Images de page
PDF
ePub

considérée comme une entreprise hostile dirigée contre le territoire de l'autre. » Cette neutralité a trois caractères :

1o Elle est armée. Article 3: Les deux grandes puissances allemandes s'engagent à entretenir, en cas de besoin, une partie de leurs forces sur un pied complet de guerre aux époques et sur les points qui seront ultérieurement fixés;

2o Elle est de médiation. Les deux souverains, << voyant la stérilité des efforts qu'ils << ont tentés jusqu'ici» isolément « pour pré<< venir l'explosion de la guerre, sont con<< vaincus » néanmoins «< qu'il appartient à l'Allemagne, si étroitement unie à leurs États, de remplir une haute mission au début de cette guerre, afin de prévenir un avenir qui ne pourrait qu'être fatal au bienêtre général de l'Europe; »

3o Elle est indéfinie quant à sa durée, puisque le terme n'en a pas été fixé et que les deux casus belli de l'annexe, à savoir l'incorporation des principautés et l'attaque

ou le passage de la ligne des Balkans, sont des futurs contingents dont la réalisation peut être indéfiniment ajournée ou même absolument empêchée par les troupes françaises, ottomanes et anglaises.

Voilà, si je ne m'abuse, le traité de Berlin dans toute sa rigueur.

Quant au protocole (no 6) de la conférence tenue à Vienne le 23 mai et destinée à relier la convention austro-prussienne à la convention anglo-française, on sait que les politiques du Times, d'ailleurs si clairvoyants, y ont d'abord trouvé la consécration d'une quadruple alliance. Je conviens qu'un protocole, c'est-à-dire un procès-verbal, peut être, selon ce qu'il relate, la chose du monde la plus considérable ou la plus insignifiante; mais le protocole du 23 mai présente évidemment ce second caractère'. C'est le procès-verbal d'une conférence où quatre

1. Voir, à la fin du volume, le texte de ce protocole (p. 131), ainsi que celui du protocole du 9 avril (p. 123).

puissances se communiquent officiellement deux actes diplomatiques qu'elles connaissent depuis longtemps, s'appesantissent sur ce qu'ils ont de commun, et ne disent pas un mot des différences. Or, ces différences sont si grandes, que la Prusse et l'Autriche, si elles ont à sortir de leur neutralité, tout en agissant d'abord militairement dans le même sens que les deux puissances occidentales, à savoir pour protéger l'intégrité de l'empire turc et l'indépendance du Grand Seigneur, agiront encore séparément. Le traité de Berlin porte : « Article 5 : Pendant la durée du présent traité, ni l'une ni l'autre des hautes parties contractantes ne pourra conclure avec quelque puissance que ce soit aucune alliance qui ne serait pas dans un accord parfait avec les bases posées dans le présent traité. » Or, il n'y a point accord parfait entre le statu quo territorial européen, base de la convention austro-prussienne, et le but final de la convention anglo-française, qui est non seulement de

[ocr errors]

repousser l'agression de S. M. l'empereur Nicolas, mais encore de prévenir, par diverses mesures, le retour de pareilles agressions, clause pleine de mystères'.

L'illusion a été si grande en Angleterre et en France sur la portée du protocole no 6, que pour calmer le public, le gouvernement français a dû se faire écrire de Vienne, et publier dans le Moniteur du 29 mai la note suivante, qui mérite quelque attention :

« Le nouveau protocole de la conférence, signé le 23 mai, consacre le maintien de l'unité de vues et d'efforts entre les quatre puissances, fondé sur la connaissance qu'elles se

1. Traité de Londres. Art. 1er : « Les hautes parties contractantes s'engagent à faire ce qui dépendra d'elles pour opérer le rétablissement de la paix entre la Russie et la Sublime Porte, sur des bases solides et durables, et pour garantir l'Europe contre le retour des regrettables complications qui viennent de troubler si malheureusement la paix générale. L'article 2 établit clairement la différence qu'il y a entre le but immédiat, qui est l'intégrité du territoire turc, et le but final spécifié dans l'article 1o.

sont mutuellement donnée des engagements pris entre la France et la Grande-Bretagne d'une part, l'Autriche et la Prusse de l'autre. La convention anglo-française pour la guerre actuelle, se trouve ainsi rattachée au traité austro-prussien pour la guerre éventuelle. » Il est donc bien entendu que la Prusse et l'Autriche sont neutres dans la guerre actuelle, et qu'elles ne sortiront de leur neutralité qu'éventuellement.

On a pu regretter des deux côtés du Rhin que les puissances allemandes aient cru devoir préciser dès aujourd'hui ces éventualités, et surtout qu'elles aient divulgué l'annexe où les deux casus belli cités plus haut se trouvent formulés. Autant il importait que le traité de Berlin fût publié pour donner à l'Europe le sentiment de sa sécurité, autant il importait que ses annexes demeurassent secrètes pour conserver à l'Allemagne toute la liberté de ses mouvements. Ce secret n'ayant point été gardé, l'Autriche et la Prusse se trouvent désormais engagées, non-seulement

« PrécédentContinuer »