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Les dispositions prises pour assurer à jamais la possession exclusive du sol aux Valaques leur en préparent peut-être la dépossession dans l'avenir.

Malgré leur fécondité, les terres de la vallée du Danube ne rémunèrent pas les cultivateurs dans la même proportion que le commerce ou l'industrie payent les négociants et les fabricants. L'agriculture est tellement arriérée dans ce pays qu'en moyenne elle ne satisfait pas plus aux grandes dépenses des propriétaires qu'aux besoins d'avenir du cultivateur; ni l'un ni l'autre, le premier surtout, ne font done guère d'épargnes.

Cet état de choses n'est pas particulier à la Valachie; il est presque général en Europe.

L'agriculture ne donne des bénéfices importants et constants que quand elle s'est faite industrielle. En Angleterre, en Belgique, dans le nord de la France, elle est arrivée à cette période, mais elle en est loin en Valachie. La culture romaine dégénérée, à base exclusive de céréales, y est la seule suivie. Or, nulle part ce système n'enrichit ceux qui le pratiquent. Le travail pénible, la pauvreté et la sujétion sont presque partout le lot assuré de ses adeptes. Il est à craindre que ce lot (héritage des Valaques, cantonnés dans les lois économiques en vigueur) ne se

complique dans la Principauté de maux engendrés par l'état social du pays.

Les grands profits, par suite les capitaux accumulés et la prédominance qu'ils donnent sont, dans toute l'Europe, enfantés par le commerce et surtout par l'industrie. Les Juifs, les Grecs et les étrangers, uniques industriels et presque seuls commerçants des Principautés, sont donc probablement prédestinés à y jouir de l'autorité que les richesses procurent

Quand les barrières légales qui les séparent de la propriété territoriale tomberont (l'esprit de liberté et d'égalité qui souffle sur l'Europe les aura bientôt brisées), les membres des races proscrites aujourd'hui seront prêtes à mettre aux terres une enchère que ne pourront couvrir les Roumans dépourvus d'épargnes. Ils commanderont alors du haut de leurs richesses, devenues omnipotentes, à la masse de la nation. Les Valaques attachés à la terre par leur passé, écartés du commerce et de l'industrie faute d'habitude et d'argent, resteront rivés au sol comme les Ilotes de l'ancienne Laconie. Ils souffriront tous les maux qu'endure le pauvre dans les siècles de ploutocratie sous les exigences et la cupidité d'un maître sans entrailles, maux accrus encore

ici par les douleurs morales que causera à la majorité cet asservissement à une poignée de propriétaires, abhorrés par principes religieux, par antipathie de race, par dédain d'un pouvoir basé uniquement sur l'argent.

Nous avons indiqué le moyen de conjurer ces maux. Qu'on l'emploie; il en est temps encore. Il se résume en un précepte: relevez le moral de ces enfants d'origine étrangère, méprisés aujourd'hui, à craindre demain; absorbez-les dans l'unité roumane, dégagée de toutes les barrières de castes et de races, délivrée de tous les préjugés contre le travail et de toutes les lois qui les consacrent; voyez, en un mot, dans tout homme établi en Valachie, un citoyen à ranger sous la loi commune, et que cette loi soit celle de la liberté économique.

Prenez ces mesures, et l'avenir se lèvera moins sombre. Les réformes commerciales réclamées, redoutables peut-être avec les lois de privilége et d'exception en vigueur, ne produiront que des bienfaits avec les lois de liberté. Elles rendront le commerce et l'industrie plus faciles, plus développés, plus prospères. Elles détermineront la hausse des matières premières tirées du sol, verseront comme une pluie bienfaisante le capital des mains du grand

spéculateur mercantile sur le petit producteur agricole, répandront partout la richesse et le bienètre, et en même temps qu'elles amélioreront la situation matérielle de la nation, elles en élèveront le niveau moral.

CONCLUSION.

Que le lecteur veuille maintenant conclure. La Valachie, puissance indépendante et souveraine, s'est placée volontairement sous la suzeraineté de la Porte. Elle a conservé la liberté de sa religion, de ses lois, de son administration; l'élection de son prince, le droit de faire la paix ou la guerre. Elle ne s'est obligée qu'à un double devoir envers la Porte, rester sous sa protection et payer un tribut.

Voilà le droit inscrit dans les capitulations de 1393 et de 1460.

Quand la Russie entra, en 1769, en lutte avec la Turquie, ce droit était complétement méconnu. Elle s'en est fait le champion, elle l'a proclamé dans les traités, et a travaillé à son rétablissement appa

rent.

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