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tout bourgeois. J'y reconnais mon sang dans ce Ca-rion, confident de son maître, «le plus fidèle et le plus fripon de ses serviteurs. » Carion a de l'esprit et du sens il dit son mot, donne son avis, discute et se vante. Quand son maître Chrémyle, qui a pour hôte le dieu Plutus, supplie cet immortel de ne point quitter sa maison et lui demande pour le retenir :

"

Où trouverais-tu ailleurs un plus honnête homme que moi?

Il n'y en a qu'un, c'est moi, » dit Carion l'esclave.

O l'esprit bien avisé! Il connaissait la puissance de la monnaie.

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Moi, disait il, pour un peu d'argent d'autres m'ont acheté; si je suis esclave, c'est que je n'étais pas riche. >>

Aussi se joignait-il à son maître pour fêter, choyer, séduire Plutus. Et quand Chrémyle disait à ce dieu :

« L'on est insatiable de tes dons. On se rassasie de tout le reste, d'amour...

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De pain, ajoutait Carion.

De musique, reprenait Chrémyle.

De friandise...., continuait Carion.
D'honneurs....

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- Mais de toi, l'on ne se rassasie jamais! »

Carion était donc gourmand, c'est le vice de ceux qui ont mangé beaucoup de pain noir. La religion, en ce temps-là, ne commandait pas l'abstinence et le clergé n'en donnait pas encore l'exemple. Un jour, dans le temple d'Esculape, on venait d'offrir un sacrifice à ce dieu; les galettes et d'autres comestibles avaient été consacrés sur l'autel; après quoi, selon l'usage, les assistants s'étaient couchés sur des lits de feuilles, et le prêtre leur avait dit, éteignant les lumières dormez ! Mais Carion qui était là ne pouvait dormir.

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« J'étais préoccupé, dit-il, de certaine marmite pleine de bouillie qui fumait encore près d'une vieille, juste derrière sa tête, et j'avais un furieux désir de ramper jusque là. Mais, tout à coup, je lève la tête, et qu'est-ce que j'aperçois? Le prêtre en personne faisant le tour des autels et raflant tout ce qu'il y trouvait à manger, les gâteaux, les figues et le reste il sanctifiait tous ces vivres en les enfournant dans un sac. Je résolus d'imiter le saint homme et j'allai droit à la bouillie...

Sacrilége! et tu ne craignais pas le dieu ?

Si, vraiment. J'appréhendais que le dieu, couronne en tête, n'atteignît la marmite avant moi. Tel prêtre, tel dieu, me disais-je.

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Ainsi parlait mon ancêtre Carion. J'entends affir

mer autour de moi que les anciens avaient trente mille dieux et pas un athée. Carion prouve le contraire, lui qui ouvrant la porte à Mercure, le traitait en égal et même en inférieur. Il l'accueillit avec des injures et finit par l'envoyer au puits, le chargeant de laver les entrailles des victimes. C'est ainsi que les esclaves se comportaient avec les dieux.

Cependant, après Aristophane, la muse comique devint casanière; elle quitta peu à peu la place publique et s'enferma, par ordre, dans le cercle étroit de la maison. Ce fut un grand malheur pour ceux qui aimaient les personnalités directes et le rôle politique et religieux du chœur. Mais ce fut un grand bien pour nous, les esclaves. En effet, nous n'étions rien dans la vie civile, mais nous étions quelque chose dans la vie privée; c'est pourquoi les Ménandre, de force ou de gré, nous mirent en scène et nous firent avancer jusqu'au premier plan. La domesticité (ceci n'est point un jeu de mots) devait compter dans le drame domestique. L'esclave ne fut pas seulement le bouffon, mais le meneur de la pièce et, en quelque sorte, l'auteur en action. Ovide cite quelque part les principaux personnages de Ménandre le père dur, l'entremetteuse perfide, la courtisane caressante; mais le premier qu'il nomme, c'est l'esclave fallacieux. » Par malheur nous ne possédons des successeurs d'Aristophane que des bribes émiettées çà et là; précieux fragments, ou, comme on l'a dit, « poussière de marbres brisés » avec laquelle on ne saurait pourtant reconstruire une

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seule comédie de ces glorieux inconnus dont l'œuvre est à la fois immortelle et perdue. Pour étudier ce théâtre, nous sommes forcés de recourir aux comiques latins qui copiaient les Grecs. Allons à Rome.

II

LES ESCLAVES.

Figaro part pour Rome et assiste à la représentation d'une comédie de Plaute, la Casina, où il reconnaît sa propre histoire. Condition des esclaves chez les Romains leurs misères, leurs supplices, leurs vengeances.

Un jour que je rêvais, après une lecture de Plaute, à mes petites affaires de famille, j'inscrivis machinalement avec une pointe de couteau, sur un jeton qui se trouva sous ma main, le titre de la pièce que je venais de lire, Casina Plauti. Je ne sais comment cet os taillé en rond et gravé de mes mains arriva quelques mois après dans celles du comte, mon maître; je sais seulement qu'on le lui avait vendu fort cher, comme une précieuse antiquité trouvée quelque part en Italie, dans les fouilles qu'on y fait en ce moment. Le comte, ayant consulté un archéo

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