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ment, par les armes, aux prétentions du tzar, ce n'est pas en vertu du traité de 1841, qui n'a pas été violé ; c'est en vertu d'un droit bien supérieur, le droit de faire des traités d'alliance avec les États que l'on veut protéger, et le droit de s'opposer, par des mesures préventives, aux empiétements d'une puissance dont l'extension compromet déjà l'équilibre européen. De leur côté, l'Autriche et la Prusse, tant que le tzar Nicolas n'aura point décidément et clairement méconnu le principe dominant de notre droit public, d'après lequel aucun État ne peut, sans s'être concerté préalablement avec les autres, changer ses frontières, règle bien autrement importante, générale et permanente que celle des Détroits, l'Autriche et la Prusse seront autorisées à ne point déclarer la guerre à la Russie.

L'occupation des provinces danubiennes, telle qu'elle s'est produite jusqu'à présent, n'est point une violation formelle de ce principe fondamental de l'Europe. Le tzar, tout en la consommant, a déclaré explicitement que sa volonté était de ne point démembrer la Turquie'. « Les assurances

4.« Je crois superflu de vous dire qu'il n'y a pas un mot de vrai dans la prétention que les journaux nous ont prêtée de réclamer, soit un nouvel agrandissement de territoire, soit un règlement plus avantageux de notre frontière asiatique.» (Circulaire de

données à plusieurs reprises par S. M. l'empereur de Russie, excluent de la part de cet auguste souverain l'idée de porter atteinte à l'intégrité de l'empire ottoman.» Ce sont les termes du protocole de la conférence tenue à Vienne le 5 décembre 1853. Or, à cette époque, les principautés étaient déjà occupées par les troupes russes. Depuis, l'occupation n'a pas changé de caractère. L'Autriche est donc recevable aujourd'hui, comme la France et l'Angleterre l'étaient il y a trois mois, à voir dans cette occupation un fait de guerre provisoire et non pas une annexion définitive. Si les troupes russes passent le Danube, cette opération, toute

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M. le comte de Nesselrode, en date du 30 mai 1853.) « Nous l'avons dit et nous le répétons : l'empereur ne veut pas plus aujourd'hui qu'il ne l'a voulu dans le passé renverser l'empire ottoman, et s'agrandir à ses dépens. » (Circulaire du 20 juin suivant.) Après avoir épuisé toutes les voies de la persuasion, et tous les moyens d'obtenir à l amiable la satisfaction due à nos justes réclamations, nous avons jugé indispensable de faire entrer nos troupes dans les principautés danubiennes, afin de montrer à la Porte où peut la conduire son opiniâtreté. Toutefois, même à présent, notre intention n'est point de commencer la guerre. Par l'occupation des principautés, nous voulons avoir entre les mains un gage qui nous réponde, en tout état de cause, du rétablissement de nos droits.

Nous ne cherchons point de conquêtes : la Russie n'en a pas besoin. (Manifeste du tzar, publié le 26 juin, le lendemain du jour où l'ordre fut donné aux troupes de passer le Pruth.)

stratégique, ne modifiera pas davantage le caractère de l'occupation danubienne : elle restera un gage. La France et l'Angleterre en ont un aussi et meilleur; elles sont à Constantinople, devant Sévastopol, et seront bientôt devant Cronstadt. En présence de cette situation et de ces gages réciproques, l'Autriche peut attendre et provoquer par son intervention officieuse, les transactions accoutumées entre détenteurs-gagistes et propriétaires.

Dans cette seconde, comme dans la première phase de sa médiation, elle agira en tant que grande puissance, avec laquelle il faut compter, beaucoup plus qu'en tant que puissance signataire du traité des Détroits, convention qui, ainsi que nous l'avons constaté, lui laisse toute la liberté de ses mouvements.

Si le droit pour l'Autriche d'intervenir par les moyens purement diplomatiques n'est pas suffisamment établi par tout ce qui précède, j'invoquerai à l'appui de mon opinion une plus forte autorité, et quelques fragments de la correspondance de Son Excellence M. Drouyn de Lhuys enlèveront, j'espère, toute espèce de doute. Le 5 juin 1853, dans une lettre à M. le comte Walewski, M. le ministre des affaires étrangères déclarait « que les gouvernements qui ont signé la convention du 13 juil

let 1841, demeureront libres de s'associer à la France et à l'Angleterre dans la forme et selon les moyens qu'il leur conviendra d'employer. >> Le 7 octobre suivant, dans une dépêche de M. le baron de Bourqueney, après avoir rappelé que, dans sa conduite depuis l'origine du différend, S. M. l'empereur Napoléon n'avait eu qu'un mobile, l'intérêt général de l'Europe; qu'un but, la conservation de l'empire ottoman, M. Drouyn de Lhuys ajoutait:

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« Nous avons cru que l'accord des grands cabinets était le meilleur moyen de sauvegarder cet intérêt et d'atteindre ce but; mais nous nous sommes toujours réservé notre liberté d'action, et la part que nous avons prise aux négociations n'a nullement aliéné notre droit de concourir, sous une autre forme, à la protection d'un État qui ne saurait ni disparaître ni s'affaiblir sans modifier sensiblement les rapports actuels des puissances. » Comment, si la France réservait ainsi, et disons-le, fort légitimement, le droit de couper court aux négociations, comment l'Autriche n'aurait-elle pas celui de les renouer et de les mener cette fois, s'il est possible, à meilleure fin? Il ressort évidemment, de cette dépêche, qu'une évolution dans l'attitude de la France et de l'Angleterre n'entraîne

point, comme conséquence forcée, une évolution pareille dans l'attitude des puissances allemandes. En résumé, un but commun, des moyens différents voilà le droit. Passons au fait.

V.

De l'hypothèse d'un traité secret entre l'Autriche
et la Russie.

Les gouvernements absolus agissent dans le secret. C'est là leur force; mais c'est aussi leur faiblesse. On préjuge leurs actes. On les discute sans les connaître. Rien n'arrête les hommes d'imagination.

Depuis l'immense service rendu par le tzar à l'Autriche, on s'est demandé s'il n'était point intervenu, soit avant, soit après la guerre de Hongrie, une convention par laquelle le jeune empereur, remis en possession de ses États, aurait contracté envers son puissant allié, une autre obligation que celle de la reconnaissance. Quelque peu fondées que soient les conjectures émises à cet

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