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monie. C'est dans ce sens qu'il faut entendre ces paroles mémorables de l'empereur à son avéne

ment:

« L'édifice nouveau que nous allons reconstruire, sera comme une grande tente, où sous le sceptre héréditaire de nos aïeux, les diverses races de l'empire s'abriteront plus libres et plus unies que jamais. >>

Ce travail s'opère aujourd'hui, mais est-il achevé? Non sans doute. La première condition d'une forte existence chez les sociétés modernes, et on pourrait dire leur sang, c'est le crédit qui circule dans toutes les parties, porte la vie dans tous les organes, et les relie par des liens invisibles mais aussi puissants que ceux des armées. Or, les sources du crédit ne sont point largement ouvertes en Autriche comme en d'autres États. La dette s'accroît, une guerre l'augmenterait encore. L'expérience récente a prouvé que les grandes mesures financières ne s'opèrent point avec facilité. Les germes d'un avenir meilleur ont été semés, mais ils ne se développeront que par la tranquillité intérieure. On ne remue pas le sol quand le blé commence à pousser. Pour récolter, l'Autriche doit rester en repos.

IX.

Esprit traditionnel du gouvernement autrichien. Lenteur de ses évolutions.

Si la Lombardie n'était point une terre de bénédiction que se disputent, se concèdent et s'arrachent tour à tour les deux grandes monarchies issues de l'empire de Charlemagne, l'Autriche et la France vivraient sans doute dans les liens d'une alliance intime et durable. Entre elles, en effet, point de frontières litigieuses; des intérêts qui ne s'excluent pas, des besoins communs ; dans le peuple, une même religion; le même esprit de tolérance sur le trône. La politique seule a pu désunir, pendant des siècles, ce que la nature a si bien fait pour s'entendre.

Une fois pourtant, à une époque bien mémorable, en 1809, l'esprit de rivalité fit place à de meilleurs conseils. L'Italie, alors heureuse, semblait définitivement hors de contestation. La France, après avoir frappé le grand coup de Wagram, occupait Vienne, et tenait enfin dans ses

mains victorieuses les destinées de sa rivale. L'Autriche, sans capitale et sans armée, privée de cet énergique sentiment de nationalité qui soulevait l'Espagne, l'Autriche, réduite à merci, pouvait être supprimée d'un trait de plume. Elle fut épargnée, et c'est ce moment-là que Napoléon choisit pour jeter entre les deux États les bases d'une alliance que les hommes et les événements devaient rompre sitôt.

L'empereur François conserva sa couronne impériale et donna en mariage à Napoléon l'archiduchesse sa fille.

Ceux qui n'ont vu dans le traité de Vienne qu'un grand acte de magnanimité, n'ont compris qu'imparfaitement le génie du vainqueur. Ceux qui n'y ont vu que la fantaisie de mettre dans son lit une fille de bonne maison, ne l'ont pas compris du tout. Il y eut dans cette modération et dans ce mariage une grande pensée politique. Napoléon avait jugé1 que l'Autriche est essentielle à l'ordre européen. Il lui laissa donc ses quatre organes constitutifs, la Hongrie, la Moravie, la Bohême et

4. L'auteur ne nie pas l'influence que le prince de Talleyrand a pu exercer sur la conduite de l'Empereur; mais il croit devoir tout rapporter à Napoléon, puisque Napoléon jugeait tout en dernier ressort.

l'archiduché. S'il lui enleva quelques provinces excentriques, c'étaient des sûretés, indispensables dans les conjonctures où l'on se trouvait, et qui auraient sans doute fait l'objet de restitutions ultérieures à la conclusion de la paix générale. On y aurait même ajouté, suivant les plans de M. de Talleyrand, les provinces danubiennes. La possession des provinces danubiennes, disait ce diplomate, en ferait un contre-poids à opposer à la Russie, et l'Autriche deviendrait alors une alliée de la France pour les affaires du Levant. Ainsi, dans le système que l'Empereur était à la veille de réaliser et dont cette alliance était l'élément essentiel, la paix reposait, non plus comme dans le système du bon abbé de Saint-Pierre, sur l'accord fragile des volontés, mais sur la solide base des intérêts continentaux. Après avoir oscillé de droite à gauche, toujours partagée dans son milieu et sans assiette fixe, l'Europe prenait pour ainsi dire possession d'elle-même, se resserrait dans son centre, s'appuyait sur l'Elbe et le Danube, et se trouvait en mesure d'opposer partout à l'action de ses extrémités, la masse compacte et l'imperturbable triangle de ses trois grands corps intérieurs, la France, l'Autriche et la Confédération que des annexions subséquentes devaient fortifier encore.

Les gouvernements, jusque-là préoccupés de la lutte, puisant une force particulière dans la sûreté commune, se seraient voués à l'organisation des services intérieurs et à l'application prudente del ces principes nouveaux que l'armée française avait semés sur son passage. Des mariages faits à l'image de celui de l'Empereur, auraient peu à peu accompli, sans secousse, en Italie, en Allemagne, en Hollande, la réintégration des anciennes familles dépossédées, et mêlé le sang des aristocraties à celui des hommes nouveaux. La réconciliation sur les trônes aurait confirmé la réconciliation des peuples, et l'Europe rajeunie, placée sur ses bases naturelles, aurait goûté, pour longtemps sans doute, les bienfaits d'une paix profonde. Ces grands desseins ne se sont point réalisés.

L'absurde acharnement de quelques hommes d'État bilieux, le libéralisme ridicule des écoliers d'Allemagne, la faiblesse des cabinets plus enchaînés que coalisés; enfin, il faut le dire aussi, les entraînements d'un génie à outrance que les obstacles irritent, et qui dépasse le but pour mieux l'atteindre et le manquer: voilà les causes d'une déplorable chute qui n'a pas été seulement celle de la France, mais celle de l'Europe. Nous en res

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