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Aucune de ces taxes n'aurait dû être établie ou aggravée d'après le règlement organique qui faisait le nouveau droit, qu'avec l'assentiment des deux cours, ou tout au moins qu'avec le consentement de l'État souverain d'après la législation créée sous les princes phanariotes. Mais quand on est dans une voie mauvaise, rien ne s'exécute, et le règlement n'a

pas été plus suivi que les traités de Bucharest ou d'Andrinople, et que les capitulations de 4393 et de 1460. Si le prince Bibesco a obtenu, comme on le prétendit dans le temps, le concours de la Russie à ses mesures fiscales, il n'en a jamais fait montre. C'est, au reste, à cette seule puissance, que les princes scrupuleux se sont adressés; son approbation leur a paru suffisante. Grégoire Ghika s'est contenté d'un ukase impérial pour lever l'impôt qu'il a perçu

en 1828.

La situation des deux cours en Valachie expliquait cette dernière anomalie. La Turquie avait la position du maître qui perçoit les tributs, exige des services et donne au hospodar une investiture qu'on s'obstine à considérer comme le signe d'une solidarité perpétuelle entre le suzerain et le prince tributaire; enfin son passé plein de cruautés et de vexations n'était pas oublié. Or, nulle part on n'a

plus de penchant à appliquer le mot de la Fontaine : « Notre ennemi c'est notre maître. » Grâce à cette tendance exploitée sans relâche par une police habile, le peuple valaque met ses malaises au compte du prince, et, partant, à celui du sultan. Ce souverain, qui avait conscience du rôle qu'on lui attribuait, consentait difficilement à l'établissement des contributions nouvelles et à l'aggravation des anciennes taxes. Quel prince besoigneux se fùt hasardé à solliciter une approbation si laborieuse? Plus facile à obtenir et plus prompt à arriver était l'assentiment de la Russie; son rôle était fort aisé. Après chaque campagne heureuse contre la Turquie, elle avait demandé et obtenu, nous l'avons dit, en faveur du pays valaque, une décharge d'impôts, l'abandon des revenus échus ou la remise des dettes arriérées. A la suite de ses succès étaient tombées une à une les redevances vexatoires en bois, en moutons ou en blé, payées à Constantinople. Echo et interprète des plaintes, elle s'ingénait à découvrir les travers du pouvoir, se faisait à grand bruit le redresseur des torts, et jouait en Valachie le rôle po. pulaire du defensor des villes municipales dans le vieil Empire romain. Elle se souciait peu qu'on aggravât les souffrances de la population, et elle en

était même intérieurement heureuse, car toute surcharge était pour elle une cause d'intervention, de bons offices et d'influence; elle cueillait la popularité sur les malheurs publics. Pourvu donc qu'on n'exigeât d'elle aucun acte ostensible, elle approuvait aisément les surtaxes. Voilà pour quelles causes les princes besoigneux ne s'adressaient point, pour aggraver ou créer des impôts, au sultan, dont ils relevaient, mais au tzar, dont la mission était de les

entraver.

Cet état de choses doit cesser. La Valachie reconnue puissance indépendante sous la suzeraineté de la Porte par les capitulations et le traité de Paris, a le droit de se taxer elle-même sans le contrôle, la surveillance ou l'autorisation d'aucune puissance quelle qu'elle soit. Le traité de Paris permet de revenir aux principes de 1393 et de 1460 seuls obligatoires. Mais actuellement encore, la mission des hospodars se borne à proposer aux assemblées annuelles un budget réglé d'après les bases posées dans le sened de 1802. Les assemblées votent le budget et contrôlent les comptes, opèrent la répartition des impôts directs, et approuvent les contrats passés pour les fermes des contributions indirectes.

On a vu combien les faits avaient sapé les bases

de cette législation avant 1848. Depuis cette époque, elles ont été renversées, car les assemblées ont été ajournées indéfiniment. En 1848, la population s'insurgea contre le prince Bibesco, les troupes turques et russes entrèrent dans le pays, et on investit pour sept ans M. Stirbey d'une large dictature. Il administra le pays sans assemblée nationale, établit, répartit et perçut directement les impôts sans contrôle sérieux. L'examen de ce système passager, que j'ai vu fonctionner en septembre 1853, serait pour l'avenir sans plus d'utilité que l'étude de l'état bien autrement fatal qui lui a succédé. L'occupation du pays par l'armée russe, la fuite du prince Stirbey, l'omnipotence d'un commissaire moscovite, avaient jeté le trésor dans un désarroi et le système financier dans un oubli que raconteront les historiens futurs, mais dont l'exposé serait sans profit pour préparer une meilleure organisation des finances valaques.

Le budget vote, reste à en percevoir le montant. La perception des impôts directs est confiée, au premier degré, aux contribuables eux-mêmes. Les patentés des villes choisissent parmi eux des délégués noinmés staortes, chargés de percevoir les contributions de la ville; dans les villages, des délé

gués semblables, appelés paraalebes, recueillent les taxes. Les uns et les autres versent les impôts reçus dans les caisses des receveurs. Il y en a un dans chaque district, et la Valachie en compte dixsept. Ils sont nommés par le prince, assistés de secrétaires, d'assesseurs et de registreurs, et ont pour mission de presser les staortes et les paraalebes de recouvrer l'impôt et d'en verser le montant à lavestiairie, nom donné au ministère des finances.

Ce système, aussi simple que protecteur en théorie, évite une perception coûteuse et des écritures compliquées, prévient le contact du contribuable avec le receveur commissionné, et empêche le retour des abus que ce rapprochement enfantait.

Les impôts indirects sont affermés. On les met en adjudication aux enchères publiques, et le dernier surenchérisseur procède, à ses frais, sous le contrôle du gouvernement, à la perception des taxes. Elles sont fixées suivant un tarif, comme en matière de douane, ou réglées de gré à gré entre le fermier et le contribuable.

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