Images de page
PDF
ePub

QUE, DANS LA MONARCHIE, LES MINISTRES

NE DOIVENT PAS JUGER.

C'est encore un grand inconvénient, dans la monarchie, que les ministres du prince jugent eux-mêmes les affaires contentieuses. Nous voyons encore aujourd'hui des États où il y a des juges sans nombre pour décider les affaires fiscales, et où les ministres, qui le croiroit! veulent encore les juger. Les réflexions viennent en foule; je ne ferai que celle-ci.

Il y a, par la nature des choses, une espèce de contradiction entre le Conseil du monarque et ses tribunaux. Le Conseil des rois doit être composé de peu de personnes, et les tribunaux de judicature en demandent beaucoup. La raison en est que, dans le premier, on doit prendre les affaires avec une certaine passion et les suivre de même; ce qu'on ne peut guère espérer que de quatre ou cinq hommes qui en font leur affaire. Il faut au contraire des tribunaux de judicature de sang-froid, et à qui toutes les affaires soient en quelque façon indifférentes.

1. La France.

CHAPITRE VII.

DU MAGISTRAT UNIQUE.

Un tel magistrat ne peut avoir lieu que dans le gouvernement despotique1. On voit, dans l'histoire romaine, à quel point un juge unique peut abuser de son pouvoir. Comment Appius, sur son tribunal, n'auroit-il pas méprisé les lois, puisqu'il viola même celle qu'il avoit faite ?? Tite-Live nous apprend l'inique distinction du décemvir. Il avoit aposté un homme qui réclamoit devant lui Virginie comme son esclave; les parents de Virginie lui demandèrent qu'en vertu de sa loi on la leur remît jusqu'au jugement définitif. Il déclara que sa loi n'avoit été faite qu'en faveur du père, et que, Virginius étant absent, elle ne pouvoit avoir d'application 3.

1. Rome et l'Angleterre ont donné la preuve du contraire. L'exemple d'Appius ne prouve rien, parce qu'Appius, juge et législateur tout ensemble, n'était en outre soumis à aucune responsabilité. C'est un cas particulier. 2. Voyez la loi 2, § 24, Dig. de orig. jur. (M.)

3. Quod pater puellæ abesset, locum injuriæ esse ratus. Tite-Live, décade I, liv. III, c. XLIV. (M.)

DES ACCUSATIONS DANS LES DIVERS GOUVERNEMENTS.

A Rome, il étoit permis à un citoyen d'en accuser un autre. Cela étoit établi selon l'esprit de la république, où chaque citoyen doit avoir pour le bien public un zèle sans bornes; où chaque citoyen est censé tenir tous les droits de la patrie dans ses mains. On suivit, sous les empereurs, les maximes de la république; et d'abord on vit paroître un genre d'hommes funestes, une troupe de délateurs. Quiconque avoit bien des vices et bien des talents, une âme bien basse et un esprit ambitieux, cherchoit un criminel dont la condamnation pût plaire au prince; c'étoit la voie pour aller aux honneurs et à la fortune, chose que nous ne voyons point parmi nous.

Nous avons aujourd'hui une loi admirable: c'est celle qui veut que le prince, établi pour faire exécuter les lois, prépose un officier dans chaque tribunal: pour poursuivre, en son nom, tous les crimes : de sorte que la fonction des délateurs est inconnue parmi nous; et, si ce

1. Et dans bien d'autres cités. (M.)

2. « Le droit d'accuser ouvre une issue aux humeurs qui naissent dans une ville contre chaque citoyen. » Machiavel, Discours sur Tite-Live, liv. I, chap. VII.

3. Voyez, dans Tacite, les récompenses accordées à ces délateurs. Ann., liv. IV, c. xxx. (M.)

4. Le procureur général et le procureur du roi

vengeur public était soupçonné d'abuser de son ministère, on l'obligerait de nommer son dénonciateur 1.

Dans les lois de Platon, ceux qui négligent d'avertir les magistrats, ou de leur donner du secours, doivent être punis. Cela ne conviendroit point aujourd'hui. La partie publique veille pour les citoyens; elle agit, et ils sont tranquilles3.

1 V. Benjamin Constant, Comment. sur Filangieri, IIIe partie, chap. 1. 2. Liv. IX. (M.)

3. L'accusation remise aux mains des citoyens suppose une société toute différente de la nôtre. Nous n'avons pas le loisir des citoyens d'Athènes ou de Rome, et il est douteux qu'on courût les hasards d'une poursuite si on n'y avait point un intérêt particulier et souvent peu avouable. Si l'esprit de la république veut que chaque citoyen ait pour le bien public un zèle sans bornes, la nature du cœur humain, plus infaillible dans son action que l'esprit du gouvernement civil, exige que chaque homme ait un zèle de préférence et sans bornes pour l'intérêt de ses passions. Ainsi l'institution de la liberté des accusations, au lieu de favoriser le bien public, excite et favorise d'abord l'intérêt des passions particulières. (SERVAN.)

Cependant l'exemple de l'Angleterre prouve que, dans un pays libre, on peut permettre certaines accusations publiques, ne fût-ce que pour prévenir la faiblesse ou la connivence du pouvoir. Sur ce point, il y a peut-être quelque chose à prendre des anciens.

DE LA SÉVÉRITÉ DES PEINES

DANS LES DIVERS GOUVERNEMENTS 1.

La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu'à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l'honneur et la vertu.

Dans les États modérés, l'amour de la patrie, la honte et la crainte du blâme, sont des motifs réprimants, qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d'une mauvaise action sera d'en être convaincu. Les lois civiles y corrigeront donc plus aisément, et n'auront pas besoin de tant de force.

Dans ces États, un bon législateur s'attachera moins à punir les crimes qu'à les prévenir; il s'appliquera plus à donner desmœurs qu'à infliger des supplices.

C'est une remarque perpétuelle des auteurs chinois', que plus, dans leur empire, on voyoit augmenter les supplices, plus la révolution étoit prochaine. C'est qu'on augmentoit les supplices à mesure qu'on manquoit de

mœurs.

1. Lettres persanes, LXXX et CII.

2. Je ferai voir dans la suite que la Chine, à cet égard, est dans le cas d'une république ou d'une monarchic. (M.) Inf., VIII, xx1; XIX, XVII-XXI.

« PrécédentContinuer »