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vanie en exploitant de vieux souvenirs « Romanorum Imperator sum. »

L'Autriche convoite évidemment plus d'un pays tributaire ou sujet de la Porte. Non contente d'empiéter peu à peu au delà de sa frontière par de hardies poussées d'aigles, elle est en train maintenant de tendre ses filets sur plus d'une province. La laissera-t-on faire?

Napoléon avait pressenti ses projets : « Ce fut à contrecœur que Marie-Thérèse entra dans la conjuration contre la Pologne. On redoutait à Vienne les inconvénients attachés à l'agrandissement de la Russie; on n'en éprouva pas moins une grande satisfaction à s'enrichir de plusieurs millions d'âmes et à voir entrer bien des millions dans le trésor. Aujourd'hui, comme alors, la maison d'Autriche répugnera, mais consentira au partage de la Turquie : elle trouvera doux d'accroître ses vastes États de la Servie, de la Bosnie et des anciennes provinces Illyriennes dont Vienne fut jadis la capitale.

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On a parlé de la possibilité d'une régénération nationale des Slaves du Sud, par l'Autriche, et cette utopie fut le prétexte dont se couvrit le ministre de France pour abandonner la Hongrie à l'Autriche. Les Hongrois ont été domptés. Qu'a-t-il été fait pour eux et pour les Slaves du Sud? Il est naturel que l'Autriche, qui a détruit l'autonomie hongroise, tienne à ce que la Turquie détruise l'autonomie roumaine. Et si cette autonomie était détruite par le consentement des puissances européennes, ce serait la justification de la conduite autrichienne en Hongrie. Mais qu'y gagneraient les Roumains? Qu'y gagneraient même les Turcs.

L'Autriche intrigue en Servic, intrigue dans le Monténégro; elle voudrait empêcher que rien de stable ne se constituât en Moldo-Valachie. Car alors elle espérerait

dominer de faibles princes par ses consuls, en obtenir concession sur concession, enserrer le pays dans le lien des intérêts matériels, et y opérer peu à peu une colonisation qui tenterait les Allemands plus que ne les tente. l'Amérique ou l'Australie, et qui lui permettrait de s'approprier ainsi le pays en peu d'années. Et cela sans que l'Europe ne voie ni ne sache rien, puisqu'elle tient la Roumanie au secret, et que rien ne passe en transit, marchandises ni journaux, sans la permission de l'Autriche, et que les puissances ne réclament même pas contre un abus si révoltant.

Le développement de la puissance autrichienne sur le Bas-Danube serait très-dangereux pour les Roumains, car l'exemple de la Gallicie autrichienne comparée à la Pologne russe, montre que si les Russes compriment un peuple, les Autrichiens savent le ruiner et dénationaliser;

pour les Turcs, car la mission du comte Leiningen, exigeant la remise des réfugiés hongrois et polonais à l'Autriche, ne fut guère moins hautaine que celle du prince Mentschikoff demandant la protection de tous les chrétiens sujets de la Porte; - pour les puissances occidentales, car l'Autriche est l'État le plus rétrograde de l'Europe c'est l'ancien régime au dehors, un résidu du Saint-Empire. Formée uniquement des débris de plusieurs peuples détruits par elle, elle est l'ennemie-née des nationalités. L'Autriche n'a jamais été une nation; c'est moins un gouvernement qu'une bureaucratie, une simple compagnie d'exploitation. L'Autriche est plus réactionnaire que la Russie, car du moins la Russie est une nation, ambitieuse et conquérante, il est vrai, mais agissante; tandis que l'Autriche ne conquiert même pas, elle ronge: elle a plus gagné par ses ruses, ses mariages, sa neutralité, que par ses armes.

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Et c'est parce que l'Autriche est, en Europe, le principal empêchement au progrès, qu'il est si funeste de s'allier à elle. Elle a une portion de sept nations différentes: Allemagne, Italie, Pologne, Bohême, Hongrie, Roumanie, Serbie. Dès qu'on garantit à l'Autriche l'intégrité de son territoire, on ne peut affranchir aucun peuple. Et c'est là la fatalité de ceux qui, désespérant de leur force d'action, croient avoir besoin de s'appuyer sur elle.

La France a trop souvent oublié la grande pensée qui guida François Ier, Henri IV et Louis XIV dans leur politique extérieure, et qu'un instant continua Napoléon, l'abaissement de la maison d'Autriche. Car la mission de la France est de combattre l'ancien régime au dehors comme à l'intérieur, de susciter partout l'essor des nationalités, et, par conséquent, l'Autriche est la première ennemie de la France,

Aussi, dès que commença la révolution française, l'Autriche rédigea à l'instant la déclaration de Pilnitz, qui était la négation de la Révolution, 21 août 1791. Et bientôt après, 18 mars 1792, le ministre autrichien, comte de Cobentzel, associé au vieux Kaunitz, écrivit une note courte, sèche et dure, qui n'était qu'une sommation à la France de détruire son œuvre de trois années, et qui obligea le roi Louis XVI à venir lui-même, le 20 avril, proposer à l'Assemblée nationale de déclarer la guerre à l'Autriche, en disant : Tous préfèrent la guerre à voir la dignité du peuple français outragée et la sûreté nationale menacée.

Ainsi s'est engagée, par le fait de l'Autriche, cette guerre qui se prolongea un quart de siècle. C'est de Vienne qu'est partie la provocation de guerre contre la France, et c'est dans Vienne que s'est réuni le congrès des puissances contre la France en 1815. C'est le même empereur François II

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qui, dès les premiers jours de son règne, se mettait à la tête de la coalition, et qui, plus tard, par sa fille MarieLouise, consomma la ruine de son gendre l'empereur Napoléon; puis, une fois en Russie, l'attaqua par derrière et vint le détrôner à Paris. Au début et à la fin nous retrouvons la maison d'Autriche comme notre ennemie mortelle.

L'erreur capitale de Napoléon fut, au lieu de créer une société nouvelle, de vouloir amalgamer au dedans et au dehors l'ancien régime et le nouveau, de chercher à séduire, convertir et rallier l'Autriche et les nobles. Il crut qu'il se les était attachés: il n'avait fait que leur donner des armes contre lui. Quand il le reconnut, il était trop tard.

Il disait à Sainte-Hélène : « Je fis une grande faute après Wagram, celle de ne pas abattre l'Autriche davantage. C'est elle qui nous a perdus. J'aurais dû ne traiter avec l'Autriche que sous la séparation préalable des couronnes. de Hongrie et de Bohême. »

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Et il ajoutait « Ma plus grande faute, c'est mon mariage avec une princesse autrichienne. Si je fusse mort à Schoenbrunn, assassiné par Stabs, ma mort eût été moins. funeste à la France que ne le fut cette alliance. J'ai mis le pied sur un abîme recouvert de fleurs. »

On s'est étonné de voir l'Autriche sauvée par la Russie qui lui soumit la Hongrie, en 1849, abandonner la Russie, en 1853, dans la guerre d'Orient, tenir ce rôle ambigu qui lui permettait de dire aux puissances alliées : « Je contiens la Russie » ; à la Russie : « J'empêche l'armée francoanglaise de vous poursuivre et envahir ; » toujours prête à féliciter le vainqueur, se bornant à détenir les Principautés, et certaine, après que les puissances se seraient épuisées dans la lutte, de faire pencher la balance là où elle se porterait.

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Mais c'est ce qu'elle fit au commencement de ce siècle, au grand scandale des peuples: en 1812, l'Autriche versa son sang pour la cause de la France; en 1813 elle le prodigua pour soutenir le parti contraire.

Comment pouvoir jamais se fier à l'Autriche?« — Ces Autrichiens sont toujours les mêmes; jamais de franchise dans leurs actes, » disait Napoléon à Sainte-Hélène.

Déjà, dans la campagne de Dresde, il disait aux siens : «La politique de l'Autriche ne change pas. Les alliances, les mariages peuvent suspendre sa marche, mais ne la détournent jamais. L'Autriche ne renonce point à ce qu'elle est forcée de céder. Tant qu'elle est la plus faible, la paix dans laquelle elle se réfugie n'est qu'une trève; en la signant, elle médite une guerre nouvelle.

« Observez-la depuis vingt ans ; après nous avoir combattu pendant cinq campagnes acharnées, elle ne se résout à suspendre les hostilités à Leoben, que parce qu'il n'y a plus d'autre moyen de nous empêcher d'entrer dans Vienne.

<«< Un an après, elle apprend mon départ et celui de mon armée pour l'Egypte; aussitôt elle recommence la guerre; si, en 1801, elle signe la paix de Lunéville, c'est que les vainqueurs de Hohenlinden menacent de nouveau sa capitale.

« En 1805, elle croit nous surprendre au milieu de nos projets de descente en Angleterre; elle reparaît sous les armes; mais cette fois elle perd Vienné et la bataille d'Austerlitz; il faut bien enfin se soumettre.

« Trois ans sont à peine écoulés, qu'elle oublie ses leçons précédentes. En 1809, elle nous voit engagés au fond de l'Espagne et elle nous attaque avec une nouvelle confiance. Ce n'est qu'après avoir perdu Vienne et la bataille de Wagram qu'elle consent à la paix.

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