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tion. Quel noble rôle et quelle belle occasion pour acquérir au commerce anglais le marché de toute l'Europe. Qu'avait de mieux à faire le cabinet de Saint-James que de donner la main à ces beaux élans de la régénération moderne, qui tôt ou tard s'accomplira, et contre laquelle les rois de droit divin et l'oligarchie s'épuisent en vains efforts. C'est la roche de Sisyphe qu'ils tiennent élevée sur leurs têtes: elle les écrasera quand quelques bras se lasseront. Le ministère anglais qui se mettra à la tête des idées libérales du continent recueillera les bénédictions de l'univers et tous les griefs contre l'Angleterre seront oubliés. »

Que l'Angleterre s'unisse donc à la France pour consolider la paix en Orient par la constitution d'un État Roumain. L'importance de la question est capitale. Le prince de Talleyrand, en effet, disait : « Le centre de gravité du monde n'est ni sur l'Elbe, ni sur l'Adige, il est là-bas aux frontières de l'Europe, sur le Danube. » Et la France aujourd'hui peut dire à l'Angleterre, comme autrefois Talleyrand le disait en qualité de ministre de France au plénipotentiaire anglais Lauderdale, le 18 septembre 1806: « La France ne doit abandonner ni les intérêts de l'Empire Ottoman, ni une position qui la mette à portée de soutenir cet empire contre les agressions dont la Russie le menace ouvertement. »

Quand Napoléon critiquait le traité de 1815, il disait: « On ne devait pas laisser la Russie usurper le protectorat des provinces du Danube; la Russie est envahissante de sa nature; tôt ou tard elle fera irruption en Europe.

L'invasion des Russes fut la préoccupation constante des derniers jours de Napoléon, de même que Charlemagne mourant prédisait l'invasion des Normands. Mais l'Europe sait qu'elle n'est plus au temps de Louis-leDébonnaire.

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La Russie a voulu envahir. Alors la guerre d'Orient s'en est suivie et les soldats de la France sont allés couvrir Constantinople. Le 2 juillet 1855, l'empereur Napoléon III disait au Corps legislatif : « Nous avons demandé une meilleure constitution des Principautés, afin qu'elles servent de rempart contre ces invasions sans cesse renaissantes du Nord. » C'était la même pensée que celle de Trajan quand il fit des Roumains un rempart contre les Barbares.

Il est juste de convenir que la conduite du gouvernement français, dans la question des Principautés, a été constamment droite et ferme. Il a plus d'une fois déclaré y persister, notamment en réponse aux faux bruits de la presse autrichienne.

Pourtant comme l'Empereur, à l'ouverture du Corps législatif, le 18 janvier 1858, a déclaré qu'il apportera un grand esprit de conciliation dans les conférences qui vont s'ouvrir, et que, dans un écrit qui a eu beaucoup de retentissement (l'Empereur Napoléon III et l'Angleterre), on insistait sur ce fait que l'Empereur s'était montré bien conciliant dans l'entrevue de Osborne, bien des gens en ont conclu que la cause de l'Union était sacrifiée par la France. C'est sans doute trop se håter: car si l'Empereur peut faire concession sur le choix du prince roumain, il ne pourrait en faire sur la question même de l'Union, puisque alors ce ne serait pas seulement une concession, mais un véritable abandon.

Toutefois, les ministres d'Angleterre ont récemment déclaré au Parlement que le Gouvernement français était d'accord avec l'Angleterre sur les Principautés, et cette déclaration avait pour but et eut pour effet d'influer sur le vote des Communes au sujet de la motion de M. Gladstone en faveur de l'Union.

C'est alors qu'un journal anglais s'est écrié : Qu'est-ce que les peuples pourraient encore attendre de la France? Les Italiens avaient été encouragés par elle, et cela a abouti au bombardement de Rome. Les Polonais ont beaucoup espéré de la guerre d'Orient, et il n'a pas même été quéstion d'eux au Traité de Paris. Les Roumains ont compté sur la parole de l'Empereur des Français, et voilà qu'on les abandonne; l'intérêt de la France s'est reporté sur le Montenegro. Qui sait? demain, peut-être, nos versatiles voisins se passionneront-ils pour la question de MonteChristo ?

Est-ce bien vraiment à l'Angleterre qu'il appartient de se constituer l'interprète des griefs des peuples contre la France. L'Angleterre a-t-elle oublié la mission agitatrice de lord Minto en Italie, en l'année 1847, ou croitelle que le cabinet de Saint-James ait fait quelque chose en faveur des Siciliens et des Lombards en 1848? Si la paix s'est conclue si vite et sans qu'il ait été rien fait pour la Pologne, ne serait-ce pas en grande partie parce que les ministres d'Angleterre se refusaient à ce que la guerre fût portée sur le continent, mais persistaient à vouloir la réduire à une guerre maritime, pour détruire la flotte russe de Cronstadt comme on avait détruit celle de Sébastopol, ce qui n'eût profité qu'à l'Angleterre. Et quant aux Roumains, si l'Union n'est déjà faite depuis deux ans, c'est que l'Angleterre ne l'a pas voulu.

S'il est une question sur laquelle la France et l'Angleterre devraient être d'accord, c'est assurément celle des Principautés du Danube, car il s'agit non-seulement de l'influence française en Orient, mais de l'influence occidentale elle-même. L'Union des Principautés roumaines sera le signe auquel les peuples jugeront de ce qu'ils peuvent attendre de l'Occident.

La Russie a beaucoup perdu dans la guerre d'Orient : mais moralement elle a moins perdu qu'on ne le croit; car elle a lutté seule contre tous et non point sans grandeur. Et chaque jour les fautes de la diplomatie européenne relèvent la Russie de l'échec qu'ont éprouvé ses armes. Déjà les chrétiens d'Orient disent: C'est pour nous que la Russie a souffert. La Russie scule sait se battre pour ceux qu'elle protége. Les autres ne donnent que des promesses et des phrases. On ne fait rien pour nous. La Russie avait raison.

C'est grâce à l'appui de la Russie que les Serbes obtinrent la réunion de leurs six districts et l'hérédité de leur prince. Les puissances occidentales veulent-elles qu'on puisse dire que les vœux des Moldo-Valaques qui se sont mis sous leurs auspices sont moins écoutés que ne le furent ceux des Serbes protégés par la Russie scule?

On a justement remarqué cette phrase d'un journal anglais La politique de la Russie, à l'égard des Principautés Danubiennes, a été de les protéger en vue de son intérêt particulier; mais le rôle que joue l'Angleterre lui fait sacrifier les chrétiens du Danube sans qu'il en résulte pour elle aucun avantage : c'est là un parjure en pure perte, un illibéralisme gratuit dont elle se rend coupable afin de gagner la faveur de l'Autriche qui ne lui en sera point reconnaissante.

L'Angleterre a-t-elle réfléchi combien son opposition aux vœux des Roumains donne à la Russie un puissant argument? Sa politique actuelle a ceci de particulier, qu'en même temps qu'elle sert moralement la Russie sans le vouloir, elle sert sans le voir matériellement l'Autriche. L'Angleterre n'aurait-elle fait tant de sacrifices que pour que l'Autriche monopolisât le Danube? ou croit-elle avoir intérêt à ce que l'influence autrichienne se substitue en

Orient à celle de la Russie? Serait-ce donc pour un pareil résultat que la libre Angleterre s'acharnerait à faire échouer la régénération d'un peuple qui avait, dès l'origine, mis son espoir en elle non moins qu'en la France.

Quant à l'Autriche, elle invoque dans cette question non l'intérêt des autres, mais le sien uniquement. Elle se plaint que par la constitution d'un Etat roumain sur le Danube, on veuille la placer entre deux Piémonts; mais la France, ni l'Europe, n'ont pas plus intérêt à laisser l'Autriche s'étendre jusqu'à la mer Noire qu'à la laisser s'adosser aux Alpes.

La Turquie, de son côté, se plaint qu'on veuille la placer entre deux Grèces : or, c'est précisément son entêtement qui peut le mieux produire ce résultat. On se rappelle, en effet, que c'est pour n'avoir point voulu se contenter de la suzeraineté sur les provinces grecques qu'elle perdit tout droit sur elles et qu'elles furent constituées en État indépendant.

La Grande-Bretagne, la France et la Russie s'étaient unies par le traité de Londres du 6 juillet 1827, pour la pacification de la Grèce. Et elles s'engageaient « à combiner leurs efforts dans le but de rétablir la paix entre les Turcs et les Grecs, au moyen d'un arrangement réclamé autant par un sentiment d'humanité que par l'intérêt du repos de l'Europe. » L'arrangement à proposer à la PorteOttomane devait reposer sur cette base: « Les Grecs relèveront du Sultan comme d'un seigneur suzerain, et, en conséquence de cette suzeraineté, ils paieront à l'Empire Ottoman une redevance annuelle dont le montant sera fixé une fois pour toutes, d'un commun accord. Ils seront gouvernés par des autorités qu'ils choisiront et nommeront eux-mêmes; mais à la nomination desquels la Porte aura une part déterminée. »

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