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rare mélange de douceur et de fermeté; car il est l'inférieur de bien du monde dans une commune, et il ne doit être le serviteur dégradé de personne; n'ignorant pas ses droits, mais pensant beaucoup plus à ses devoirs; donnant à tous l'exemple, servant à tous de conseiller; surtout ne cherchant point à sortir de son état; content de sa situation parce qu'il y fait du bien; décidé à vivre et à mourir dans le sein de l'école, au service de l'instruction primaire, qui est pour lui le service de Dieu et des hommes. Faire des maîtres, Messieurs, qui approchent d'un pareil modèle, est une tâche difficile; cependant il faut y réussir, ou nous n'avons rien fait pour l'instruction primaire. Un mauvais maître d'école, comme un mauvais curé, comme un mauvais maire, est un fléau pour une commune. Nous sommes bien réduits à nous contenter très-souvent de maîtres médiocres; mais il faut tâcher d'en former de bons; et pour cela, Messieurs, des écoles normales primaires sont indispensables. L'instruction secondaire est sortie de ses ruines, elle a été fondée en France le jour où, recueillant une grande pensée de la révolution, la simplifiant et l'organisant, Napoléon créa l'école normale centrale de Paris. Il faut appliquer à l'instruction primaire cette idée simple et féconde. Aussi nous vous proposons d'établir une école normale primaire par département 1.

Mais quelle que soit la confiance que nous inspirent ces établissements, ils ne conféreront pas à leurs élèves le droit de devenir instituteurs communaux, si ceux-ci, comme tous les autres citoyens, n'obtiennent, après un examen, le brevet de capacité pour l'un ou l'autre degré de l'instruction primaire auquel ils se destinent.

Le projet du gouvernement a été amendé dans cette disposition par l'article 11 de la loi.

Il ne reste plus, Messieurs, qu'une mesure à prendre pour assurer l'avenir des instituteurs primaires. Déjà la loi du 21 mars 1832 exempte du service militaire tous ceux qui s'engagent pendant dix ans au service non moins important de l'instruction primaire. Un article du dernier projet ménageait des pensions, au moyen de retenues assez fortes, aux instituteurs communaux dont les services auraient duré trente ans, ou qui, après dix ans, seraient empêchés de les continuer par des infirmités contractées pendant leurs fonctions. Votre commission de la session dernière avait rejeté cet article par diverses considérations, entre autres par la crainte que le trésor public n'eût quelque chose à ajouter au produit des retenues pour former une pension un peu convenable. Après de sérieuses réflexions, un autre système nous a paru propre à atteindre le but que nous nous proposons. Dans le nouveau projet de loi, il ne s'agit plus de pensions de retraite, mais d'une simple caisse d'épargne et de prévoyance en faveur des instituteurs primaires communaux. Cette caisse serait établie dans chaque département. Elle serait formée par une retenue annuelle sur le traitement fixe de chaque instituteur communal; le montant de la retenue serait placé en rentes sur l'État1; et le produit total serait rendu à l'instituteur à l'époque où il se retirerait, ou, en cas de décès dans l'exercice de ses fonctions, à sa veuve ou à ses héritiers.

Il est expressément entendu que, dans aucun cas, il ne pourra être ajouté aucune subvention sur les fonds de l'État à cette caisse de prévoyance; mais elle pourra recevoir des legs et des dons particuliers. Ainsi se trouveront conciliés les intérêts de l'État, chargé de trop de pensions pour con

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D'après la loi, c'est au compte ouvert au trésor, et non en rentes que les fonds seront placés.

sentir à voir s'augmenter encore cet énorme chapitre de ses dépenses, et ceux de l'instruction primaire qui vit de peu, mais qui a besoin d'avenir.

Je me hâte de passer au titre IV de cette loi, relatif aux diverses autorités préposées à l'instruction primaire. C'est ici surtout, Messieurs, que nous nous sommes efforcés de nous dépouiller de tout esprit de système et d'accepter l'intervention de toute autorité réclamée pour le bien du service. Des écoles communales semées sur toute la surface de la France exigent évidemment des autorités rapprochées d'elles. Celles qui jusqu'ici ont présidé partout à l'instruction primaire sont les comités de canton. Ces comités sont loin d'avoir été inutiles. Plusieurs ont rendu de vrais services. Cependant on peut faire à cette institution deux sortes de reproches opposés également graves. Les comités cantonnaux sont encore trop loin des différentes écoles communales du canton pour exercer sur elles la surveillance permanente que celles-ci réclament; et, bien que trop éloignés, sous un rapport, de chaque commune, sous. un autre, ils n'en sont pas assez loin ni placés dans une sphère assez élevée pour être étrangers à l'esprit de localité. Enfin c'était une question épineuse de déterminer par qui et comment devaient être nommés les membres de ces comités.

:

L'expérience générale de tous les pays où l'instruction primaire est florissante l'a démontré il faut pour qu'une école communale marche, qu'elle ait auprès d'elle un comité spécial qui ait cette école seule à surveiller, et qui la surveille sans effort, parce qu'elle est constamment sous ses yeux; et il faut en même temps que ce comité local se rapporte à un comité plus général placé à distance, ni trop près ni trop loin, et dont les membres soient, par leur position, étrangers aux petitesses de l'esprit local, et possè

dent la fortune, les lumières et le loisir que leurs fonctions demandent. Nous vous proposons donc de substituer aux anciens comités de canton, un comité de surveillance par école communale, et un comité supérieur par arrondissement; l'un chargé des détails et particulièrement du matériel de l'inspection; l'autre chargé surtout de la direction morale; l'un qui présente les candidats, l'autre qui les agrée; celui-ci qui, en cas de négligence habituelle ou de délit grave, accuse l'instituteur primaire; celui-là qui le juge, le suspend ou le révoque.

Ces deux comités représentent dans leur action combinée l'intervention légitime de la commune et du département; car ils ont encore sur les anciens comités cantonnaux ce précieux avantage, que la plus grande partie de leurs membres pourra être et sera réellement empruntée aux pouvoirs électifs de la commune, de l'arrondissement et du département.

Cependant ces deux comités, bien que se soutenant, s'excitant, s'éclairant l'un l'autre, pourraient encore se relâcher ou s'égarer dans leur zèle, si une autorité supérieure, celle qui, à son tour, représente la puissance publique appliquée à l'instruction primaire, n'intervenait, soit pour recueillir des lumières, soit pour en donner, et pour imprimer partout l'impulsion et une direction nationale. Le ministre trahirait ses devoirs envers l'État et envers l'instruction primaire s'il s'en tenait uniquement aux rapports officiels qui lui seront transmis, et s'il n'envoyait souvent quelques délégués pour s'assurer en personne du véritable état des choses, convoquer extraordinairement les comités et prendre part à leurs délibérations. Nous affir

'Un amendement introduit dans la loi a changé cette disposition; voir le dernier paragraphe de l'article 21.

mons ici, en toute conscience, que c'est à l'intervention active et éclairée de ces agents supérieurs du ministère de l'instruction publique qu'est due la plus grande partie des progrès de l'instruction primaire pendant ces derniers temps. Supprimer cette intervention, ce serait rendre l'État absolument étranger à l'instruction primaire, la replacer sous l'empire exclusif du principe local, revenir par une marche rétrograde à l'enfance de l'art, arrêter tout progrès, et, en ôtant à la puissance publique ses moyens les plus efficaces, la dégager aussi de sa responsabilité.

C'est encore à l'autorité supérieure qu'il appartient de nommer les membres des commissions chargées de faire les examens pour l'obtention des brevets de capacité, ainsi que les examens d'entrée et de sortie des écoles normales primaires. Remarquez-le bien, Messieurs: il ne s'agit plus ici d'une surveillance matérielle ou morale, ni d'apprécier l'aptitude générale d'un candidat et de le juger sous quelques rapports de convenance ou de discipline; il s'agit d'une affaire toute spéciale, d'une œuvre de métier, s'il est permis de s'exprimer ainsi. D'abord cette opération exige, à certaines époques de l'année, beaucoup plus de temps, de suite et de patience qu'on n'en peut raisonnablement demander et attendre de personnes du monde, comme les membres du conseil d'arrondissement et de département, ou d'hommes très-occupés et nécessairement attachés à leur localité, comme les membres du conseil municipal. Ensuite il faut ici des connaissances positives et techniques sur les diverses matières dont se compose l'examen; et il ne suffit pas d'avoir ces connaissances, il faut encore avoir prouvé qu'on les a, afin d'apporter à ces examens l'autorité suffisante. Voilà pourquoi les membres de cette commission devront être, au moins en grande partie, des hommes spéciaux, des gens d'école; comme, dans

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