des adresses de félicitations sont arrivées au palais. Or, voici que le gouvernement, satisfaisant à la demande du roi et répondant aux vœux exprimés par le pays, vous propose d'accorder une autorisation sans laquelle l'œuvre africaine devrait être abandonnée; et dans cette attitude si conforme aux prescriptions constitutionnelles, l'honorable M. Neujean trouve à reprendre! A l'en croire, l'attitude du cabinet aurait manqué de netteté, de franchise. Il aurait découvert la personne royale. Il chercherait à dissimuler sa responsabilité derrière celle du roi. Il me semble, messieurs, que ces reproches ne supportent pas le moindre examen. Aux termes de la Constitution, le roi ne peut être en même temps chef d'un autre État sans l'assentiment des deux chambres. Ce n'est pas une loi qui doit intervenir à ce sujet; ce n'est pas une œuvre du pouvoir législatif, ce n'est pas même une œuvre collective des deux chambres. Chacune d'elles est appelée à donner isolément son autorisation. Mais cette autorisation doit être provoquée par une demande, et cette demande doit, au moins dans son principe, émaner du roi. La souveraineté qu'il voudrait exercer est étrangère à la Belgique et à son gouvernement; elle doit demeurer absolument distincte et indépendante; il y a done là un acte au sujet duquel l'intervention directe et personnelle du roi était toute commandée. Mais le roi a-t-il directement communiqué son désir aux chambres? Non, c'est à ses ministres qu'il s'est adressé en les chargeant de demander en son nom l'autorisation nécessaire. Et c'est ce que nous avons fait, ce que nous faisons encore en vous proposant une résolution nettement affirmative, dont nous rédigeons même la formule. Nous avons pris et nous prenons donc la responsabilité de la demande qui vous est faite, et en vous proposant d'y faire bon accueil, nous justifions notre sentiment par des considérations d'intérêt national et international. Où donc voit-on ces hésitations et ces vaines terreurs que l'on allègue et qui seraient tout bonnement ridicules? D'une part donc, initiative du roi; et cette initiative était inévitable. Mais, de l'autre, responsabilité ministérielle hautement affirmée et conviction du gouvernement que, dans les conditions actuelles, il est de l'intérêt de la Belgique de répondre affirmativement à la demande de son roi. La responsabilité que l'on doit attendre du gouvernement, il l'assume tout entière; il ne cherche en aucune façon à s'y dérober; il s'en fait un honneur! (Approbation.) Mais, dit-on, vous avez fait part aux chambres de la lettre du roi. Voilà ce qui est incorrect. N'était-ce pas indispensable, messieurs? Aurait-on compris que le cabinet fût venu dire aux chambres: Nous vous demandons d'autoriser le roi à être en même temps le chef de l'État nouveau qui se fonde sur les bords du Congo et de s'en qualifier le souverain, sans ajouter que tel était le désir royal? Non, n'est-ce pas? et je n'ai pas besoin d'insister. L'initiative royale devait être annoncée. Ce que l'on nous reprocherait donc, c'est d'avoir voulu mettre sous les yeux des chambres le document même qui nous a été adressé par Sa Majesté. Mais il me semble qu'il n'y a rien là qui n'honore le roi et qui ne doive le grandir encore aux yeux de l'étranger comme aux yeux du pays. Les termes et les sentiments qu'il exprime sont également dignes de lui. Ils respirent un amour profond du pays. Pourquoi ne pas les faire connaître? La chambre pourrait-elle se plaindre de ce que nous ayons agi avec trop de franchise et de sincérité? (Très bien! très bien! à droite.) Il semble, messieurs, que quelques personnes se fassent de l'irresponsabilité royale une notion fausse. Irresponsabilité royale, cela veut-il dire qu'il faille considérer le souverain constitutionnel comme une espèce de fétiche à qui il serait interdit de penser, de vouloir, de parler, d'agir? Non pas. L'irresponsabilité n'empêche pas l'action du roi; seulement on ne peut lui demander compte de ses actes. Ils doivent être couverts par la responsabilité d'un ministre. Et c'est ce qui se passe. Encore une fois, cette responsabilité, nous la réclamons, nous la réclamons hautement, convaincus que l'acte d'aujourd'hui marquera, et marquera avec honneur dans les fastes de ce pays. (Très bien! à droite.) L'honorable M. Neujean nous a fait encore d'autres reproches. Le gouvernement reconnaît qu'il avait à examiner s'il était de l'intérêt de la Belgique d'accorder au roi l'autorisation que celui-ci demande. Mais cet examen aurait été fait d'une manière peu complète et superficielle ou du moins on n'en indique les résultats que vaguement. Il y a toute une série de points sur lesquels l'honorable M. Neujean nous reproche de n'avoir pas renseigné la chambre. Le nouvel État vivra-t-il? Est-il bien exact qu'il aura les ressources nécessaires? Serat-il en état de se défendre? Les traités sur lesquels ses droits se fondent, ces traités qui lui ont valu la reconnaissance de tous les États du monde, ont-ils été examinés par nous avec assez de soin? Est-il bien certain que de ce chef, ou de quelque autre, il ne puisse surgir de différends d'aucun genre? Et la Belgique ne se trouvera-t-elle pas engagée malgré elle dans un engrenage auquel il vaudrait mieux la soustraire dès aujourd'hui? Il y a, semble-t-il, messieurs, dans cette attitude de l'honorable M. Neujean une contradiction qu'il n'a pas aperçue. Partageant des préoccupations qui sont celles de la plupart des membres de cette chambre, il faut le reconnaître, des préoccupations qui se sont fait jour dans les sections, et dont le rapport de l'honorable M. Nothomb est le reflet, M. Neujean redoute que la Belgique ne se trouve un jour engagée, entraînée dans les affaires du Congo. Dès lors ne voit-il pas que les investigations détaillées, minutieuses qu'il aurait voulu voir faire par le gouvernement auraient pu, jusqu'à un certain point, justifier les appréhensions qu'il exprime! Ces investigations, le gouvernement n'avait pas à les faire. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler ce qu'est l'union personnelle qu'il s'agit de créer. Une union personnelle laisse les deux États unis absolument distincts, absolument indépendants; ils n'ont rien de commun entre eux ni au point de vue militaire, ni au point de vue financier, ni au point de vue diplomatique. Le mot" union, a la consécration du droit, de l'histoire et de l'usage, mais il n'est pas absolument exact, car il n'y a d'union que dans la personne du roi; l'unité du souverain est le seul lien entre les deux Etats. Tous les publicistes sont d'accord à cet égard, et pour marquer à quel point leur personnalité internationale est distincte, on enseigne, par exemple, que si les deux Etats régis par le même souverain sont appelés à un congrès ou à une conférence, ils y auront deux voix. Ces deux Etats font des traités entre eux, absolument comme s'ils n'avaient pas de lien personnel; et si l'un des deux fait quelque traité avec une autre puissance, l'autre y est absolument étranger. Si l'un des deux Etats se trouve engagé dans une guerre, l'autre n'en est point touché, et il est obligé d'observer avec le même scrupule que tout autre les devoir et les obligations de la neutralité. Telle est la situation qu'il s'agit d'établir. Il ne doit y avoir aucune confusion entre les affaires de l'Etat du Congo et celles de la Belgique. Mais, dès lors, que devait faire le gouvernement? N'étudier la question qu'au seul point de vue de la Belgique, examiner les avantages nationaux et internationaux, comme aussi les inconvénients que pouvait présenter l'union personnelle demandée; mais ne point s'immiscer dans les questions d'organisation administrative ou financière qui ne concernent que le nouvel Etat. Il est bien entendu, n'est-ce pas? que la Belgique ét son gouvernement demeureront étrangers à l'administration du Congo. Pourquoi nous en serionsnous préoccupés cette fois? L'honorable M. Neujean aurait voulu que nous nous fussions assurés des conditions de vitalité du nouvel Etat. Mais ne voit-il pas qu'il en serait résulté pour le pays cette espèce de responsabilité morale à laquelle on veut d'autre part échapper? Il demande s'il est certain que le Congo sera assez fort pour se défendre. Ne pourrait-on pas induire d'investigations de ce genre, que si à cet égard les espérances émises étaient déçues, la Belgique devrait intervenir? Et, d'ailleurs, à quoi des vérifications de ce genre pouvaient-elles aboutir? Il s'agit d'une fort grande entreprise, de grands résultats sont obtenus, mais il reste encore beaucoup plus à faire. Il s'agit d'un Etat à constituer. Ni ses besoins, ni ses ressources ne peuvent être actuellement établis. C'est l'affaire de l'avenir. Les uns et les autres grandiront. Dans quelle mesure? Nul ne pourrait le dire. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à l'un comme à l'autre point de vue, le gouvernement belge n'aura absolument aucune action, et son attitude de demain doit être celle d'aujourd'hui. Les renseignements que l'on nous reproche de ne point fournir, nous n'avions donc ni à les donner ni à les demander. Ces quelques mots suffisent, je pense, messieurs, pour justifier l'attitude du cabinet; la responsabilité qu'il a prise et la forme qu'il a donnée à la proposition qui vous est soumise me semblent absolument irréprochables. (Adhésion à droite.) L'honorable M. Neujean, et c'est le côté essentiel de son discours, n'est pas convaincu de l'intérêt qu'il y a pour la Belgique à autoriser la continuation de l'œuvre royale. Il n'est pas convaincu, non plus, que la souveraineté nouvelle du roi ne puisse, le cas échéant, exposer la Belgique à quelque aventure. Cette crainte me paraît sans fondement. Je disais tout à l'heure que l'union personnelle n'entraîne, pour les deux Etats amis, aucun rapport quel qu'il soit; il n'y a que ce fil assurément plus ténu dans une monarchie constitutionnelle que partout ailleurs, d'un même souverain gouvernant dans des conditions absolument distinctes, deux Etats aussi indépendants l'un de l'autre que s'ils avaient des souverains différents. Dès lors, les affaires de l'un des deux n'intéressent l'autre que si celui-ci le veut bien. Et plus d'un exemple démontre qu'il en est bien ainsi. Chacun sait l'union personnelle qui a existé entre la couronne de Prusse et la principauté de Neuchâtel; le prince de Neuchâtel a été révolutionnairement renversé, et ce grand royaume de Prusse ne s'est pas ému outre mesure de l'injure faite à son souverain. Jamais la Prusse n'a songé à épouser la querelle du prince de Neuchâtel, et celui-ci a renoncé, en 1857, à ses droits souverains. On sait aussi qu'entre les Pays-Bas et le grandduché de Luxembourg il n'y a qu'une union personnelle; le gouvernement néerlandais reste aussi complètement étranger aux affaires grand-ducales, que s'il s'agissait d'un Etat appartenant à un autre souverain. Indépendance complète quant aux finances, quant aux forces défensives, quant à la représentation diplomatique. Il semble même que parfois on ait mis une certaine coquetterie à souligner cette situation: le grand-duché n'a que deux agents spéciaux, l'un à Paris, l'autre à Berlin; et lorsqu'il est arrivé, dans certaines situations troublées, que le grand-duché a éprouvé le besoin de mettre ses nationaux sous une protection diplomatique, c'est aux agents de la Russie et non à ceux des Pays-Bas qui s'est adressé. La Grande Bretagne et le Hanovre ont été personnellement réunis de 1714 à 1837, et cette situation n'est venue à changer que lors de l'avènement de la reine Victoria, parce que le droit dynastique des deux pays différait. De même entre la Belgique et le Congo, il n'y aura qu'un lien exclusivement personnel. Et il faut le reconnaître: si jamais union de ce genre s'est présentée dans des circonstances qui ne justifient pas la moindre appréhension, c'est bien dans le cas actuel. Ce que l'on a à redouter d'ordinaire, c'est que l'un des deux pays ne puisse être entraîné dans les querelles de l'autre. Or, d'un côté, il y aura la Belgique perpétuellement neutre, et, de l'autre, le Congo qui sera neutre lui aussi.tingué vos délibérations a présidé également aux négociations qui ont eu lieu en dehors de la conférence dans le but de régler des questions difficiles de délimitation entre les parties qui exerceront des droits de souveraineté dans le bassin du Congo la Belgique était étrangère à ces négociations, et qui, par la nature de leur position, sont appelées à devenir les principaux gardiens de l'œuvre que nous allons sanctionner. Les puissances, messieurs, ont voulu écarter la guerre des vastes contrées dont elles avaient entrepris de régler le sort. Sans doute, elles ne l'ont pas fait seulement par une pensée de bienveillance pour l'Etat naissant, mais aussi par des considérations d'un intérêt plus général. C'est une grande œuvre qu'elles ont accomplie, et ce sont de grandes idées qui l'ont inspirée. Au milieu de cette fièvre coloniale dont le vieux monde est saisi, il semble qu'on ait voulu essayer d'un type nouveau. L'État dont notre roi sera le souverain constituera en quelque sorte une colonie internationale; toutes les compétitions, toutes les jalousies en seront bannies, et les fées assises autour de son berceau ont voulu le combler de tous les avantages qu'assure le progrès sous sa forme la plus moderne. Nulle part il n'y aura d'organisation économique plus parfaite. Pas de monopoles, pas de privilèges, pas de droits différentiels. Bien au contraire, liberté absolue des échanges, liberté de la propriété, liberté du commerce, liberté de la navigation, liberté même du parcours sur les voies qui compléteront le grand fleuve là où il n'est point navigable. Et tout cela sans parler de libertés d'un autre ordre auxquelles l'Afrique ne tient pas encore autant qu'elle le fera plus tard, la liberté de conscience et l'abolition de la traite. Telles sont les conditions dans lesquelles vivra l'État nouveau. Et non seulement on a voulu rendre la guerre impossible par la déclaration de neutralité à laquelle les puissances se sont ralliées; mais pour le cas invraisemblable où quelque difficulté viendrait à naître néanmoins, ce serait par voie d'arbitrage ou par voie de médiation qu'elle devrait être résolue. On redoute les aventures; on redoute les guerres dans lesquelles l'État nouveau pourrait être engagé. Mais la chambre le voit on a tout fait pour les rendre impossibles. On ne voit pas même quel en serait l'objet. Aux colonies, l'une des occasions de conflit les plus fréquentes, c'est la délimitation des frontières. Or, les frontières de la souveraineté nouvelle sont fixées, vous le savez. De même, toutes les questions au sujet desquelles dans le passé des guerres coloniales se sont élevées sont ici résolues: douane, commerce, navigation, tout est réglé, et dans un esprit tellement progressiste et humanitaire que nul n'aurait intérêt à chercher à détruire l'œuvre accomplie. Telle est, messieurs, la situation dans laquelle cette grande entreprise se présente. Tout ce qui semblerait pouvoir écarter les dangers que redoute l'honorable M. Neujean a été fait, et il y a un point où l'extrême prudence cesse d'être de la sagesse. Y aurait-il d'autre part à redouter que l'Europe ne voie pas avec satisfaction que l'État nouveau dont elle a admis la constitution soit confié à la direction du roi des Belges? Vous savez déjà, messieurs, par les documents qui ont été distribués que le contraire est établi. Permettez-moi cependant de vous rappeler quel ques passages des deux derniers protocoles de la conférence de Berlin. C'est d'abord M. Busch, représentant de l'Allemagne et qui remplaçait en ce moment le prince de Bismarck: "Nous saluons comme un événement heureux la communication qui nous est faite et qui constate la reconnaissance de l'Association internationale du Congo. Tous, nous rendons justice au but élevé de l'œuvre à laquelle Sa Majesté le roi des Belges a attaché son nom; tous, nous connaissons les efforts et les sacrifices au moyen desquels il l'a conduite au point où elle est aujourd'hui; tous, nous faisons des vœux pour que le succès le plus complet vienne couronner une entreprise qui peut seconder si utilement les vues qui ont dirigé la conférence. Le représentant de la France, M. le baron de Courcel, est plus net encore: "J'émets, au nom de mon gouvernement, le vœu que l'État du Congo, territorialement constitué aujourd'hui dans les limites précises, arrive bientôt à pourvoir d'une organisation gouvernementale régulière le vaste domaine qu'il est appelé à faire fructifier... * Le nouvel État doit sa naissance aux aspirations généreuses et à l'initiative éclairée d'un prince entouré du respect de l'Europe. Il a été voué dès son berceau à la pratique de toutes les libertés. Assuré du bon vouloir unanime des puissances qui se trouvent ici représentées, souhaitons-lui de remplir les destinées qui lui sont promises sous la sage direction de son auguste fondateur, dont l'influence modératrice sera le plus précieux gage de son avenir. Je ne puis tout lire, messieurs; voici M. le comte Kapuist, ministre de Russie, qui, " d'après ses instructions, s'associe à l'hommage que ses collègues ont rendu à l'initiative éclairée et féconde prise par S. M. le roi des Belges Le ministre d'Autriche, les ministres de Danemark et de Suède et de Norvège s'associent à ses sentiments. Sir Edward Malet, parlant au nom de l'Angleterre, ne se montre pas moins bienveillant. Après avoir rappelé comment l'entreprise avait été commencée par le Roi et qu'elle rencontrait la sympathie de la condoléance plutôt que celle de l'encouragement, il ajoutait: On voit maintenant que le roi avait raison et que l'idée qu'il poursuivait n'était pas une utopie... En rendant à Sa Majesté cet hommage de reconnaître tous les obstacles qu'elle a surmontés, nous saluons l'État nouveau-né avec la plus grande cordialité et nous exprimons un sincère désir de le voir fleurir et croître sous son égide. Tel fut aussi le langage des représentants des États-Unis, du Portugal, de l'Espagne. Au nom de l'Italie, M. le comte de Launay saluait "le nouvel État qui va se fonder sous l'auguste patronage d'uu souverain qui, depuis huit années, n'a rien épargné pour la réussite d'une généreuse et philanthropique entreprise „ Enfin, à la séance suivante, S. A. le prince de Birmarck s'exprima en ces termes : Je ne puis toucher à ce sujet sans rendre hommage aux nobles efforts de S. M. le roi des Belges, fondateur d'une œuvre qui est aujourd'hui reconnue par presque toutes les puissances et qui en se consolidant pourra rendre de précieux services à la cause de l'humanité. Voici enfin, messieurs, les paroles par lesquelles le prince Bismarck clôturait la conférence: "Je crois répondre au sentiment de l'assemblée en saluant avec satisfaction la démarche de l'Association internationale du Congo. Le nouvel État est appelé à devenir un des principaux gardiens de l'œuvre que nous avons en vue, et je fais des vœux pour son développement prospère et pour l'accomplissement des nobles aspirations de son illustre fondateur. En présence de ce langage unanime, qui done pourrait en ce point conserver quelque appréhension? L'attitude que nous demandons à la Belgique de prendre lui a été en quelque sorte indiquée par les grandes puissances réunies dans une conférence solennelle et parmi elles se trouvaient notamment celles qui ont garanti notre neutralité. L'honorable M. Neujean disait tout à l'heure, et c'est par là qu'il a terminé son discours, que lui aussi saluait avec respect l'œuvre royale. Il la trouve grande et féconde. Et cependant il ne trouve pas bon qu'elle soit continuée. A-t-il bien réfléchi au caractère et aux conséquences qu'aurait la résolution négative qu'il recommande à la chambre? Cette œuvre, à propos de laquelle il y a quelques jours à peine nous félicitions le roi d'une voix unanime, nous lui dirions done aujourd'hui qu'il faut l'abandonner! Nous la trouvions bonne aussi longtemps qu'elle n'avait pas obtenu la consécration du monde, elle ne nous préoccupait point, mais nos terreurs s'éveilleraient au lendemain du succès. Les combinaisons que l'Europe a trouvées bonnes, nous les répudierions. Et tout cela huit jours après avoir voté sans contradiction le traité de Berlin. Messieurs, en vérité, M. Neujean n'y a pas réfléchi. Il a surtout perdu de vue que le refus de l'assentiment des chambres, c'est l'abandon de l'œuvre africaine. Jusqu'ici, et avant la reconnaissance de l'État nouveau par les puissances, c'était une entreprise privée. Mais du moment où il y a un État et où il ne s'agit plus seulement d'une compagnie exerçant des droits souverains, il n'est plus possible au roi de continuer à diriger directement ou indirectement les affaires de l'Association, sans le consentement des chambres. Toute dissimulation à ce sujet ne serait digne ni du roi ni du pays. Cette œuvre que l'honorable M. Neujean reconnaît grande, il la frapperait donc de mort. Y a-t-il à l'établissement nouveau quelque intérêt pour la Belgique? J'ai montré qu'au point de vue international, la position nouvelle que va prendre le roi et celle qui en résulte pour le pays ne peuvent justifier d'appréhensions d'aucun genre. Il est non moins indiscutable qu'une union purement personnelle ne peut imposer au pays aucune charge financière ou militaire. Le pays ne prend à ce sujet et on ne lui demande de prendre d'engagement d'aucun genre, Au Congo même, les puissances se sont chargées d'une tâche importante en constituant une commission internationale de navigation à l'instar de celle qui veille sur les bouches du Danube. Et c'est dans ces conditions que l'on vient demander s'il peut y avoir intérêt pour le pays à ce que la grande creation dont le roi a pris l'initiative ne soit pas abandonnée! et que l'on hésite à croire qu'elle puisse avoir des résultats utiles pour le pays! En vérité, je le demande de nouveau, n'est-ce pas trop de prudence? Sans doute, la Belgique pourra ne pas tirer fruit du vaste marché qu'on ouvre à son activité, D'autres jusqu'ici ont mieux que nous compris les avantages. Sur les rives du Congo, les établissements européens se multiplient, et ce n'est pas nous qui les fondons. Nos voisins du Nord, les Néerlandais, y prennent une vaste place et ils se disposent à l'agrandir encore. Mais n'avons-nous donc pas tout ce qu'il faut pour suivre leur exemple? Quel est le chiffre des affaires? demande-t-on. Jusqu'à présent, messieurs, il n'y a pas au Congo de statistiques régulières; mais on a pu y évaluer assez approximativement le mouvement commercial. D'après un rapport récent de la chambre de commerce de Manchester, on en peut fixer l'importance à 70 millions de francs, importations et exportations comprises, celles-ci beaucoup plus importantes que celles-là. La part de la Belgique dans ce chiffre d'affaires est beaucoup moins considérable qué celle de l'Angleterre, que celle des Pays-Bas et même que celle du Portugal. Continuera-t-il à en être ainsi? Je ne veux pas le croire. Dans cette situation dont tout le monde signale le péril, d'un petit pays menacé de pléthore, où la population est excessive, où la production est excessive, il n'est que temps de se préoccuper de débouchés lointains. Tout autour de nous, les frontières se ferment hérissées de murailles protectionnistes. Jetons donc les yeux au delà de l'Océan. C'est là qu'est l'avenir, c'est là que doit être le salut. Et quand un vaste marché colonial s'ouvre à nous sans qu'il nous en coûte rien, lorsque nous sommes sûrs d'y rencontrer une autorité pour laquelle le bien de la Belgique a toujours été la préoccupation souveraine, empressons-nous d'en user et ne perdons pas notre temps à discourir. Le Congo peut-il être utile à la Belgique? demande M. Neujean. La réponse à cette question, le pays l'a faite, et il l'a faite sans hésitation. Les adresses de nos grandes villes, de nos associations industrielles et commerciales affirment toute l'utilité de l'œuvre royale. Et je souhaite du fond de mon cœur que les faits viennent bientôt leur donner raison. Puisse l'esprit d'entreprise grandir et se développer! (Très bien! sur divers bancs.) Avant de terminer, un mot encore en réponse à ce que disait l'honorable M. Neujean à la fin de son discours, de la question des enrôlements. Il me semble, messieurs, que je n'ai à ce sujet rien à ajouter à ce qu'a dit l'honorable M. Nothomb, dans le rapport de la section centrale. Le Congo et la Belgique formeront deux États absolument indépendants l'un de l'autre. Il s'ensuit que toutes nos dispositions députatives s'appliqueront à nos rapports avec le Congo, comme à ceux que nous avons avec d'autres États. Le gouvernement ne vous demande pas de déroger en quoi que ce soit au droit commun. Il n'y a donc aucune question à résoudre. Quant aux enrôlements, il n'est d'ailleurs pas difficile de rassurer l'honorable M. Neujean. On ne songera pas à demander des soldats à la Belgique. Le roi le dit dans la communication qu'il a faite à son gouvernement, et le bon sens l'indique. Enrôler des troupes européennes pour l'Afrique, ce serait s'imposer une dépense excessive et inutile. Il y a tout le long de la côte maritime et sur les bords du Congo des factoreries. Jusqu'à présent, à raison de l'absence d'un État constitué, chacune d'elles avait sa défense organisée; elles recrutent des Zanzibarites ou des Sierra Leonais. L'État nouveau dispose de ressources défensives du même genre, et certainement il persévérera dans cette voie. M. Neujean peut donc, en ce point encore, se tranquilliser. Je termine, messieurs. J'espère fermement que la chambre, rendant hommage au noble but poursuivi par le roi, et la persévérante énergie dont il a fait preuve et se pénétrant des véritables intérêts du pays, confirmera, par un vote unanime, les félicitations dont elle a, il y a quelques jours seulement, porté l'expression au Palais de Bruxelles. (Applaudissements.) M. DE HAERNE. Messieurs, je n'ai pas besoin de dire à la chambre que je ne puis pas me placer au point de vue qu'a choisi l'honorable M. Neujean. Les considérations qu'il a fait valoir ne m'ont pas convaincu du tout, et M. le ministre des finances, chef du cabinet, vient de les refuter suffisamment, selon moi. Je n'ai pas besoin d'insister sur ce point. Ce serait amoindrir en quelque sorte la conviction que l'honorable ministre a fait naître dans vos esprits. Il y a cependant un point de vue que je crois devoir développer par patriotisme c'est la question de l'intérêt du pays dont l'honorable M. Neujeau a fait grand bruit en le signalant comme opposé à la mesure dont nous somme saisis. Eh bien, je crois tout au contraire que l'intérêt national est évident ici. Nous avons à considérer l'intérêt patriotique qui domine la question, l'intérêt matériel, l'intérêt moral, l'intérêt qui résulte particulièrement, selon moi, au point de vue de la considération du pays, de l'accord qui existe entre les puissances pour élever la Belgique au rang qu'elle n'a pas atteint jusqu'à présent. Voilà comment, messieurs, je considère la question. C'est assez vous dire que je ne puis, en aucune manière, accepter la thèse développée par l'honorable préopinant auquel j'ai l'honneur de répondre. Permettez-moi une seule observation à cet égard. Si, contre toute attente, contre toute probabilité, les deux tiers des membres des deux chambres refusaient leur assentiment à la proposition qui nous est faite, et si par suite du refus le roi se trouvait dans l'impossibilité d'exercer la souveraineté de l'État du Congo, il en résulterait que les puissances s'adresseraient à un autre souverain, et alors ce souverain, réussissant dans sa grande entreprise, jetterait sur la Belgique je ne sais quelle déconsidération. La Belgique ne serait pas déshonorée, mais sa considération serait atteinte aux yeux des nations. Je me place avant tout sur le terrain patriotique, et pour répondre aux considérations émises par M. Neujeau, je vais entrer dans quelques détails, que je demande à la chambre la permission de lui présenter. D'abord en ce qui concerne l'intérêt matériel, je dois dire qu'il n'y a qu'une voix dans le pays pour applaudir aux nobles et généreux efforts que S. M. le roi a faits, même longtemps avant de monter sur le trône de Belgique, pour le développement du commerce et de l'industrie, en cherchant à étendre nos relations à toutes les parties du monde. C'est là un intérêt immense, que l'honorable M. Neujean a perdu de vue. Les courageux sacrifices personnels de toute espèce du souverain pour atteindre le but poursuivi par lui viennent d'obtenir leur récompense dans le succès extraordinaire de l'œuvre africaine; cette création grandiose, sans antécédents dans l'histoire, d'un Etat indépendant et neutre, due à l'intelligente énergie de Léopold II et dont la souveraineté lui est attribuée dans l'opinion publique, comme lui revenant par sa glorieuse intervention et en quelque sorte par la nature et la force des choses; ou plutôt par la voix des peuples, qu'on peut appeler, d'après l'acception généralement reçue, la voix de Dieu. Le pays entier, messieurs, par ses organes autorisés et notamment par les pouvoirs publics, a compris, comme le déclare la section centrale, que nous ne pouvons nous dispenser de donner la sanction constitutionnelle à cet état de choses, né des plus heureuses circonstances, auxquelles Sa Majesté elle-même ne peut raisonnablement se soustraire, en méconnaissant le vœu des puissances accueilli par les applaudissements de la nation. |