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Il seroit aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les États d'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'est plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays despotiques on est si malheureux, que l'on y craint plus la mort qu'on ne regrette la vie; les supplices y doivent donc être plus rigoureux. Dans les États modérés, on craint plus de perdre la vie qu'on ne redoute la mort en elle-même; les supplices qui ôtent simplement la vie y sont donc suffisants.

Les hommes extrêmement heureux, et les hommes extrêmement malheureux 1, sont également portés à la dureté; témoin les moines et les conquérants. Il n'y a que la médiocrité et le mélange de la bonne et de la mauvaise fortune, qui donnent de la douceur et de la pitié.

Ce que l'on voit dans les hommes en particulier se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages qui mènent une vie très-dure, et chez les peuples des gouvernements despotiques où il n'y a qu'un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel. La douceur règne dans les gouvernements modérés.

Lorsque nous lisons, dans les histoires, les exemples de la justice atroce des sultans, nous sentons avec une espèce de douleur les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernements modérés, tout, pour un bon législateur, peut servir à former des peines. N'est-il pas bien extraordinaire qu'à Sparte une des principales fût

1. A. B. Les hommes extrêmement heureux et extrêmement malheuux, etc.

III.

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de ne pouvoir prêter sa femme à un autre, ni recevoir celle d'un autre, de n'être jamais dans sa maison qu'avec des vierges? En un mot, tout ce que la loi appelle une peine est effectivement une peine.

CHAPITRE X.

DES ANCIENNES LOIS FRANÇOISES.

C'est bien dans les anciennes lois françoises que l'on trouve l'esprit de la monarchie 1. Dans les cas où il s'agit de peines pécuniaires, les non nobles sont moins punis que les nobles 2. C'est tout le contraire dans les crimes; le noble perd l'honneur et réponse en cour, pendant que le vilain, qui n'a point d'honneur, est puni en son corps.

1. A. B. On trouve bien dans les anciennes lois françoises l'esprit de la monarchie.

2. « Si, comme pour briser un arrêt, les non nobles doivent une amende de quarante sols, et les nobles de soixante livres. » Somme rurale, liv. 11, p. 198, édit. goth. de l'an 1512; et Beaumanoir, chap. LXI, p. 309. (M.)

3. Voyez le Conseil de Pierre Desfontaines, chap. XIII, surtout l'article 22. (M.)

QUE LORSQU'UN PEUPLE EST VERTUEUX

IL FAUT PEU DE PEINES.

Le peuple romain avoit de la probité. Cette probité eut tant de force, que souvent le législateur n'eut besoin que de lui montrer le bien pour le lui faire suivre. Il sembloit qu'au lieu d'ordonnances il suffisoit de lui donner des conseils.

Les peines des lois royales et celle des lois des douze Tables furent presque toutes ôtées dans la république, soit par une suite de la loi Valérienne 1, soit par une conséquence de la loi Porcie 2. On ne remarqua pas que la république en fût plus mal réglée, et il n'en résulta aucune lésion de police.

Cette loi Valérienne, qui défendoit aux magistrats toute voie de fait contre un citoyen qui avoit appelé au peuple, n'infligeoit à celui qui y contreviendroit que la peine d'être réputé méchant 3.

1. Elle fut faite par Valerius Publicola, bientôt après l'expulsion des rois; elle fut renouvelée deux fois, toujours par des magistrats de la même famille, comme le dit Tite-Live, liv. X, c. Ix. Il n'étoit pas question de lui donner plus de force, mais d'en perfectionner les dispositions. Diligentius sanctam, dit Tite-Live, ibid. (M.)

2. Lex Porcia pro tergo civium lata. Elle fut faite en 454 de la fondation de Rome. (M.)

3. Nihil ultra quam improbe factum adjecit. Tite-Live, ibid. (M.) Il faudrait savoir quelle était la sanction de cette déclaration. N'était-ce pas un cas de responsabilité pour le magistrat, à sa sortie de fonction? Ou n'y avait-il point là quelque flétrissure religieuse?

CHAPITRE XII.

DE LA PUISSANCE DES PEINES.

L'expérience a fait remarquer que, dans les pays où les peines sont douces, l'esprit du citoyen en est frappé, comme il l'est ailleurs par les grandes.

Quelque inconvénient se fait-il sentir dans un État : un gouvernement violent veut soudain le corriger; et, au lieu de songer à faire exécuter les anciennes lois, on établit une peine cruelle qui arrête le mal sur-le-champ. Mais on use le ressort du gouvernement : l'imagination se fait à cette grande peine, comme elle s'étoit faite à la moindre; et comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on est bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols sur les grands chemins étoient communs dans quelques États1; on voulut les arrêter; on inventa le supplice de la roue, qui les suspendit pendant quelque temps. Depuis ce temps on a volé comme auparavant sur les grands chemins.

De nos jours la désertion fut très-fréquente; on établit la peine de mort contre les déserteurs, et la désertion n'est pas diminuée 2. La raison en est bien naturelle un soldat, accoutumé tous les jours à exposer sa vie, en méprise ou se flatte d'en mépriser le danger. Il est tous les jours accoutumé à craindre la honte il falloit donc

1. C'est de la France qu'il est question. V. inf., chap. xvi.

2. A. B. Et la désertion ne fut pas diminuée.

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