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Le baptême du prince impérial a coûté tout au plus 300,000 francs et a été payé par la liste civile; ainsi, on n'a pas dépensé pour l'héritier du plus beau trône de l'univers, une somme qui puisse se comparer, même de loin, au chiffre déraisonnable des prodigalités asiatiques, et le baptême du prince impérial n'a rien coûté à l'État.

Ainsi, dans une année, le sultan, en dehors de ce qu'il prélève sur le budget et des dettes qu'il contracte pour d'autres objets, aura dépensé 34 millions, c'est-à-dire le cinquième du revenu de ses États, en banquets et en feux d'artifice. Un particulier qui voudrait agir de la sorte serait interdit avant d'avoir pu le faire.

Dans une revue illustrée, je vis un jour deux dessins; l'un représentait un lit magnifique, chef-d'œuvre de profusion plutôt que de goût, destiné au sommeil de la souveraineté turque; l'autre montrait le petit lit de camp sur lequel mourait en soldat et tout vêtu le chef de la plus vaste monarchie du globe, l'empereur Nicolas Ier.

Rien ne me sembla plus éloquent que ce rapprochement fortuit de la simplicité d'une grande âme et de la vanité puérile d'une race déchue.

Ce besoin de paraître est commun à tous les barbares, mais on le rencontre surtout chez les musulmans. Il y a tel prince musulman qui dépense jusqu'au tiers du revenu de son État à donner des fêtes,

et doit à ses fournisseurs la valeur d'une année entière de ce même revenu. Un de ces rois dégradés et découronnés, que la Compagnie des Indes a mis en surveillance, s'étonnait auprès d'un voyageur français de ce que le gouverneur général, lord Dalhousie, ne voulait point lui permettre de se faire accompagner en Angleterre de sa suite, composée seulement, disait-il, de 5,000 personnes, y compris les domestiques.

Évidemment Pétrone a calomnié son pays en faisant de Trimalcion un Romain, fût-ce même Néron. Trimalcion était né en Orient, ses descendants y vivent encore.

Nous avons vu en quelle proportion étaient les dépenses du sultan avec les revenus de son empire; il en est bien autrement encore dans les États musulmans qui ne relèvent point de lui ou n'en relèvent que par de faibles tributs; dans ces États le souverain dévore ou cache tout ce qui dépasse les dépenses que nécessite l'entretien de sa petite armée et de sa petite administration; car dans ces États il ne peut être. question de travaux publics, ni en général d'aucune dépense pouvant avoir des résultats utiles. Le souverain s'empare de mille monopoles, il se fait négociant et fixe le prix de toutes les denrées, il condamne ses sujets à l'esclavage colonial, il confisque les biens des riches, qui sont toujours criminels ou suspects; il laisse ses créatures se gorger, puis les pressure

quand elles ont absorbé les dernières oboles du peuple. D'étranges idées naissent parfois dans son esprit, celle par exemple, de contraindre les cultivateurs à acheter de lui la propriété du sol qui, par une fiction légale, appartient au souverain, mais que ses possesseurs ont toujours pu conserver, échanger ou même vendre, à la seule condition de ne pas le laisser en friche; les princes altèrent la monnaie et n'oublient pas d'élever, comme à Constantinople, le taux de l'argent quand ils doivent payer et de l'abaisser quand ils doivent recevoir ce qui leur est dû.

Il y aurait, du reste, une sorte d'excuse à la rapacité de ces princes, si des actes aussi criminels pouvaient s'excuser: ils sont incertains de l'avenir, leurs enfants ne sont que rarement leurs successeurs et ils veulent qu'au moins leurs enfants soient riches; aussi placent-ils souvent à l'étranger les sommes qu'ils arrachent à la misère de leurs peuples. De cette façon, le pays perd à la fois son argent et la circulation de cet argent, en même temps que le despotisme oriental se condamne une fois de plus.

On résumerait en deux mots l'état financier des États musulmans à l'aide d'un dicton turc: fantasia tchok, para yok, beaucoup de fantaisie et pas d'argent.

CHAPITRE VI.

L'ARMÉE.

GRANDEUR PASSÉE; SYSTÈME ACTUEL ;

IMITATION MALADROITE;

LES OFFICIERS; LES SOLDATS; LA MARINE.

Je l'ai dit plus haut, c'est à leurs succès dans la guerre que les Turcs ont dû de s'élever au rang des nations, et de compter même parmi les plus puissantes de celles dont l'histoire garde le nom.

Ils durent leurs triomphes à une organisation militaire plus puissante que celle des Grecs, dont il ne restait plus qu'une ombre, et supérieure à celle des Arabes plus rebelles à la discipline. Dès le xiv. siècle, le deuxième sultan des Turcs, Orkhan, créait une armée régulière et permanente formée d'esclaves chrétiens, à laquelle fut donné le nom de iéni-tchéri, c'est

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