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CONSIDÉRATION

SUR LA

CAMPAGNE EN CRIMÉE.

PRÉAMBULE.

L'expédition maritime des alliés en Crimée, la plus gigantesque opération militaire qui ait été entreprise depuis la campagne de Russie, en 1812, a, jusqu'ici, été favorisée par le succès dans toutes ses entreprises. La traversée de la mer Noire s'est faite sans la moindre entrave; le débarquement a réussi au delà de toutes les espérances; dans la première rencontre entre les deux parties, la victoire s'est rangée du côté des alliés; et, après une bataille gagnée, ils ont pu opérer un mouvement stratégique des plus hardis, et établir leur base d'opération dans les meilleures conditions possibles; mais pour que cette expédition aboutisse à un résultat réel, il ne faut cependant pas se le dissimuler, la plus grande difficulté, la prise de Sévastopol, reste encore à vaincre.

Attaquer un camp retranché bien conditionné,

défendu par une bonne garnison soutenue d'une armée mobile de 60 mille hommes, est, de toutes les opérations de guerre, la plus difficile, la plus épineuse et celle qui offre le moins de chances de réussite à l'assaillant, eût-il même sous la main une armée de 150 mille hommes. Et cependant, c'est une semblable position que toute l'Europe croit voir tomber, comme une misérable bicoque, devant quelques batteries de siége! Car enfin, à moins d'une imprévoyance coupable de la part du gouvernement russe, ou d'une incurie complète de la part de son général en chef, Sévastopol doit avoir aujourd'hui pour sa défense, sans que l'empire russe ait fait de grands efforts, 15 mille hommes de garnison, une armée mobile de 60 mille, et bien que cette place n'ait que peu de fortification permanente contre une attaque par terre, elle peut et doit avoir aujourd'hui un camp retranché bien conditionné, puisque depuis neuf mois 30 mille hommes y travaillent nuit et jour.

Malgré toutes les difficultés que présente l'attaque d'une semblable position, nous ne prétendons pas cependant que la prise de Sévastopol soit une chose impossible; car rien n'est plus rare que de trouver un général qui comprenne bien la guerre défensive, et rien n'est aussi plus capricieux que le sort des batailles. Si nous disons batailles, c'est parce que, jusqu'à preuve du contraire, nous devons admettre que Sévastopol sera défendu d'après les règles de l'art, et que, dans cette hypothèse, les alliés ne pourront l'attataquer, avec des chances de réussite, qu'après avoir remporté une série de victoires sur l'armée mobile des Russes.

Il est très-probable que Sévastopol offrira plus de résistance et que la campagne de Crimée durera plus longtemps qu'on n'était d'abord tenté de le croire. Et en effet, aujourd'hui que toutes les ressources militaires des grands États de l'Europe rayonnent vers la Crimée, on est naturellement porté à croire que cette campagne est plus près de son début que de sa fin. Néanmoins nous essayerons de rapporter les miers faits de cette campagne en les accompagnant de quelques considérations; mais avant d'entrer en matière, donnons d'abord une description succincte du théâtre de la guerre.

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LA CRIMÉE, un peu plus grande que la Belgique, a du nord au midi, de Pérékop à Sévastopol, 40 lieues de longueur, et de l'ouest à l'est, du cap Chersonèse à la mer d'Azoff, 38 lieues de largeur. Sa population est de 200 mille habitants. Une chaîne de montagnes qui traverse la Crimée de l'ouest à l'est, du cap Chersonèse à Kertch, divise cette presqu'ile en deux versants. Le versant septentrional renferme de vastes steppes incultes très-malsains; le versant méridional, à l'abri des vents du nord, est une contrée fort saine, bien cultivée; le climat y est doux, le thermomètre y descend rarement en dessous de 8°, et l'hiver n'y dure qu'un mois. C'est sur l'extrémité sud-ouest de ce versant que se trouvent Balaclava, le cap Chersonèse

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et Sévastopol. Sur le versant opposé, en partant de la ligne de faîte, on rencontre successivement les riviè res la Tchernaïa (la rivière noire), le Belbek, la Katscha, l'Alma et le Boulganak. Plus au nord se trouve VieuxFort et ensuite Eupatoria.

D'EUPATORIA à VIEUX-FORT, sur une étendue de six lieues, la côte est généralement basse et presque accessible partout. C'est le seul endroit du littoral occidental de la Crimée où il soit possible d'opérer un débarquement sur une vaste échelle.

Le RAVIN DE VIEUX-FORT, point de débarquement de l'extrême droite des alliés, est séparé du Boulganak par un massif de trois lieues de largeur, coupé longitudinalement par cinq ravines. Le long de la mer, la côte de ce massif forme de hautes falaises, accessibles seulement dans les embouchures des vallons et des ravines.

Le BOULGANAK est séparé de l'Alma par un massif de deux lieues de largeur, coupé vers son milieu par un ravin longitudinal, large et profond. — C'est derrière ce ravin que l'armée des alliés a campé dans la nuit. du 19 au 20.- Le long de la mer, ce massif est bordé de hautes falaises inaccessibles partout ailleurs que dans les embouchures des vallées et des ravins.

L'ALMA, guéable presque partout, a une vallée profonde bien cultivée, parsemée d'habitations entourées de jardins. En remontant la rivière, partant de son embouchure, sur une étendue de deux lieues on rencontre successivement les villages d'Al Malamak, ou Alma, de Bourliouk, de Tarkhanlar et de Canisch. Deux chemins venant du Boulganak, et la route d'Eu

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