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CHAPITRE VII.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude, lorsqu'on ôte aux grands le respect des peuples, et qu'on les rend de vils instruments du pouvoir arbitraire.

Il se corrompt encore plus, lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l'on peut être à la fois couvert d'infamie1 et de dignités.

Il se corrompt lorsque le prince change sa justice en sévérité; lorsqu'il met, comme les empereurs romains, une tête de Méduse sur sa poitrine'; lorsqu'il prend cet air menaçant et terrible que Commode faisoit donner à ses statues.

1. Sous le règne de Tibère on éleva des statues, et l'on donna les ornements triomphaux aux délateurs : ce qui avilit tellement ces honneurs, que ceux qui les avoient mérités les dédaignèrent. Fragment de Dion, liv. LVIII, ch. xiv, tiré de l'Extrait des vertus et des vices, de Const. Porphyrog. Voyez dans Tacite comment Néron, sur la découverte et la punition d'une prétendue conjuration, donna à Petronius Turpilianus, à Nerva, à Tigellinus, les ornements triomphaux. Annales, liv. XV, ch. LXXII. Voyez aussi comment les généraux dédaignèrent de faire la guerre, parce qu'ils en méprisoient les honneurs. Pervulgatis triumphi insignibus. Tacite, Annales, liv. XIII, ch. LII. (M.)

2. Est-ce une allusion au cardinal Dubois?

3. Dans cet état, le prince savoit bien quel étoit le principe de son gouvernement. (M.)

4. Hérodien. (M.) Livre I, Vie de Commode.

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque des âmes singulièrement lâches tirent vanité de la grandeur que pourroit avoir leur servitude; et qu'elles croient que ce qui fait que l'on doit tout au prince, fait que l'on ne doit rien à sa patrie.

Mais s'il est vrai (ce que l'on a vu dans tous les temps) qu'à mesure que le pouvoir du monarque devient immense, sa sûreté diminue; corrompre ce pouvoir, jusqu'à le faire changer de nature, n'est-ce pas un crime de lèse-majesté1 contre lui.

1. A. B. Un crime de majesté, etc.

2. Benjamin Constant, De l'esprit de conquête, liv. II, chap. xv, a repris et soutenu avec éloquence ces idées de Montesquieu, Cours de droit constitutionnel, t. II, p 244.

CHAPITRE VIII.

DANGER DE LA CORRUPTION DU PRINCIPE

DU GOUVERNEMENT MONARCHIQUE.

L'inconvénient n'est pas lorsque l'État passe d'un gouvernement modéré à un gouvernement modéré, comme de la république à la monarchie, ou de la monarchie à la république; mais quand il tombe et se précipite du gouvernement modéré au despotisme.

La plupart des peuples d'Europe sont encore gouvernés par les mœurs. Mais si par un long abus du pouvoir, si par une grande conquête, le despotisme s'établissoit à un certain point, il n'y auroit pas de mœurs ni de climat qui tinssent; et, dans cette belle partie du monde, la nature humaine souffriroit, au moins pour un temps, les insultes qu'on lui fait dans les trois autres.

COMBIEN LA NOBLESSE EST PORTÉE

A DÉFENDRE LE TRÔNE.

La noblesse angloise s'ensevelit avec Charles Ier sous les débris du trône; et, avant cela, lorsque Philippe II fit entendre aux oreilles des François le mot de liberté, la couronne fut toujours soutenue par cette noblesse, qui tient à honneur d'obéir à un roi, mais qui regarde comme la souveraine infamie de partager la puissance avec le peuple1.

On a vu la maison d'Autriche travailler sans relâche à opprimer la noblesse hongroise. Elle ignoroit de quel prix elle lui seroit quelque jour. Elle cherchoit chez ces peuples de l'argent qui n'y étoit pas; elle ne voyoit pas des hommes qui y étoient. Lorsque tant de princes partageoient entre eux ses États, toutes les pièces de sa monarchie, immobiles et sans action, tomboient, pour ainsi dire, les unes sur les autres. Il n'y avoit de vie que dans cette noblesse, qui s'indigna, oublia tout pour combattre, et crut qu'il étoit de sa gloire de périr et de pardonner2.

1. Ce sentiment n'était pas moins vif en 1789, et ce ne fut pas une des moindres causes qui hâtèrent la chute de la monarchie.

2. Allusion au Moriamur pro rege nostro Maria Theresa, et à la conduite de la noblesse de Hongrie dans la guerre de la succession d'Autriche, 1741-1748.

CHAPITRE X.

DE LA CORRUPTION DU PRINCIPE DU GOUVERNEMENT

DESPOTIQUE.

Le principe du gouvernement despotique se corrompt sans cesse, parce qu'il est corrompu par sa nature. Les autres gouvernements périssent, parce que des accidents particuliers en violent le principe: celui-ci périt par son vice intérieur, lorsque quelques causes accidentelles n'empêchent point son principe de se corrompre. Il ne se maintient donc que quand des circonstances tirées du climat, de la religion, de la situation ou du génie du peuple, le forcent à suivre quelque ordre, et à souffrir quelque règle. Ces choses forcent sa nature sans la changer; sa férocité reste; elle est pour quelque temps apprivoisée.

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