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Oui, répond l'homme interrogé.

Hé bien! reprend Arlequin, c'est moi qui les ai faites! >>

C'est ainsi qu'il ferraille contre tous les vices de son temps, ce réformateur de carnaval que ses contemporains ne prenaient pas encore au sérieux; il tranche dans le vif et ne ménage personne. On sent en lui, malgré ses pantalonnades, je ne sais quoi de violent et d'amer; il frappe brutalement, avec le gourdin de la comédie foraine, et porte des coups hardis que n'auraient point osés les comiques de haute école, en cinq actes et en vers. Ce n'est pas un rieur qui châtie, c'est un bouffon qui torture; la folie d'Arlequin cache peut-être la colère d'un Brutus et, en tout cas, la tristesse de Dominique. Tel est le Figaro des Italiens.

VII

EN FRANCE.

L'Agnelet de maître Pierre Pathelin opposé aux pâtres de Vir

gile et aux Tircis des bergeries. Les paysans (Dancourt, Dufresny, etc.). Les Bazochiens. Tabarin et Turlupin.

Neuf.

-

de théâtre

Le Pont

Mais quoi? N'ai-je d'aïeux que hors de France ? Ne trouverai-je personne, en mon pays, qui me ressemble et de qui je puisse descendre? N'y eut-il sur notre scène que des personnages étrangers, venus d'Espagne et d'Italie, et le vieux sol gaulois, si fécond en hommes de gaie humeur, n'a-t-il rien produit de lui-même qui pût représenter la sagesse ou la malice populaire opposées à toutes les vanités du rang, du nom, du bien, du pouvoir, de l'avoir, et même du savoir? Je suis trop bon Français pour répondre négativement. Et en remontant dans le

>>

passé, jusqu'aux origines de notre théâtre, jusqu'à la première pièce qui ne fût pas de ces dévotes parades où l'on jouait «<les Saints, la Vierge et Dieu, par piété mais une œuvre et, sans contredit, un chef d'œuvre - je m'y retrouve en habit de berger, simple rustre vivant avec mes bêtes, dans les pâturages, mais assez matois pour duper à la fois l'hom me d'affaires et l'homme d'études, le drapier Guillaume et l'avocat Pathelin.

Comment est-ce que l'on t'appelle ?

Par saint Maur, Thibaut l'Aignelet.

Quel était-il donc, cet Agnelet de la farce? Un varlet (nous sommes encore au moyen âge) non de ceux qui, au bon vieux temps, entraient dans la maison d'un haut seigneur, d'une noble dame, pour apprendre la courtoisie et l'honneur; mais de ceux. qui plus tard, simples manants, se donnaient ou se louaient au premier venu, pour les travaux serviles. Il appartenait donc au drapier Guillaume qui disait de lui :

Que pour Dieu et en charité

Je l'ai nourry en son enfance;
Et quand je vy qu'il eut puissance
D'aller aux champs, pour abregier,
Je le fis être mon bergier

Et le mis à garder mes bestes.

Et il le payait pour cela. Agnelet était son aloué, c'est-à-dire un mercenaire, un domestique à louage. Aussi avait-il de l'argent et quand il eut besoin d'un

avocat, il put lui promettre de le rémunérer non point en gros sous, mais en écus d'or à la couronne. L'avocat ne trouva pas la promesse outrecuidante de

la

part d'un simple berger : ceci me paraît bon à savoir. Cependant Agnelet se plaignait d'être payé petitement. Aussi que fit-il pour corriger la parcimonie de son maître, le marchand drapier? Il le dit si joliment, que je vais le lui laisser dire. (Il parle des brebis qu'il menait paître, et confesse sa faute à l'avocat Pathelin.)

Il est vrai et vérité, sire,

Que je les luy ay assommées;

Tant que plusieurs se sont pasmées
Maintes fois et sont cheutes mortes,
Tant feussent-elles saines et fortes.
Et puis, je lui faisoye entendre,
Afin qu'il ne m'en peust reprendre,
Qu'ilz mouroient de la clavelée.
<< Ha, faict-il, ne soit plus meslée
Avec les autres : gette-la !

«

-Volontiers, » fais-je. Mais cela
Se faisoit par une autre voye :

Car

par sainct Jean! je les mangeove,

Qui scavoye bien la maladie.

Que voulez-vous que je vous die?

J'ay ceci tant continué,

J'en ay assommé et tué

Tant, qu'il s'en est bien apperçeu.
Et quand il s'est trouvé déçeu,
M'aist Dieu! il m'a fait espier:
Car on les ouyt bien crier,
(Entendez-vous) quand on le scait.

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