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tué, comme on l'a vu, dans les vingt-quatre heures par la Porte sur la demande de la Russie, sans que l'Autriche fit un mouvement pour le soutenir.

L'Angleterre, attentive à ses intérêts commerciaux, développait ses rapports mercantiles avec la Principauté, y faisait des exportations considérables et des importations croissantes, sollicitait pour éviter à ses nationaux des droits de douane, de port, d'ancrage hors des tarifs, mais ne paraissait pas jusqu'en 1853 viser à un rôle politique actif. Quand elle se montrait sur la scène, pourtant elle agissait avec une hauteur et une exigence moulées sur le modèle le plus âpre de la diplomatie russe.

Voici un échantillon de sa manière de faire : en 1840, à l'occasion de la naissance de la reine d'Angleterre, l'hospodar n'adressa pas les compliments d'usage au consul britannique. Le consul se prétendit outragé, partit sur-le-champ pour Constantinople, porta plainte au divan et mit lord Ponsonby en campagne. Le grand visir Reouf-pacha, pour contenter et l'ambassadeur et le consul, imposa au prince la satisfaction suivante, dans une lettre du 5 novembre 1840, ainsi conçue: «.... Lorsque le consul britannique, qui se trouve à Constantinople

en ce moment, sera arrivé aux confins de la Valachie, vous enverrez à sa rencontre un officier de votre état-major qui l'accompagnera jusqu'à Bucharest. Après cela, on fixera un jour pour que le grand postelnick, le ministre des cultes et des finances et le boyard-aga se rendent au consulat et y expriment leur regret de l'espèce d'affront qui a été fait à la dignité consulaire, et qu'ils prient que l'expression de leur regret soit portée à la connaissance du gouvernement anglais. Après que les ministres des cultes et des finances se seront retirés, le grand postelnick et le boyard-aga resteront; ceux-ci feront des excuses au nom de Votre Altesse pour les procédés des autorités locales dans l'affaire du protégé Aspréa et pour les propos inconvenants qu'elle a tenus à cette occasion envers le consul. Cela étant, Votre Altesse donnera toute la satisfaction que sa Hautesse a ordonnée, et elle aura soin d'éviter que de pareils procédés aient lieu à l'avenir. » Etait-ce assez d'abaissement imposé à un prince souverain? Un préfet français eût refusé de donner de telles satisfactions; l'hospodar but le calice jusquià la lie, et le consul daigna à peine agréer ses excuses.

La France tint pendant quelques années une attitude élevée à Bucharest. L'un des premiers con

suls généraux revêtus d'un caractère politique fut M. Adolphe Billecocq. Représentant de la France, il crut avoir le droit et le pouvoir de parler aussi baut, d'agir aussi vigoureusement que le représentant de la Russie Animé des plus nobles sentiments patriotiques, il entra hardiment en lutte contre l'influence moscovite. Les idées, les instincts et l'éducation de la classe influente du pays lui vinrent en aide. Les regards des Valaques se tournent quelquefois vers les Français comme vers des frères de même origine. Nos usages sont si complétement adoptés par la classe riche, que les soirées de Bucharest semblent données dans la Chaussée-d'Antin. Notre langue est si usuelle, que les jeunes filles n'en apprennent pas d'autre, et que les jeunes gens des colléges traduisent dans cet idiome les auteurs grecs ou latins adoptés pour les humanités. C'est en français qu'on converse dans les salons et qu'on joue les pièces au théâtre. Nos modes sont suivies à Bucharest comme à Paris, nos livres sont seuls admis dans les bibliothèques, les professeurs sont français, l'éducation d'un boyard et d'un Parisien sont semblables. Dès que l'agent politique leva la bannière de la France contre la Russie, il conquit sur l'heure les sympathies populaires, l'appui mar

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qué de l'administration, fit pâlir l'omnipotence moscovite et conquit sous le prince Alexandre Ghika un ascendant dont le souvenir vit encore à Bucharest.

Cette attitude ne fut pas de durée. En la prenant, le consul général agissait noblement, mais il errait. Il avait de la France une si haute et si excellente idée, qu'il ne supposait pas qu'il y eût un lieu en Europe où elle fût placée au second rang. Son patriotisme lui voilait la question légale, mais c'était par elle qu'il fallait se renseigner sur la ligne à suivre. D'après les traités et les règlements en vigueur, ni la France, ni aucune autre puissance chrétienne n'était placée sur les bords du Danube à la hauteur de la Russie. La cour de Saint-Pétersbourg y avait conquis par la diplomatie et par les armes un rang interdit aux autres nations. Il ne faut ni le taire par fausse honte, ni le dissimuler par amour de la paix; car là était le mal et le moment d'y porter remède est arrivé.

En présence de cette influence absorbante, la seule politique sage et qui put prévenir d'inévitables échecs, était la politique d'abstention. C'est celle que prescrivit l'illustre ministre français d'alors et dont M. de Bourqueney qui fut notre plénipoten

tiaire au congrès de Paris, traça le programme d'une main aussi nette qu'intelligente dans des lettres datées de Constantinople, dont voici deux extraits: << -Vous voici en présence d'un gouvernement régulier, écrivait M. de Bourqueney à l'agent politique français à Bucharest, entretenez avec lui de bons rapports, évitez, comme vous l'avez fait jusqu'ici, jusqu'aux apparences de l'ingérance intérieure; mais si vous avez le plus petit sujet de plainte à élever en votre qualité de représentant du gouvernement du roi contre les procédés de la nouvelle administration et particulièrement de son chef, relevez-les avec fermeté et portez-les sans retard à ma connaissance..... Agréez..... Signé de Bourqueney. >>

Dans une autre lettre, le même diplomate écrivait encore: «... J'ai voulu qu'on sût que nous nous élevons au-dessus des luttes de coteries, et que nos vœux sont acquis à toute administration qui développera l'existence nationale du pays sans froissement entre les deux forces que les traités ont mises à ses frontières. »

Telle était l'attitude des puissances et de l'administration nationale en Valachie: annihilation de la Turquie, — omnipotence attribuée à la Russie

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