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LA TURQUIE

ET DES

ÉTATS MUSULMANS

EN GÉNÉRAL

PAR

LE COMTE D'ESCAYRAC DE LAUTURE

Aperire terram gentibus.

PARIS

AMYOT, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

RUE DE LA PAIX, 8.

1858

AVANT-PROPOS.

J'ai parcouru et étudié l'Orient pendant plusieurs années, parlant les idiomes et vivant de la vie de ses peuples. En 1853 j'avais préparé un travail sur la Turquie, j'y fis même allusion dans la préface d'un autre ouvrage. Ce travail était, à peu de chose près, celui dont je présente ici quelques pages. Mon jugement n'était pas favorable : les événements dont l'Orient devint alors le théâtre me firent un devoir de garder quelque temps le silence. Les circonstances ne sont plus les mêmes et la publication de mes idées peut être utile aujourd'hui. Je n'ai ni ne puis avoir contre les Turcs aucun sentiment personnel de haine ou même de malveillance. J'ai déjà exprimé sur eux quelques-unes des idées qui ont inspiré cet opuscule, dans un livre intitulé LE DÉSERT ET LE SOUDAN (livre II, chap. iv, État moral des musul

mans actuels). Si sur quelques points secondaires, ma manière de voir a pu se modifier, c'est simplement parce que je me suis éclairé davantage.

Je regarderais comme au-dessous de moi de m'attaquer à des individus, qui ne sont, après tout, que des acteurs remplissant le rôle qu'on leur a fait. J'évite donc avec soin les noms propres. La philosophie n'a point à condamner les hommes, son but est, selon moi, plus élevé elle étudie les lois et les juge sur le témoignage de leurs résultats, elle interroge les races humaines, leur demande d'où elles viennent et où elles vont; c'est ce que je me suis efforcé de faire.

Quelques Orientaux, en bien petit nombre, ont puisé parmi nous des idées justes et des sentiments élevés. On compte parmi eux des savants même d'un grand mérite; ce que je dis des autres Orientaux ne les atteindra pas : qu'ont-ils en effet de commun avec une patrie qui ne peut que les méconnaître? Fils adoptifs de l'Europe et de la civilisation, leurs destinées sont les nôtres : ils régneront un jour avec nous sur l'Orient régénéré.

:

La Turquie, surtout depuis quelques années, compte parmi nous de nombreux défenseurs officiels ou officieux d'une part, l'Orient a bien des voiles et pour des esprits d'élite, bien des séductions; de l'autre, il est naturel que ces princes musulmans dont le jugement se

poursuit en quelque sorte devant l'Europe assemblée, achètent quelques témoins et fassent parler quelques

avocats.

Ces princes y perdent leur argent, comme leurs avocats y perdent leurs paroles. Tous nos soldats de Crimée savent à peu près ce que pèse la Turquie, et les journaux de toute l'Europe, en enregistrant chaque jour les nouvelles de l'Orient, poursuivent contre les États musulmans une enquête aux résultats de laquelle ils ne peuvent se soustraire. La réunion de ces chroniques pour une seule année serait contre la Turquie le plus terrible des réquisitoires. Je n'ai fait, dans le travail que je présente ici au public, que montrer quelques-unes de ses plaies; que serait-ce si je les avais toutes ouvertes, si j'avais étalé devant l'Europe le récit affreux de tant de crimes dont quelques-uns datent à peine d'hier; si j'avais raconté tant de viols, de meurtres, d'empoisonnements; si j'avais montré ce fanatisme sauvage et cette cruauté impitoyable qui égorgent un israélite coupable d'avoir blasphémé une loi qui l'opprime, ou condamnent à mourir de faim des Arabes coupables seulement de s'être dérobés à l'oppression par la fuite. J'aurais pu faire entendre ces cris de douleur et de haine, dont retentissent la Bosnie et l'île de Crète; j'aurais pu montrer ce pasteur vénérable, cet évêque à cheveux blancs, insulté, bâtonné, tué, et par

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