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reur, il auroit versé un torrent de sang. L'atrocité des lois en empêche donc l'exécution. Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l'impunité.

DE L'ESPRIT DU SENAT DE ROME.

Sous le consulat d'Acilius Glabrio et de Pison, on fit la loi Acilia pour arrêter les brigues. Dion dit que le sénat engagea les consuls à la proposer, parce que le tribun C. Cornelius avoit résolu de faire établir des peines terribles contre ce crime, à quoi le peuple étoit fort porté. Le sénat pensoit que des peines immodérées jetteroient bien la terreur dans les esprits; mais qu'elles auroient cet effet qu'on ne trouveroit plus personne pour accuser ni pour condamner; au lieu qu'en proposant des peines modiques, on auroit des juges et des accusateurs.

1. Les coupables étoient condamnés à une amende; ils ne pouvoient plus être admis dans l'ordre des sénateurs, et nommés à aucune magistrature. Dion, liv. XXXVI, chap. xxI. (M.)

2. Ibid. (M.)

CHAPITRE XV.

DES LOIS DES ROMAINS A L'ÉGARD DES PEINES.

Je me trouve fort dans mes maximes, lorsque j'ai pour moi les Romains; et je crois que les peines tiennent à la nature du gouvernement, lorsque je vois ce grand peuple changer à cet égard de lois civiles, à mesure qu'il changeoit de lois politiques.

Les lois royales, faites pour un peuple composé de fugitifs, d'esclaves et de brigands, furent très-sévères. L'esprit de la république auroit demandé que les décemvirs n'eussent pas mis ces lois dans leurs douze Tables; mais des gens qui aspiroient à la tyrannie n'avoient garde de suivre l'esprit de la république.

1

Tite-Live dit, sur le supplice de Métius Suffétius, dictateur d'Albe, qui fut condamné par Tullus Hostilius à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier et le dernier supplice où l'on témoigna avoir perdu la mémoire de l'humanité. Il se trompe; la loi des douze Tables est. pleine de dispositions très-cruelles 2.

Celle qui découvre le mieux le dessein des décemvirs, est la peine capitale, prononcée contre les auteurs des

1. Liv. I, chap. xxvII. (M.)

2. On y trouve le supplice du feu, des peines presque toujours capitales, le vol puni de mort, etc. (M.)

libelles, et les poëtes. Cela n'est guère du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés. Mais des gens qui vouloient renverser la liberté craignoient des écrits qui pouvoient rappeler l'esprit de la liberté 1.

Après l'expulsion des décemvirs, presque toutes les lois qui avoient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expressément; mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen romain, elles n'eurent plus d'application.

2

Voilà le temps auquel on peut rappeler ce que TiteLive dit des Romains, que jamais peuple n'a plus aimé la modération des peines 3.

Que si l'on ajoute à la douceur des peines, le droit qu'avoit un accusé de se retirer avant le jugement", on verra bien que les Romains avoient suivi cet esprit que j'ai dit être naturel à la république.

Sylla, qui confondit la tyrannie, l'anarchie et la liberté, fit les lois Cornéliennes. Il sembla ne faire des règlements que pour établir des crimes. Ainsi, qualifiant une infinité d'actions du nom de meurtre, il trouva partout des meurtriers; et, par une pratique qui ne fut que trop suivie, il tendit des piéges, sema des épines, ouvrit des abîmes sur le chemin de tous les citoyens.

Presque toutes les lois de Sylla ne portoient que l'interdiction de l'eau et du feu. César y ajouta la confiscation des biens, parce que les riches gardant, dans l'exil,

1. Sylla, animé du même esprit que les décemvirs, augmenta, comme eux, les peines contre les écrivains satiriques. (M.)

2. Liv. I, chap. xxvII. (M.)

3. Pour eux; mais les esclaves, mais leurs enfants? (HELVÉTIUS.)

4. C'est-à-dire de quitter Rome et d'abdiquer son droit de citoyen.

5. Pænas facinorum auxit, cùm locupletes eo facilius scelere se obliga

leur patrimoine, ils étoient plus hardis à commettre des crimes.

Les empereurs ayant établi un gouvernement militaire, ils sentirent bientôt qu'il n'étoit pas moins terrible contre eux que contre les sujets; ils cherchèrent à le tempérer; ils crurent avoir besoin des dignités et du respect qu'on avoit pour elles.

On s'approcha un peu de la monarchie, et l'on divisa les peines en trois classes1: celles qui regardoient les premières personnes de l'État, et qui étoient assez douces; celles qu'on infligeoit aux personnes d'un rang inférieur 3, et qui étoient plus sévères; enfin, celles qui ne concernoient que les conditions basses, et qui furent les plus rigoureuses.

Le féroce et insensé Maximin irrita, pour ainsi dire, le gouvernement militaire qu'il auroit fallu adoucir. Le sénat apprenoit, dit Capitolin 5, que les uns avoient été mis en croix, les autres exposés aux bêtes, ou enfermés dans des peaux de bêtes récemment tuées, sans aucun égard pour les dignités. Il sembloit vouloir exercer la discipline militaire, sur le modèle de laquelle il prétendoit régler les affaires civiles.

On trouvera dans les Considérations sur la grandeur des Romains, et leur décadence, comment Constantin

rent, quod integris patrimoniis exularent. Suétone, in Julio Cæsare, C. LXII. (M.)

1. Voyez la loi 3, § legis, ad legem Cornel. de sicariis, et un très-grand nombre d'autres, au Digeste et au Code. (M.)

2. Sublimiores. (M.)

3. Medios. (M.)

4. Infimos L. 3, § legis. ad leg., Cornel. de sicariis. (M.)

5. Jul. Cap., Maximini duo, c. viii. (M.)

6. Chap. XVII. (M.)

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