtre de la femme et du complice: non interest adulteram filiam priùs pater occiderit an non, dùm utrumque occidat; nam si alteram occidit, lege Corneliâ reus erit [3].

L'excuse est-elle admissible lorsque le mari a employé l'aide d'un tiers à l'exécution de l'homicide? Les anciens jurisconsultes regardaient ce concours comme légitime; ils admettaient qu'un mari faible et valétudinaire pût invoquer les secours étrangers pour instruments de sa vengeance; les motifs de cette décision étaient qu'il est permis de faire par autrui ce qu'on peut faire par soi-même : quod est licitum in personâ mandantis est etiam licitum in personâ mandatarii [4]. Elle s'appuyait d'ailleurs sur la loi romaine qui étendait jusqu'aux fils qui avaient porté secours à leur père le bénéfice de l'excuse : filiis ejus qui patri paruerunt præstandum est [5]. Cependant l'empire de cette loi, qualifiée avec raison, par quelques auteurs, de cruelle et d'un détestable exemple, crudelis atque nefandi exempli [6], était contesté dans l'ancien droit. Nous ne pensons pas qu'elle pût être invoquée aujourd'hui. L'excuse tirée de l'adultère de la femme est essentiellement personnelle au mari; seul il a ressenti la blessure, seul il a le droit d'invoquer une juste indignation et de rappeler sa vengeance. Si ses forces l'ont trahi et qu'il ait cherché des secours, il est excusable encore, non pas à rai

[4] Farin., quæst. 121, num. 83.
[5] L. 4, C. ad leg. Jul. de adulteriis.
[6] Covarruvias, de matrimonio, § 7, num. 6.

son de la règle du droit civil citée par le juris-net [7], celle du moins où il peut contraindre consulte, mais parce que cette convocation ne sa femme d'habiter et où elle a le droit de résichange pas la nature de son action, parce qu'il der; cette interprétation résulte de la combiagit sous la même impulsion et dans le même naison de l'art. 324 du Code pénal avec l'art. 339 mouvement, parce que ces personnes qu'il ap- du même Code et les art. 108, 214 et 230 du pelle au moment du flagrant délit et pour l'aider Code civil [8]. Peu importe que la maison soit à au châtiment sont pour lui des instruments, des la ville ou à la campagne, car le mari peut avoir armes destinées à l'accomplir. Mais l'excuse ne une résidence momentanée dans ces deux enpeut s'étendre au-delà de lui-même; ses com- droits, et même dans deux villes différentes. plices, s'il en a trouvé, sont responsables de leur assistance, d'après les principes du droit commun; car l'excuse ne modifie pas le crime, elle ne fait qu'atténuer la culpabilité de l'auteur principal [1]. Seulement on doit, dans ce cas, examiner si ces complices faisaient partie de la famille de l'époux, s'ils étaient placés sous sa domination, en un mot s'ils ont agi librement ou sous l'empire d'une contrainte morale.

La seconde condition constitutive de l'excuse est que le mari ait surpris l'adultère dans la maison conjugale.

La loi romaine exigeait également cette condition pour admettre la justification du père; il fallait que l'adultère eût été surpris dans sa propre maison ou dans celle de son gendre [2]. La raison de cette restriction était que l'injure devenait plus grave lorsque la femme avait osé introduire l'adultère jusque dans la maison de son père ou de son époux : Quare non ubicumque deprehenderit pater, permittitur ei occidere, sed domi suæ generive sui tantùm; illa ratio redditur quod majorem injuriam putavit legislator quod in domum patris aut mariti ausa fuerit filia adulterum inducere [3].

Cette disposition a passé dans notre droit. Ce n'est que dans la maison conjugale que le mari est excusable de se livrer aux emportements de sa vengeance: la loi n'a voulu protéger que le domicile et en quelque sorte l'honneur du lit nuptial. Que faut-il entendre par la maison conjugale? La loi romaine la définissait en ces mots: Domus pro domicilio accipienda est [4], et la glose enseignait que ces termes pro domicilio signifient pro habitatione [5]. Nous pensons également que la maison conjugale est celle où réside le mari, in quâ habitat [6], celle qui forme la maison commune, in eá domo in quâ cum suâ conjuge comma

[1] Voy. notre tom. 1, pag. 177 et suiv.
[2] L. 22, § 2, Dig, ad leg. Jul. de adult,
[3] L. 22, § 2, Dig, eòdem, tit.

[4] L. 22, § 2, Dig. ad. leg. Jul, de adulter.
[5] Glossa in hâc lege.

La séparation de corps ne suffirait pas pour faire rejeter l'excuse, car le mari la puise dans les liens mêmes du mariage, que la séparation n'a pas dissous. Mais le but principal de cette séparation est de donner à la femme le droit d'avoir un domicile distinct, et le flagrant délit surpris à ce domicile n'excuserait pas l'homicide commis par le mari; car cette excuse ne le protége que dans la maison conjugale.

Le mari qui serait convaincu d'avoir entretenu une concubine dans la maison conjugale, serait-il recevable à proposer l'excuse? La loi est muette à cet égard; mais on doit décider, en consultant son esprit, que l'excuse n'est pas admissible dans ce cas. En effet, l'art. 324 n'admet cette excuse que dans le cas d'adultère prévu par l'art. 336; et l'art. 336 déclare que le mari n'est pas recevable à dénoncer l'adultère de sa femme dans le cas où il est convaincu d'avoir entretenu une concubine dans la maison conjugale; ces deux dispositions se lient donc l'une à l'autre, elles supposent les mêmes règles, or, si le fait d'avoir entretenu une concubine dans la maison conjugale prive le mari de la faculté de dénoncer l'adultère pour le faire punir, comment deviendrait-il excusable de l'avoir puni lui-même? La raison de décider est la même, son indignité repousse à la fois et l'action et l'exception.

Nous ferons remarquer, en terminant, que l'art. 324 ne paraît appliquer l'excuse qu'au mari: c'est sans doute un oubli de la part du législateur, car l'injure est aussi grave; et il y a de plus lâcheté de la part du mari qui ose introduire une concubine dans la maison conjugale, il insulte à la faiblesse de sa femme. Qu'on ne dise pas que les résultats de l'adultère sont bien différents dans les deux cas. Qu'importent les résultats quant à la gravité de l'offense et à la culpabilité de l'agent? On ne voit que trop

[6] Ibidem.

[7] Nov. 117, cap. 9, § 59.

[8] Vov, dans ce sens arr. cass, sect, civ. 21 déc. 1818 et 27 janv. 1819 (Sirey, 19, 166. Dalloz, 25, 16 et 28).

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