grandes puissances auraient pu vouloir la compro mettre. Enfin, les déclarations du gouvernement sont précises et catégoriques. Il en résulte que la Belgique ne peut être entraînée dans aucune complication, qu'aucune solidarité politique n'existera entre les deux pays, que nulle charge financière ou militaire ne peut dériver pour nous d'une union qui sera strictement personnelle; l'État du Congo vivra de sa vie propre avec une administration entièrement distincte et avec des ressources particulières, destinées à se développer. Le sentiment du pays n'est pas douteux. De toutes parts, par tous ses organes, vous, messieurs, en tête, et des premiers, par ses conseils communaux, par ses associations politiques, par la très grande majorité de sa presse, il a acclamé l'œuvre accomplie par le roi, et cette grande conquête pacifique, plus noble et plus durable que les créations sanglantes de la force. Mais si l'on peut déclarer que le pays ne sera entraîné dans aucune responsabilité onéreuse, il est en outre permis d'espérer que le but poursuivi par le fondateur de l'œuvre africaine sera atteint. Montrer à la Belgique des horizons nouveaux, donner l'impulsion à l'initiative privée, préparer des débouchés à notre commerce et à notre production industrielle, ouvrir une carrière aux jeunes générations, relever les idées, retremper les caractères, convier le peuple belge à s'associer au mouvement qui porte les vieilles nations vers les régions encore fermées à la civilisation, désirer ardemment que la Belgique y marque sa place et lui en fournir l'occasion, c'est assurément là, messieurs, une tentative digne de la sollicitude et de toutes les sympathies de ceux qui s'intéressent à l'avenir de notre patrie. C'est en se plaçant à ces divers points de vue que votre section centrale a examiné la proposition qui vous est soumise. Les sections de la chambre l'avaient précédée dans cette voie. Constatons d'abord qu'elles ont fait, à la presque unanimité des membres présents et ils étaient nombreux un accueil favorable au projet de résolution proposé par le gouvernement. Le vote a été affirmatif à quelques abstentions près. Diverses observations critiques se sont produites. Elles tendent toutes à bien faire préciser que la Belgique ne peut, en aucune hypothèse, encourir la moindre responsabilité, ni actuelle ni future, dans les destinées du nouvel Etat; que l'union qu'il s'agit d'établir entre les deux couronnes n'a aucun caractère dynastique, qu'elle est absolument personnelle à Sa Majesté Léopold II, reposant exclusivement sur sa tête et non transmissible, si ce n'est par une application nouvelle de la disposition constitutionnelle. Comme conséquence de cette rédaction nouvelle, des membres ont soutenu que le § 2 du texte de la résolution devenait inutile et en ont demandé la suppression. Plusieurs membres ont insisté pour qu'il fût bien entendu que la disposition du code pénal (art. 126, qui interdit l'enrôlement des soldats, devra, le cas échéant, rester applicable, comme étant de droit commun. Ensuite, dans cet ordre d'idées, quelques-uns de nos collègues ont exprimé la crainte de voir nos officiers, et des meilleurs, abandonner l'armée pour aller servir dans ces contrées lointaines. Enfin des doutes ont été émis sur les profits commerciaux ou industriels que la Belgique pouvait retirer de la colonisation du bassin du Congo, ouvert, au même titre, au monde entier sans avantage particulier pour nos nationaux. Ces objections et ces réserves, assez isolées d'ailleurs, n'ont pas reçu l'approbation de la très grande majorité des membres ayant assisté aux délibérations de vos sections. Ils n'ont eu ni cette défiance de l'avenir commercial du bassin du Congo, ni cette appréhension que notre armée pût être amoindrie ou affaiblie parce que, de leur plein gré, quelques officiers iraient mettre leur ardeur et leur intelligence au service d'une cause qui est celle de la civilisation; ils ont cru, tout au contraire, que cette courageuse conduite ferait honneur à notre corps d'officiers. Plusieurs de ces objections ont été reproduites dans votre section centrale. C'est ainsi qu'un membre a critiqué, dans l'Exposé des motifs, page 2, la phrase suivante : " Le pays n'a pas davantage à redouter les charges militaires et financières qu'entraîne d'ordinaire un établissement colonial, et plus loin: "ainsi la Belgique se trouvera dans cette situation favorable de pouvoir... tirer parti d'une création coloniale qui, etc. Ces expressions pourraient faire croire qu'il y aura un lien colonial quelconque entre les deux pays; telle n'est pas la pensée du gouvernement. Il n'y a ici ni métropole, ni colonie; il n'y a que deux Etats absolument séparés, et l'Exposé l'indique luimême en se servant de la qualification de colonie internationale. C'est en ce sens que les mots rapportés ci-dessus doivent être compris. La section centrale déclare l'entendre ainsi. La substitution des mots: " Sa Majesté Léopold II, roi des Belges, est autorisé, etc. à ceux: le roi est autorisé, etc., est adoptée à l'unanimité par la section centrale. Dans son opinion, cette formule indique plus clairement que l'union entre les deux couronnes est exclusivement personnelle, sans caractère dynastique ou héréditaire, contrairement à ce qui se rencontre chez d'autres peuples. C'était, d'ailleurs, la portée de la rédaction première; il a paru utile à la section centrale de la fixer de plus près. Et pour bien déterminer cette signification restrictive, il a été proposé et adopté, dans trois secLa section centrale a maintenu le § 2 du projet de tions, de subsister à la formule du projet: " le roi résolution. est autorisé, etr., etc.,, celle-ci: Sa Majesté LéoCette rédaction, conforme au langage juridique, pold II, roi des Belges, est autorisé à être le chef, etc., i présente un sens qui est parfaitement compris, et 4 confirme, loin de l'affaiblir, la précaution que l'on a ene en vue elle n'exprime aucune idée d'union réelle entre les deux pays qui se trouveront simplement avoir le même souverain. La section centrale partage l'opinion émise dans les sections au sujet de l'application de l'article 126 du code pénal, qui interdit l'enrôlement de soldats sans ordre ni autorisation du gouvernement. Comme nous l'avons rapporté ci-dessus, l'attention de la section centrale a été attirée sur les inconvénients qui pourraient résulter de l'emploi au Congo de fonctionnaires ou d'officiers belges. Elle estime que la résolution qui vous est soumise est étrangère à cet objet et que, dès lors, le gouvernement conserve la responsabilité de tout ce qu'il pourrait faire ou autoriser à cet égard. Un membre a déclaré que, tout en émettant un vote favorable, il faisait toutes ses réserves quant aux motifs donnés par le gouvernement et aux considérations qui ont déterminé la section centrale. Les membres de la section centrale sont unanimes à vous proposer, messieurs, d'autoriser Sa Majesté le roi Léopold II, en conformité de l'article 62 de la Constitution, à devenir le chef du nouvel État du Congo et à réunir les deux couronnes par une union exclusivement personnelle. Nous sommes convaincus d'être ainsi les interprètes fidèles des sentiments du pays, heureux de donner à son roi une preuve nouvelle d'un attachement et d'un dévouement justement dus à tant de généreux et de patriotiques efforts. sition de la cinquième section. Seulement elle ne soumit pas l'exercice de cette faculté aux formalités prescrites par l'article 131 pour la revision de la Constitution. Elle admit une délibération séparée des deux chambres et elle exigea seulement la présence dans chaque chambre des deux tiers des membres et les trois quarts au moins des suffrages des membres présents. Un amendement de M. Trenteseaux, introduit pendant la discussion, substitua la majorité des doux tiers à la majorité des trois quarts des suffrages, requise par le projet. Il semble que l'exception visât la possibilité d'une union personnelle avec la France. C'est ce qui résulte des observations présentées dans la neuvième section du Congrès. Rien donc dans la préparation de cet article n'autorisait le gouvernement dans l'Exposé des motifs à faire entendre qu'une situation semblable à celle qui fait l'objet de la proposition actuelle ne devrait pas, dans l'esprit du Congrès, exiger les majorités spéciales de l'article 62 de la Constitution. Tout prouve, au contraire, que le Congrès entendait réserver à la Belgique seule l'activité entière du roi et qu'il n'a admis l'éventualité d'une union personnelle avec un autre pays que dans le cas où elle serait justifiée par l'intérêt évident de la Belgique. Cette règle mettait sagement la Belgique à l'abri des complications auxquelles donnent souvent naissance les unions personnelles. L'intérêt seul de la Belgique peut commander une exception à la règle constitutionnelle! Ce serait déjà s'écarter de la pensée du Congrès que de se contenter, pour acquiescer à une proposition d'union avec un autre Etat, de ne pas en découvrir les dangers particuliers; la disposition, constitutionnelle par elle-même, suppose qu'il existe des Séance du 28 avril 1885. (Ann. parl., p. 1027 et suiv.) dangers et des inconvénients à toute union person M. NEUJEAN. Messieurs, étant d'un avis contraire à presque tous mes collègues de la chambre, je crois devoir indiquer brièvement les raisons qui déterminent mon vote. Le roi appartient à la Belgique. nelle. La question qui nous est posée aujourd'hui est donc celle-ci: La Belgique a-t-elle intérêt à ce que son roi devienne souverain du Congo? C'est ainsi que le roi, fidèle à notre pacte fonda Tel est le principe que l'article 62 de la Constitu- mental, la pose dans sa lettre aux ministres. Il affirme l'intérêt de la Belgique à cette union; il rappelle aux ministres qu'ils ont reconnu avec lui cet intérêt, et, fort de leur concours, il demande l'assentiment des chambres. Le roi n'avait pas à déduire les raisons de sa conviction. Il a dû les faire connaître aux ministres; ils ont dû les accepter puisqu'ils nous demandent d'autoriser l'union. C'est au gouvernement qu'il incombait de produire au parlement les éléments de sa conviction, de démontrer ce que le roi affirme. Tout en donnant au projet une forme insolite, tout en parlant d'adhérer au désir du roi (langage étrange, assurément), il reconnaît que la communication du roi lui imposait le devoir d'examiner mûrement ce que commande, à cet égard, l'intérêt La section centrale admit à l'unanimité la propo- du pays. 1885. 10 Il annonce qu'il s'est livré à cet examen, et " qu'on en connaît le résultat!!! Mais au moment où l'on s'attend à le voir exposer les résultats de cet examen, le gouvernenient se dérobe! Il se borne à prendre acte des appréciations, de la conviction du roi, à répéter, à paraphraser les termes du message royal. Il ne dit pas qu'il aurait fait une enquête sur les ressources du Congo, sur la richesse de son sol, sur ses produits, sur ses mines, sur les matières d'exportation qu'il renferme, sur l'importance de son commerce actuel, sur l'extension qu'il a prise dans ces dernières années, sur le développement dont il est susceptible! Il n'indique pas les avantages que la souveraineté du nouvel Etat procurerait aux Belges qui s'y établiraient. En vain, on se demande encore quels pourraient être ces avantages en présence de l'acte originel du nouvel Etat qui place les étrangers et les nationaux du Congo sur un pied parfait d'égalité, au point de vue du commerce, de l'industrie, du trafic, des péages; qui prend les précautions les plus minutieuses pour empêcher un traitement différentiel quelconque entre nationaux et étrangers; qui, dans ee but, à la différence du Niger, soustrait le cours du grand fleuve et de ses affluents, et les moyens de transports destinés à le suppléer, à l'empire du souverain du Congo et le place dans les attributions d'une commission internationale composée des délégués de toutes les nations (art. 13 à 25 de l'acte général de la conférence de Berlin). Le gouvernement ne fait ni ne tente aucune réponse à cette question capitale, qui est sur toutes les lèvres! Il ne nous renseigne ni sur le caractère, ni sur les religions, ni sur les besoins, ni sur la densité, ni sur les dispositions des populations du nouvel Etat. Il nous laisse sous l'impression plus que vague d'une carte qui indique..... des immensités inexplorées! Il n'explique ni peu ni point ce que sont " ces traités conclus avec les souverains légitimes dans le bassin du Congo et de ses tributaires qui ont cédé à l'Association internationale en toute souveraineté de vastes territoires en vue de l'érection d'un État libre et indépendant,. Nous en sommes réduits à cette phrase un peu sibylline que j'extrais de la déclaration de l'Association du 23 février 1885. Le gouvernement a-t-il pris connaissance de ces traités qui fournissent la matière du nouvel État, qui constituent ses titres et doivent contribuer à lui assurer la tranquillité? Je concilie difficilement l'existence de ces traités avec les vides qui remplissent les 9/10 de la carte du nouvel État. La Belgique, dont le droit est la force, est-elle done indifférente à la légitimité de cette souveraineté du nouvel Etat? Le gouvernement ne cherche nullement à nous édifier, même sommairement, sur la vitabilité du nouvel État! Il he nous fait pas seulement entrevoir quelles en seront les bases, quel en sera le régime, quels seront ses moyens d'action, comment il espère faire pénétrer un sentiment quelconque de son autorité dans les pays que l'Europe lui reconnaît et lui confie! Nous ignorons jusqu'au titre que prendra lè futur souverain du Congo et ce qu'il joindra au titre de roi des Belges? En un mot, l'Exposé des motifs ne contient pas une phrase qui atteste l'examen sérieux de tous ces points, dont il commençait par proclamer lui-même la nécessité. Il accuse tout au contraire la préoccupation de dégager la responsabilité du ministère et de la couvrir des déclarations du roi. C'est le renversement du principe constitutionnel: ce ne sont pas les ministres qui couvrent le roi, c'est le roi qui couvre les ministres! Le gouvernement n'est pas plus explicite au sujet des dangers qui peuvent résulter d'une alliance de la nation belge avec le nouvel État du Congo par celui qui en est la plus haute et la permanente expression! Il ne peut pourtant pas méconnaître que beaucoup de bons citoyens conçoivent à cet égard des appréhensions. Il se contente de répéter, après le roi, que le nouvel Etat vivra de ses ressources propres, que cette union n'entraînera aucune charge militaire ni financière pour notre pays. Déclarations nécessaires, imposées par le sujet, mais aussi faciles qu'insuffisantes! Cette sécurité ne s'impose pas à tous les esprits! Elle ne s'impose pas au mien. L'immensité de l'œuvre et la faiblesse des moyens, voilà ce qui impressionne tout d'abord! Quelque rudimentaire que doive être dans le début cet Etat, aux frontières établies sur le papier. seulement, il exigera une administration et une force armée, considérables relativement aux res sources qu'il est permis de lui apercevoir. Le pays peut-il, sans inquiétude, mettre son roi, dont le prestige est une des garanties de son indépendance, aux prises avec des difficultés dont on ne lui fournit aucun moyen de mesurer l'étendue ? N'existe-t-il pas une force des choses supérieure à toutes les promesses? Les événements ne peuvent-ils créer à la Belgique un devoir d'honneur de soutenir de ses deniers son roi dans une entreprise qu'elle aura tout au moins encouragée? Il nous serait bien dur, il serait assurément peu glorieux d'abandonner notre courageux souverain à lui-même, si la prospérité du nouvel État ne répondait pas à ses éspérances et à ses efforts! La Belgique donnera sans doute au roi la plupart de ses collaborateurs. Cet emploi des activités surabondantes du pays figure parmi les principaux avantages attendus de la résolution proposée. Notre adhésion est par elle-même un encouragement direct à l'émigration, presque une promesse! Il ne faut pas, en effet, s'attacher au sens juridique, diplomatique des choses; il faut voir l'impression qu'elles feront sur les populations. Notre assentiment à la résolution, c'est la terre promise que nous montrons du droigt aux impatients, à tous ceux que l'activité dévore. La Belgique se désintéressera-t-elle du sort de ses enfants qui se seront dévoués à une œuvre érigée par leur roi et patronnée par la nation? Les considérera-t-elle simplement, les traiterat-elle comme engagés au service d'une puissance étrangère quelconque? Ne les suivra-t-elle pas sur les rives lointaines du Congo, dans les régions brûlantes de l'Afrique équatoriale, avec la même sollicitude que s'ils étaient dans une colonie de la patrie? L'Exposé des motifs ne prend pas la peine de nous éclairer sur les conditions d'habitabilité du nouvel Etat: il y a bien là, pourtant, quelque sujet d'inquiétude! Le Soudan, le Tonkin, le Zoulouland, Atchin, pour ne parler que des événements des dernières années, éveillent des craintes d'un ordre autrement grave! Que de contacts de tout genre à redouter à l'intérieur même de ces pays inexplorés, avec les peuplades sauvages, avec les marchands d'esclaves, qui pourraient être funestes aux braves pionniers partis de Belgique! Et le nouvel Etat devra pourvoir à la garde de son immense territoire avec ses seules forces, sans aucun concours pécuniaire ni autre, de ce monde civilisé au projet duquel il travaillera! Si des malheurs qui rentrent dans les éventualités indiquées par l'expérience d'autres nations plus imposantes que le nouvel État du Congo, atteignaient nos frères au loin, saurions-nous y assister impassibles et ne trouverions-nous que des larmes à envoyer au Congo? Et enfin (pourquoi le taire?) un État où des citoyens de tous les pays se coudoieront et lutteront pour la conquête de la richesse, sans aucun lien patriotique, sans aucun élément de cohésion que l'intérêt, est une source féconde de conflits, de querelles diplomatiques! C'est beaucoup que de ne pas donner aux États étrangers des occasions d'intervention! Les bonnes intentions ne survivent pas toujours au but momentané que l'on poursuit: les points de vue et les intérêts changent, et les sentiments les suivent! Tous ces points noirs d'interrogation auraient mérité de la part du gouvernement une étude qui n'a pas été faite, dont nous ne possédons pas les éléments pour y suppléer individuellement, que dans notre système constitutionnel nous ne devons pas faire. Est-ce par impuissance, à défaut de renseignements sûrs, ou par parti pris que le gouvernement ne s'est pas livré à cette étude ? Il nous le dira. Mais on viendrait tardivement si l'on cherchait à suppléer, dans une discussion publique, à des indications qui auraient dû trouver place dans l'Exposé des motifs, qui auraient dû faire l'objet d'une distribution des documents et d'un contrôle mûri! Je suis plutôt porté à croire que le gouvernement n'a pas voulu contrôler les appréciations du roi, afin de mieux accentuer le caractère purement personnel de l'union de la Belgique avec le Congo! Mais alors pourquoi ne pas le déclarer, ou plutôt pourquoi déclarer le contraire? Tel est, je le sais, le sentiment de la plupart de mes collègues de la gauche, partisans de la résolution. Nous levons uniquement, disent-ils, le veto que la Constitution nous permet de maintenir à l'acceptation par le roi de la qualité de chef d'un autre État: la Belgique n'a contracté aucun lien avec cet autre État, nous laissons au roi toute la responsabilité de l'entreprise; nous engagerions indirectement la Belgique si nous jugions les conditions d'existence du nouvel État. Cette attitude est prudente de la part des partisans du projet: elle sauvegarde peut-être jusqu'à un certain point l'avenir; dans la forme tout au moins, elle réserve la liberté du parlement dans toutes ses délibérations ultérieures relatives au Congo. Mais je crois peu à l'efficacité de ces réserves, contraires aux faits! Ce qui se passe aujourd'hui n'en prouve-t-il pas l'inanité? Le roi, le ministère ne font-ils pas état en ce moment des acclamations données à l'entreprise individuelle du roi comme d'encouragements à l'acceptation de la souveraineté du Congo? Les choses ont une pente irrésistible! La liberté de notre délibération actuelle n'est-elle pas entamée par les faits acquis? Que sera-ce dans l'avenir, après ce premier pas officiellement fait par le pays dans la voie de l'alliance, de la solidarité? En quoi serions-nous plus engagés qu'aujourd'hui, parce que, au lieu de nous transformer en aveugles volontaires, nous aurions essayé de nous rendre compte de ce que nous faisons? Cela nous empêcherait-il de nous protéger contre les erreurs et les déceptions par des déclarations de non-solidarité du genre de celles qu'on a très sagement introduites dans l'Exposé des motifs? Cette attitude est d'ailleurs contraire au texte et à l'esprit de la Constitution. La Constitution nous interdit de désintéresser la Belgique dans cette question: elle refuse de séparer complètement le pays de son souverain! Réclamant notre vote, au nom de l'intérêt de la nation, qu'elle tient pour engagée dans la question, elle ne peut vouloir d'un vote inconscient des deux éléments de sa solution: l'intérêt de la Belgique, les périls qu'il peut entraîner pour elle! Le gouvernement, qui sollicite mon vote, refuse de rien m'apprendre de précis à cet égard: je lui refuse mon vote! Mon refus de concours est la conséquence nécessaire du doute dans lequel il me laisse. Le rapport de la section centrale nous a été distribué avant-hier matin seulement. Il ne comporte du reste aucune étude. Il est atteint du vice anticonstitutionnel de toute cette procédure. Il définit mal la responsabilité prise par le gouvernement dans cette affaire. Après les débats récents sur l'étendue de la responsabilité du ministre qui contresigne des révocations de ministre, je trouve insuffisamment claire la phrase du rapport - la proposition que le gouvernement sous sa responsabilité a faite aux chambres pour obéir aux prescriptions constitutionnelles Le rapport fait ensuite une déclaration et tente même une démonstration relativement aux dangers de l'union proposée. Mais la démonstration consiste à invoquer l'attitude des gouvernements étrangers vis-à-vis du nouvel État: En ont-ils garanti l'intégrité et le main tien? Je ne comprends pas que les partisans de cette union, qui, à leur sens, ne peut aucunement engager la Belgique, se félicitent de la voir limiter au souverain actuel et ne désirent pas, au contraire, assurer à jamais à la Belgique tous les fruits qu'ils en attendent, et qu'elle devrait surtout porter dans l'avenir! La fin du rapport de la section centrale, qui représente l'acquiescement à la résolution comme une preuve nouvelle d'attachement et de dévouement a roi, m'impose une déclaration que je n'aurais pas crue nécessaire. En refusant mon adhésion à la résolution proposée, je ne méconnais ni la grandeur, ni la géné En quoi, dès lors, la reconnaissance de son pavil- rosité, ni même l'utilité pour le pays de l'œuvre que lon écarte-t-elle des dangers? Il vise ensuite les promesses du gouvernement que la Belgique ne sera jamais engagée. le roi a entreprise au Congo. Je m'associe dans ces limites aux sentiments que la chambre et le sénat lui ont exprimés au nom du Ces déclarations sont tout simplement l'amplifi- pays. cation des mots: union personnelle. Personne ne doute de la loyauté de ces déclarations. Mais les faits ne feront-ils pas violence à toutes ces résolutions? Voilà la question qui n'est même pas effleurée dans ce développement lyrique de l'Exposé des motifs. L'alinéa consacré à faire le tableau des avantages possibles de l'union pour la Belgique est un beau morceau de style. Mais il a un grave défaut on pourrait l'appliquer à tous les pays du monde, à toutes les unions personnelles imaginables avec des contrées lointaines, et il n'apporte aucune lumière sur la question à résoudre. La section centrale s'est préoccupée des enrôlements qui seraient faits pour le nouvel Etat en Belgique, enrôlements qui ne seront certes pas de nature à faciliter le recrutement de notre armée belge. Elle croit obvier au danger en exprimant l'opinion que l'union personnelle ne touche pas à l'article 126 du code pénal. L'applicabilité de cet article ne constitue pas une garantie contre les enrôlements; en effet, il n'atteint que les enrôlements qui seraient pratiqués dans le but d'attaquer le gouvernement belge ou en faveur d'une puissance en guerre avec la Belgique. Mais je ne suis nullement convaincu que cette œuvre n'aurait pas pu se consolider et produire tous ses fruits pour la Belgique sans une union quelconque avec le Congo. Dans mon opinion, cette union, quoi que l'on dise et que l'on veuille, nous associe dans une certaine mesure aux destinées absolument ignorées, impossibles à prévoir, d'un Etat lointain, embryonnaire, presque théorique et sans réalité! Je ne crois manquer ni de patriotisme ni de respect au roi en traduisant mes inquiétudes par un vote négatif. M. BEERNAERT, ministre des finances. - Messieurs, l'honorable M. Neujean n'approuve ni le projet en lui-même, ni la forme dans laquelle il vous est présenté. Quelques mots d'abord quant à ce dernier point. Le gouvernement sait d'avance que, pour l'opposition, quoi qu'il fasse, il fera mal. (Oh! oh! à gauche.) M. BOUVIER. Cela n'est pas exact. Vous préjugez. Il n'a rien empêché dans le passé, messieurs, il à laquelle le gouvernement est complètement étrann'empêchera rien dans l'avenir. La section centrale ou bien aurait dû simplement prendre acte de tout ce qui, dans la communication royale, désintéressait la Belgique du nouvel État, ou bien aurait dû provoquer du gouvernement des explications précises sur les points que j'ai signalés. L'une et l'autre attitude pouvaient s'expliquer. Mais il fallait prendre l'une ou l'autre et ne pas verser dans cette méthode d'amplification déjà adoptée par le gouvernement vis-à-vis de la lettre royale. La rédaction qu'elle substitue à la rédaction du gouvernement met bien en relief le caractère personnel au souverain actuel de l'union projetée avec le Congo. ger, elle n'est ni catholique ni libérale: c'est l'œuvre exclusive du roi. Il l'a poursuivie à travers des difficultés de tout genre, sans se laisser décourager jamais. Il a réussi, et de vastes contrées inconnues il y a dix ans se trouvent aujourd'hui dotées d'une organisation économique et politique qui a reçu la consécration du monde. L'Europe a applaudi; elle a applaudi à la grandeur de la conception, à la persévérance de l'effort, au désintéressement du but. Et la Belgique a fait comme l'Europe. Chose rare dans nos annales, par un vote unanime, les deux chambres ont félicité le roi de l'œuvre accomplie. A leur suite, nos grandes villes, nos différents corps, nos associations les plus importantes ont fait de même et de toutes parts |